Serres alambiquées à Laverstoke Mill

Serres alambiquées à Laverstoke Mill

Le site patrimonial de Laverstocke Mill vient d’être reconverti par l’architecte Thomas Heatherwick, en distillerie haut de gamme pour la marque de spiritueux Bombay Sapphire.
Sur cette ancienne friche industrielle, à une centaine de kilomètres de Londres, produisant le papier des billets de la Banque d’Angleterre, deux serres traitées comme de gigantesques alambics, de plus d’une dizaine de mètres de hauteur, se confrontent avec audace aux bâtiments de style victorien.

Afin que cet ambitieux projet de réhabilitation respecte la dimension patrimoniale du site tout en reflétant les valeurs de la marque, Bombay Sapphire® a fait appel en 2010 à la star britannique Thomas Heatherwick, qui livrait la même année le spectaculaire pavillon du Royaume-Uni à l’exposition universelle de Shanghai 2010 ainsi que les nouveaux modèles de bus londoniens. Pour concevoir la distillerie Laverstoke Mill où se produit l’emblématique boisson bleue, l’architecte s’est emparé de ce lieu austère pour en révéler dit-il tout le potentiel : ‘’Notre première tâche fut de retrouver la rivière qui était là quelque part, avant de créer une alchimie intéressante dans le projet en connectant les serres et la salle de distillation du gin. Nous utilisons l’excédent de chaleur dégagée par ce processus dans cette dernière pour chauffer les premières. Mais ce qui est tout aussi passionnant, peut-être encore plus, c’est le fait que, celles-ci étant près de la rivière, une eau très pure, coulant depuis des siècles, circule autour d’elles. D’un côté, il y a ce cours d’eau et, de l’autre, ce nouveau liquide transparent. Sans tomber dans le mysticisme, je sens qu’il y a quelque chose de symbolique là-dedans et c’est ce qui est le plus motivant pour moi. A mes yeux, ces serres – dont chaque panneau de verre est unique – tentent de renouer avec quelque chose de naturel à l’image de ces plantes, elles-mêmes toutes différentes. »

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Briques, liquide et espèces

Sur ce site qui a produit pendant plus de 200 ans le papier destiné à la fabrication des billets de banque britanniques depuis le règne de la reine Victoria, Heatherwick a capitalisé sur les bâtiments historiques en brique, débarrassés de toute une série de hangars en tôle. Ainsi reliée à l’histoire du pays, la maison de la marque est à la fois une distillerie de gin à la pointe de l’innovation et un centre d’accueil attractif pour les visiteurs qui découvrent des alambics de verre géants dans lesquels poussent les dix épices (baie de genièvre, citron, maniguette, coriandre, cubèbe, racine d’iris, amande, cannelle, réglisse et angélique) conférant à Bombay Sapphire® son « goût unique ». A travers un voyage-découverte guidé par des cartes interactives, le public peut explorer la distillerie et s’approprier l’héritage de la marque. La visite se prolonge dans les deux serres et la Botanical Dry Room qui renferme les alambics historiques de la famille Dakin, avant la découverte de la richesse du patrimoine de Laverstoke Mill exposé dans l’Heritage Room.

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Le parcours se termine dans le Mill Bar par la dégustation d’un cocktail à base de Bombay Sapphire®, sans oublier l’Empire Room, centre destiné à former les meilleurs barmen du monde. « Pour la première fois, nous ouvrons nos portes au public et nous invitons les visiteurs à découvrir l’histoire de notre marque, » précise le maître distillateur Nik Fordham. Pour compléter cette opération marketing de grande envergure, cette distillerie est la première à obtenir la certification BREEAM. Au delà de la récupération de chaleur pour chauffer les serres, la roue du moulin a été rétablie comme générateur hydroélectrique, des systèmes photovoltaïques et une pompe à chaleur géothermique ont été installés, sans compter l’utilisation des déchets de plantes issus du processus de distillation pour alimenter la chaudière à biomasse. Fort de cette médaille d’or de la durabilité, le site dans sa globalité entend préserver la biodiversité et la protection des espèces naturelles de la région, y compris les chauves-souris et les oiseaux.

