Zaha Hadid poursuit son chemin, plus libre au fil des années, si loin si proche de ce qu’elle était il y a 30 ans, toujours en quête de nouvelles frontières, multipliant les projets partout dans le monde, d’architecture, de design, menacée parfois par leur nombre. A Londres, en plein cœur d’Hyde Park, sa galerie Sackler tente à nouveau une sorte d’envol de la matière.
Gallery by Zaha Hadid Architects Londres 2013
Dans le Landerneau architectural tout le monde connaît la Serpentine Gallery à Londres. Côté Kensington Gardens, à quelques mètres au sud de la Serpentine -ce lac tout en longueur- elle invite chaque année un architecte de renom à concevoir un pavillon temporaire. Première à se prêter à l’exercice en 2000 : Zaha Hadid. Elle recommencera d’ailleurs en juillet 2007 avec une installation éphémère -neuf jours seulement- baptisée Lilas. A moins de 350 m au nord, c’est elle encore qui livre en 2013 The Serpentine Sackler Gallery, une petite sœur de la première, pérenne pour le coup, en fait une réhabilitation doublée d’une extension dédiée à un bar restaurant.

Le Magazine, le bâtiment d’origine, une poudrière, remonte à 1805. A usage militaire jusqu’en 1963, il sert ensuite de stockage. Rectangulaire, il s’ouvre au sud par une colonnade donnant sur une circulation périphérique bâtie de briques, voûtes comprises, cadrant un espace central plus élevé où se trouvait la poudre. Curé, nettoyé, fluidifié, il accueille désormais des évènements culturels. Réhabilitation et mise aux normes pour tout dire assez banales, bien propres, sans plus : plafonds et cimaises blancs avec joints creux en pieds, sol de grands carreaux gris plutôt moches (recouverts d’ailleurs pas des briques lors de l’exposition inaugurale signée Adrian Villar Roja), skydomes et failles zénithales.

En total contraste, vient sur le flanc ouest du bâtiment, l’extension proprement dite, une étrangeté typiquement hadidienne. Selon les angles, c’est une raie manta en plein vol, une ondulation de dune blanche, ou bien une houle de tente de désert immaculée.
Difficile de ne pas penser au Mobile Art Chanel, un temps au pied de l’IMA à Paris, aux stations du funiculaire d’Innsbrück-Hungerburg et surtout difficile de ne pas mesurer le chemin parcouru en 30 ans par l’architecte. Pour s’en persuader, il suffit d’ailleurs de jeter un œil rétrospectif sur ses deux interventions à la Serpentine Gallery ou sur ses dernières réalisations en particulier l’extravagant et formidable Centre Heydar Aliyev de Bakou en Azerbaïdjan.

Que son architecture soit vilipendée par les modernes, néo-modernes, les jaloux ou l’objet d’un attachement quasi viscéral n’enlève rien à la singularité de son travail, à sa liberté acquise de haute lutte, grâce à son caractère de fer et grâce aussi à sa complicité avec Patrick Shumacher aussi omniprésent que discret.

Zaha Hadid ne cesse de le répéter, rien n’aurait été à ce point possible s’il n’y avait eu la multiplication des matériaux et l’amélioration constante de leurs performances, la puissance du calcul numérique pour passer du dessin au réel, du projet à la fabrication, des mathématiques au chantier. Bien que modeste en taille, la Sackler Gallery le montre à l’envie, sans pour autant afficher une quelconque dimension technologique. Omniprésente, mais invisible, elle sert les formes et disparaît. Pour simplifier à l’extrême, le bâtiment met en œuvre une structure acier, jamais visible, du verre, courbe souvent, du FRP (Fibre-reinforced plastic) en façade et du PTFE (polytétrafluoroéthylène) en toiture, cette dernière signant d’ailleurs la première structure textile tendue permanente de l’agence.

Pour obtenir la fluidité voulue, une poutre échelle en acier, périmètrique, ondulante, ancrée en trois points au sol et deux en superstructure du vieux bâtiment s’enveloppe de panneaux de FRP peint à la bombe. Cinq piliers en acier entourés par les toiles de FRP et de PTFE, dessinent chacun une corolle ouverte, épanouie vers le ciel, inondée de lumière par un oculus quasi invisible. Autour, le plafond tendu de lais de fibre de verre enduits de silicone décuple la fluidité générale du dessin. En façade, le verre surgit du sol, à nu, ondule lui aussi et complète cette étonnante figure en mouvement, appuyé par la ligne des chaises, le profil du bar, celui fuselé façon yacht de la cuisine. Seuls les plateaux des tables présentent des profils anguleux. Sur le tout règne le blanc à de rares exceptions près.

Mais quelles exceptions ! : quelques mobiliers pastels, et surtout, dur au pied, le carrelage gris soutenu, pénible, pour ne pas dire laid, dont la planéité bloque l’effet d’envol, contraste cruel avec la liberté morphologique de la figure qui le protège. Principe de réalité et tentation ! Difficile de faire vivre les hommes sur des plans inclinés. Au MAXXI et au Centre Heydar de Bakou, Zaha Hadid a trouvé des solutions habiles croisant dans un même élan murs, sols et plafonds, dans une même continuité, circulations obliques et horizontales, cruellement absentes ici.


Jean-François Pousse
Tous visuels ourtesy Zaha Hadid Architects. ©Luke Hayes