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Structure autoportantes

A l’entrée de la distillerie comme une paire de griffes jaillissant des fenêtres des bâtiments historiques, les deux serres aux enveloppes vitrées autoportantes plongent dans la rivière. La plus grande des deux structures (9 m de diamètre par 15 m de hauteur) accueille un jardin méditerranéen, alors que la plus petite (9 m par 11 m) fait office de serre tropicale. Leurs vitrages s’apparentent à une forme plissée circulaire s’étirant depuis la base vers une coque supérieure, pour ensuite s’étrécir et venir se connecter au bâtiment adjacent. La géométrie aux formes libres est obtenue par la mise en place de verres bombés en usine, puis cintrés à froid in situ, et relié par l’intermédiaire de connecteurs spécifiques à une structure de plat inox en forme d’arc. La singularité technique de ces deux serres réside dans l’absence de contreventement métallique autorisé par le rôle important du verre dans la stabilité de l’ouvrage.

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Les alambics de cuivre logés à l’intérieur des bâtiments réhabilités semblent produire des racines aériennes dont les tentacules de verre prennent en charge la reconversion du site. Un hommage alambiqué de la marque de gin au Crystal Palace dans une ambiance que certains comparent déjà à celle du film Charlie et la chocolaterie.

Sophie Roulet

Bombay sapphire Distillery
Laverstoke Mill – London Road – Laverstoke
Whitchurch Hampshire RG28 7NR

http://distillery.bombaysapphire.com/

 

Courtesy Bombay Sapphire / Iwan Baan

 

 

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé : créature fantastique

Délaissant toute métaphore, Renzo Piano livre avec la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé “un petit bâtiment qui fait son devoir”. Au service du très populaire 7ème art, ce nouvel immeuble parisien conserve en son cœur, un trésor historique de plus d’un siècle. Visite commentée d’une réalisation aussi maitrisée qu’audacieuse.

Loin des effets de manche ou de crayon, l’architecte italien, lauréat du Pritzker Prize en 1998, entend “ne pas faire semblant ” et “dessiner sous la force de la nécessité qui est l’inspiration la plus pure pour faire des choses vraies ”. Sur l’avenue des Gobelins à proximité de la place d’Italie, le nouveau siège de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé fait désormais briller “une autre petite lumière culturelle dans la capitale” poursuit Renzo Piano, lors de son inauguration en septembre dernier. Atterrissant au cœur d’un ilot parisien, cette lanterne magique “s’accrochant là où elle pouvait”, s’est allumé, telle une “ Arche de Noé, s’il faut vraiment choisir une métaphore” précise le concepteur en réaction amusée aux divers noms d’oiseaux, de poissons ou autres créatures, donnés à la plus petite de ses réalisations.

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Sans enlever de droits aux riverains, le bâtiment s’inscrit avec brio dans le quartier comme dans la durée. Erigé sur cinq niveaux, il s’ouvre largement sur la ville au rez-de-chaussée mais aussi à travers la carapace de sa verrière coiffant les deux niveaux supérieurs de sept mille écailles d’aluminium anodisé perforé, toutes différentes dans leur découpe. Passant de la transparence à l’opacité d’une coque de béton projeté, l’édifice se ferme sur ses trois niveaux intermédiaires pour conserver la mémoire cinématographique. Equilibrant la lumière tout en se protégeant du rayonnement solaire, sa forme organique surprend telle une créature vivante se glissant sur sa parcelle exiguë, derrière l’emblématique façade sculptée par Auguste Rodin, pour l’ancien théâtre des Gobelins (édifié en 1869, transformé en cinéma dans les années 60 avant une fermeture en 2003).

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Sept ans de réflexion… ou presque

Après une commande directe passée à l’agence Piano dès 2008, la Fondation s’ouvre au public avec au sous-sol, une salle de projection de 70 places (destinée à faire revivre les chefs-d’œuvre du cinéma muet accompagnés en live par un piano), des espaces d’exposition permanente et temporaire, des ateliers pédagogiques, un centre de recherche et documentation au dernier étage sous verrière. Sur une surface totale de plus de 2200 m2, cet équipement rend aujourd’hui compte de l’évolution du 7ème art et de ses métiers à travers le parcours d’une entreprise créée en 1896, soit deux ans après l’arrivée des frères Lumière. Forte de la conservation de ses archives entre registres de présence, contrats signés avec les artistes, photos ou affiches de films, la compagnie Pathé retrace aujourd’hui l’histoire du cinéma notamment grâce à sa collection de plus de deux cents projecteurs et caméras commercialisés depuis 1897 jusqu’aux années 1980.
L’intérieur relativement luxueux de cette Fondation panache bois, acier et verre, pour un investissement dont le montant total non communiqué reste néanmoins dans un budget global de musée, précise le chef de projet Thorsten Sahlmann, avant quelques questions sur la genèse de cette créature.

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Forme organique

Tout en conservant la façade de l’ancien cinéma inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, le projet s’intègre dans une parcelle très contrainte pour laquelle “une forme géométrique s’est avérée inadaptée, explique Thorsten Sahlmann. La structure initiale était constituée d’un premier bâtiment, en devanture sur l’avenue, qu’un grand couloir reliait à un second, abritant deux salles de cinéma vieillissantes que nous avons démolies en 2009 pour construire un nouvel édifice culminant à plus de 25 m dont le rez-de-chaussée en verre aboutit sur un jardin de près de 200 m2.” Après nombre de maquettes, l’agence Piano a élaboré ce volume organique pour requalifier l’espace en offrant air et lumière aux immeubles voisins, libérant des vues tout en créant un jardinet.

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Cette forme surprenante ouvre la parcelle, offre de la transparence à la Fondation, et concentre “la volumétrie là où elle gêne le moins, précise le chef de projet. S’accrochant sur les murs pignons, là où il n’y a pas de fenêtres, la coque permet de retrouver des cours intérieures, dont l’étude d’ensoleillement supérieure à celle de l’existant nous a permis d’obtenir le permis de construire en 2008 après le feu vert de l’architecte des bâtiments de France. Dans ce projet organique, les espaces de la Fondation trouvent naturellement leur cohérence ”. Et de conclure conclut “ selon les contextes, cette écriture revient ponctuellement mais régulièrement dans le travail de Renzo Piano, du pavillon itinérant pour IBM (1986) au grand magasin Peek & Cloppenburg de Cologne (2005) où l’on retrouve des structures courbes en bois sans compter ses expérimentations en béton projeté des années 1970 ”.

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Enjeux techniques

Près de trois ans de chantier auront été nécessaires pour que la Fondation voie le jour. Tout au long de sa carrière, l’architecte génois a transcendé les enjeux techniques d’un édifice comme réponse à son contexte. Le défi constructif de la Fondation réside ici dans la mise au point de la coque en béton projeté sur un chantier difficile d’accès.

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“Pour réaliser cette peau à double courbure, nous n’avons pas pu réaliser un moule pour couler le béton, solution qui aurait couté trop cher. Nous avons donc développé avec nos ingénieurs un système de guides ou lames en métal crantées, découpées au laser selon nos dessins, pour tenir l’armature sur laquelle le béton est projeté. Cette coque structurelle relie les planchers et assure le contreventement du bâtiment en ramenant tous les efforts vers le noyau périphérique. Les vitrages à double courbure de la verrière ont quant à eux reçu une Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx), certifiant la mise en œuvre de cette innovation, qui représente une première française.”

Si la Fondation reste le plus petit projet du Renzo Piano Building Workshop, l’agence travaille actuellement sur des projets d’envergure franciliens tels la future Cité judiciaire dans le 17e arrondissement (61.500 m2) et la nouvelle Ecole normale supérieure de Cachan (64.000 m2) attendues d’ici trois à quatre ans. À suivre.

 

Crédit photos: Collection fondation Jérome Seydoux-Pathé – RPBW/Michel Denancé

Sophie Roulet

Paru dans Archicréé n°368

Redécouvrir Auguste Perret

Redécouvrir Auguste Perret

Après le classement en 2005 de la ville du Havre au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, l’œuvre d’Auguste Perret achève sa traversée du désert. Huit « chefs d’œuvres » parmi ses nombreuses réalisations, ont été exposés l’an passé, pour une rétrospective dans les murs même du Palais d’Iéna que l’architecte érigea en 1939. Sa dernière œuvre méconnue voire oubliée, le Centre de Recherche de Saclay, conforte cette (re)découverte à travers la restructuration du restaurant du CEA, construit au début des années 50. « Réinterprété de manière contemporaine » par l’architecte Olivier Delaittre pour reprendre ses termes, cet édifice se veut emblématique de l’architecture développée par Auguste Perret sur le site de Saclay dont le cœur historique se noie aujourd’hui dans une banlieue de bâtiments de béton rose construits “à la manière de”.

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En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français décide de doter le pays d’un grand centre d’études nucléaires aux portes de Paris. Auguste Perret défend l’idée d’un “Palais des Sciences” ou “abri permanent à la ligne monumental” pour incarner l’excellence et la modernité. Face aux tenants d’une architecture “légère” à démolir et reconstruire en fonction des besoins, sa conception d’ “abri souverain” l’emporte et une vingtaine de bâtiments en béton verront le jour sur ce nouvel ordre architectural. Prenant en compte les contraintes scientifiques, le plan masse évoque le classicisme de Versailles, déterminant des îlots aux façades rythmées par des colonnes et panneaux de béton rose. Achevé en 1952, deux ans avant la mort de l’architecte, le restaurant illustre cette architecture rationaliste dont la structure béton trouvait ses références dans l’antiquité.

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Au fil du temps, des aménagements successifs (sans compter l’extension d’une cuisine adjacente en bardage dans les années 90) ont parasité le parti d’origine. Pour le remettre en valeur, l’agence Olivier Delaittre a libéré le volume de la salle à manger en tirant parti des sheds, tout en intégrant avec habileté les éléments nécessaires au confort thermique et acoustique. « Pour atténuer l’impact de la cuisine en bardage métallique, un habillage d’étroites planches irrégulières de bois massif pré-patiné gris en autoclave évoque les empreintes des coffrages encore visibles sur la structure béton d’origine. Pour le confort acoustique, de nombreux dispositifs sont mis en place tels les doublages en plâtre perforé, enduits absorbants, cloisons basses et mobiliers en stratifiés micro-perforés, ou intrados des sheds vêtus d’un complexe amortisseur paré de fines lames de bois » précisent les architectes de cette délicate réinterprétation.

S.R.

Paru dans Archicréé numéros 367

Courtesy CEA/Julie Delaitre-Vichnievsky

Tatouages architecturaux aux magasins généraux

Tatouages architecturaux aux magasins généraux

Après la piscine Molitor, temple du graffiti, les Magasins Généraux, monument des années 30 d’un autre genre, en deviennent, la cathédrale.
Au tournant des années 2000, des graffeurs s’emparent de ces ateliers à ciel ouvert pour les matraquer de tatouages. Histoire parisienne du street art alors que le fameux vaisseau de Pantin fait peau neuve pour abriter l’agence de publicité BETC, en 2016.

Avant sa réouverture, la piscine Molitor en sursis enfermait dans son triangle de béton, paraphes et signatures de près d’une centaine artistes. De Busy Bee à Xare en passant par John One, tous avaient investi les bassins abandonnés d’un orage de couleurs et de formes, alors que les façades extérieures de l’édifice restaient muettes et décrépites. En Avril 2001, une « Rave Party » réunissait pour une sorte d’attentat sonore, près de cinq mille personnes dans l’énergie de ces tatouages contemporains. Si toutes les traces de ce passé ont désormais disparu, la nouvelle « Molitor » tente d’y rendre hommage notamment à travers l’exposition « Under the wave » où jusqu’en novembre dernier, le « street art » réinvestissait les lieux de manière beaucoup plus conventionnelle. Dans le sillage de ce « temple » qui protégeait son trésor, les Magasins Généraux de Pantin entendent aujourd’hui célébrer sa mémoire de « cathédrale » à l’imposante structure béton recouverte de graffitis, à l’intérieur comme à l’extérieur.

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De Paris à Pantin

Pour Karim Boucherka, « c’est en 1982, que l’on entend parler pour la première fois en France de la culture hip-hop, lorsqu’une radio, Europe 1 décide de promotionner la tournée mondiale du New York City Rap Tour. A côté des danseurs et rappeurs, trois grands noms du graffiti, Dondi, Phase 2 et Futura 2000 font découvrir un nouveau courant de peinture qui existe à New York depuis les années 70. » Il faudra attendre 1983 pour que les parisiens voient apparaître les premiers graffs aux lettrages stylisés, remplis à l’aide de bombes de peintures et signés des tags de leurs auteurs. Des quais de Seine aux terrains vagues dont celui de Stalingrad, le graffiti parisien se forge son identité stylistique. Au début des années 90, le mouvement se scinde entre graffeurs à la recherche de lieux tranquilles pour peindre, et tagueurs, friands d’illégalité et de sensations fortes qui maculent d’écritures impopulaires le métro et la rue. Les grands murs collectifs, comme le Third Millenium ou le Tibet Libre à Bagnolet en 1999, marquent la fin de la période des terrains vagues à Paris. Poussés hors de la capitale, les « graffeurs de terrains » comme les appellent péjorativement les « vandales », trouvent refuge dans les banlieues où il reste des lieux en friche pour peindre.

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« Lek vs Architecture »

Investissant en 2006, les bâtiments des anciennes douanes de Pantin, le graffeur Lek comme d’autres (Hoctez, Tchug, Honet ou encore Natio, Stone et Legz ) cherchent alors à inventer des styles s’ajustant à tous les reliefs et types de murs. « Quand nous sommes entrés pour la première fois dans cet endroit, nous avons juste fait une ou deux peintures avec le peu de matériel que nous avions apporté et nous avons passé le reste du temps à visiter pour en découvrir son potentiel. »

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Portails rouillés, salles en parpaings et murs en briquettes vont devenir des supports privilégiés dans cette immense structure offrant différents points de vue. Développant son « style parasitaire » à base de flèches pour épouser au mieux les reliefs, Lek met au point un concept qu’il nomme « Lek vs Architecture » pour notamment conquérir les façades intérieures du bâtiment. Si les magasins généraux au fil du temps sont de plus en plus visités pour Lek, « le principal est bien d’avoir été le premier dans les lieux pour pouvoir prendre la place qui me convenait sans contrainte». Cette histoire du « Graffiti général » se termine à l’été 2012, quand le comité départemental du tourisme du 93 confie en toute légalité dans le cadre de l’été du Canal, l’édifice aux graffeurs Marko, Popof et Da Cruz qui se concentrent quant à eux, sur les façades extérieures.

 

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Courtesy: Graffiti Général. Les magasins généraux (c) BETC, photo Yves Marchand et Romain Meffre

 

 

 

Béton blanc au jardin des Etangs de Gobert

Béton blanc au jardin des Etangs de Gobert

Réalisé par l’équipe composée de Michel Desvigne pour le paysage et d’Inessa Hansch pour la création d’un banc géant en béton blanc, le jardin des Etangs de Gobert à Versailles redonne vie à l’ancien bassin de stockage des eaux construit au XVIIe siècle pour alimenter les fontaines du Château. Situé dans la continuité d’une des trois branches du « trident » urbain d’André Le Nôtre, ce nouvel espace vert de 6500 m2 – contenu par un mur en pierres de meulière – possède en son centre, une gigantesque assise constituée de 56 blocs de béton blanc, juxtaposés les uns aux autres. Elément phare et unique objet du jardin, sa silhouette minérale émerge du sol pour que “tout le monde puisse s’asseoir sur un même banc”, dixit sa conceptrice.

RCR arquitectes : La Cuisine de Nègrepelisse

RCR arquitectes : La Cuisine de Nègrepelisse

Greffe réussie par RCR

Dans les ruines du château de Nègrepelisse, l’agence catalane RCR Arquitectes a implanté, le premier centre dédié à la création contemporaine en Tarn et Garonne. Avec pour thématique l’alimentation, ce nouvel équipement se fait aussi pionnier du genre en possédant sa propre cuisine d’expérimentation.

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Reconnu en France pour la réalisation du Musée Soulages à Rodez et par ses recherches théoriques menés depuis une vingtaine d’années sur le paysage, le trio Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vilalta (RCR) vient de livrer non pas une, mais “La Cuisine” de Nègrelisse, village de 5000 habitants à 15 kms au nord de Montauban.
Basés dans leur ville natale d’Olot au Nord-Est de l’Espagne, les architectes catalans, lauréats du concours lancé en 2008 par la commune, ont réussi à faire revivre les ruines de cette forteresse du XIII ème siècle par une greffe sensible au paysage. Dans cette opération respectueuse du lieu, l’imbrication d’une structure horizontale redessine l’ancienne cour du château pour l’offrir « en cadeau au village qui pourra y faire ce qu’il veut », a souligné l’architecte Ramon Vilalta, lors de l’inauguration de « La Cuisine » en juin dernier.

Caractérisé par la présence de tours et remparts mêlés aux anciennes habitations, les ruines de ce bâtiment du XIIIème siècle traçaient les contours d’une vaste cour intérieure destinée à la vie de la communauté. Reprenant les plans du Moyen Âge, les architectes ont réactivé cette place d’un millier de mètres carrés environ, en construisant face à face deux structures en verre et acier Corten adossées aux remparts. Lumière et paysage pénétrent désormais dans la forteresse.

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Cuisine expérimentale

S’ouvrant de plein pied sur sa grande cour intérieure, “La Cuisine” est le seul centre d’art en France à avoir une cuisine d’expérimentation, en plus d’un atelier pour les artistes et les designers accueillis en résidence. Cette nouvelle structure (d’un coût total de 3,6 millions d’euros pour une surface construite de près de 900 m2), abrite un auditorium de 68 places, une salle d’exposition de 160 m2 et un centre de documentation spécialisé en art contemporain et design niché dans une tour du château très bien réhabilitée. Pour ce lieu de culture, qui se veut vivant et en lien avec son territoire rural « l’alimentation s’est imposée comme une thématique fédératrice dans l’un des premiers départements producteurs de fruits et légumes » précise la directrice du centre, Stéphanie Sagot.

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Cette intervention contemporaine se fond habilement dans les traces de la structure moyenâgeuse pour questionner aujourd’hui, us et coutumes liés à la table. “La Cuisine” accueille pour l’été, une exposition des faïences de l’artiste plasticienne franco-américaine Suzanne Husky, réalisées avec des céramistes de la région, ainsi que toutes sortes d’activités pédagogiques autour de l’alimentation.

S.R

Paru dans Archicréé n°367

La Cuisine
Centre d’art et de design
Esplanade du château
82800 Nègrepelisse
www.la-cuisine.fr

Documents : Courtesy La Cuisine/Photos Yohann Gozard

YMER&MALTA : Feu de tout bois

YMER&MALTA : Feu de tout bois

Après le marbre et le cuir, la galerie YMER&MALTA a décidé de faire travailler les designers Benjamin Graindorge, Sylvain Rieu Piquet, Normal Studio et Sébastian Bergne sur une nouvelle collection en marqueterie de bois. Deux ans de collaboration avec les artisans (menuisiers, ébénistes, marqueteurs, vernisseurs) auront été nécessaires pour définir les différentes essences et types de vernis en fonction de chacun des projets. Le bahut de Benjamin Graindorge a nécessité la découpe millimétrique de près de trois mille pièces de seize essences de bois naturels (sycomore, frêne, tilleul, cèdre, ébène de macassar et différents chênes, …). Editions limitées à une petite dizaine d’exemplaires pour cette collection intitulée Feu de tout bois.

Philippe Starck, le nuage et l’architecture

Philippe Starck, le nuage et l’architecture

L’ouverture aux adhérents le 1er octobre dernier du Nuage – centre de bien-être et santé de 3000 m2 commandé par le Groupe Roxim à Philippe Starck – a finalement bien eu lieu malgré les récents caprices… du ciel ! En effet, deux jours auparavant c’est un vrai déluge qui s’est abattu sur Montpellier et la bulle capitonnée imaginée par l’ex-enfant terrible du design français a bien failli se muer en bouée ou flotteur dans le quartier de Port Marianne inondé. Doit-on dès lors y voir une arche de Noé… gonflable ?
Une semaine plus tôt, son concepteur accordait un entretien matinal à Archicréé pour évoquer sa nouvelle réalisation architecturale au regard de sa réflexion et son parcours professionnels. Dopé par le petit déjeuner bio préparé par sa femme qui sembla servir de sablier à notre rencontre, l’interview programmée se mua en une sorte de prêche – non sans conviction ni provocations – sur sa foi en la création et… sa mission de designer !

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Cette nouvelle expérience architecturale a trait au corps et au bien-être qui sont au cœur de votre travail depuis bien longtemps déjà…

Philippe Starck. J’ai passé toute ma vie à essayer de rendre service avec ce que je savais faire, avec mes petites intuitions, mes petites obsessions. Mais il faut quand même y voir là l’idée quasi mystique – issue il est vrai d’une éducation religieuse assez lourde – que quand on naît on signe un contrat avec sa communauté. Un des éléments importants de celui-ci – il faut bien mériter d’être là – et une des façons de l’honorer nous impose de servir notre communauté ! Donc c’est ce que j’ai fait et continue à faire avec plus ou moins de talent, de travail, beaucoup de naïveté, d’énergie et de créativité, avec des visions les plus avancées et élevées possibles, quand c’était possible, avec vigueur, rigueur et une certaine éthique. J’ai ainsi essayé toute ma vie de me rapprocher de l’humain en lui étant de moins en moins extérieur. C’est pour cela que j’ai même eu des aventures « bio » de vêtements – y compris pour des bébés –, de nourriture, de restaurant végétarien où j’ai beaucoup innové ; le catalogue Good Goods est à lui seul une somme d’innovations. Se rapprocher du corps, rentrer humblement dans le corps m’intéresse. La santé m’a toujours importé pour une raison mécanique assez simple : avoir un corps en bonne santé c’est évidemment bien pour le corps mais pour moi il doit l’être avant tout parce qu’il est le support du cerveau et que ce dernier doit être bien portant pour produire de belles idées généreuses. Quelqu’un de malade ne peut pas faire : étant en survie, il lui est hélas presque impossible de se mettre au service de l’autre. Il est de notre devoir d’être en bonne santé.

Revenons au Nuage…

Quand la famille Pigeon de Montpellier m’a demandé de venir y faire un centre de santé avec gym, crèche, ostéo, médecin, piscine et plein d’autres choses comme cela, j’ai accepté car cela correspondait assez bien à ma philosophie générale. Puis, on se demande ce qu’on va faire ? Ma posture naturelle est d’aller au centre des choses ; je ne suis pas un homme de l’autour, j’essaie d’être essentiellement un homme de l’essentiel malgré des apparences parfois fantaisistes. Alors qu’y a-t-il au centre d’un centre de santé ? Et bien il y a la vie ! On parle d’y améliorer la vie, de la prolonger, de la sauver. Cela devient dès lors un peu plus passionnant que le jogging du matin. Parler de la vie, c’est la protéger. Et un de mes grands axiomes – sans être prétentieux – c’est de dire que plus il y a de matière, moins il y a de vie, d’humain, d’humanité !
starck_8 On a donc essayé d’avoir un lieu propice à la vie qu’on a entouré du moins possible. J’ai donc construit une étagère la plus simple, la plus standard, sur laquelle j’ai déversé – plus exactement, j’ai laissé déverser – un chaos fait de petites boîtes imaginées par chacun en fonction de ses envies et besoins. L’ostéo l’a faite en plastique… mauve – parce qu’il aime cette couleur –, le monsieur de la balnéo l’a voulue en carrelage pour l’entretien et jaune parce que ça lui plaît, le médecin l’a faite en agglo car adepte du bois. Ainsi a-t-on organisé le tout comme un village à la va comme je te pousse ! C’est à dire en contrôlant à peine ce qui s’y passe, refusant de porter tout jugement sur les raisons ayant motivé les choix des uns et des autres, à commencer par l’esthétique. Finalement c’est plutôt une sorte de favela verticale, un village de santé vertical très flexible, très ouvert, d’autant que personne ne savait précisément comment allait vraiment fonctionner ce bidule. C’était vraiment appelé à n’être qu’une cloison, une cabane qu’une après-midi doit suffire à changer ! De toute façon, la vie exige la flexibilité, la souplesse et la fertilité inhérente à cette dernière.
J’ai donc fait mon village vertical au minimum. Et la seule façon qu’il y ait le moins possible, c’est une feuille d’éthylène d’un dixième de mm d’épaisseur (je crois) tendue par ce qui fait le souffle même de la vie : le vent, l’air. On a ainsi fait un immeuble gonflable ! Je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup dans le monde, en tout cas peu en Europe et encore moins en France. Le Nuage doit faire partie des précurseurs en la matière ! Cela a d’ailleurs été extraordinairement compliqué à mettre en œuvre parce que cela tient encore du prototype avec nombre de gens qui disent qu’ils savent le faire alors qu’ils ne le savent pas. Je crois que l’on a du changer quatre fois d’entreprises. J’avais ce que je voulais, à savoir mon village fertile où les gens font ce qu’ils veulent, reçoivent la lumière de l’extérieur et les vibrations de la ville. Il est totalement transparent ou plutôt translucide, à cause de choses thermiques. Les automobilistes passant devant sur ce grand axe verront les gens s’agiter, avec des couleurs, des projections, des personnes qui nagent, qui courent, qui bougent. C’est donc assez prosélyte et va dans le sens d’encourager les passants à venir dans cet endroit pour conserver et améliorer leur santé. Le succès est très clair : avant même d’ouvrir, le break financier à 1000 adhérents était déjà largement dépassé dès la première semaine des inscriptions – plus près des 2000 je crois. Le côté « appelant », « teasant » de l’objet intrigant a très bien marché !
En fait, c’est une étagère avec plein de boîtes mise sous cello-derme, sous film rétractable, sous blister quoi ! Mais il y a vraiment très peu de matière ! C’est l’idée même, l’échine de la chose.

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Et l’architecture dans tout cela ?

Justement, il y a un autre aspect qui m’intéresse presque autant, c’est que l’architecture ne doit plus être une architecture issue de la culture, de l’art ou encore de l’esthétique. L’urgence pour moi, c’est qu’elle résulte du social et de l’économie. Je l’ai déjà approchée à l’Alhondiga, livré en 2009 à Bilbao. Ce bâtiment, quand on me l’a proposé, je me suis dit – comme pour le nuage – qu’il ne fallait pas que ce soit l’œuvre de quelqu’un mais la propriété des citoyens de la ville. Dans l’état actuel de la Terre à tous égards, il faut revenir à la notion écologique de l’Economie, de son élégance, de sa philosophie. J’ai décidé que mon seul travail serait celui du respect religieux de cette philosophie économique et constructive. Un minimum optimisé de boulons, aucune matière de recouvrement, aucune peinture décorative. Les matériaux ont été choisis intelligemment pour des raisons techniques : la brique parce que c’est plus léger donc moins de structure. Des fenêtres en arcs métalliques parce qu’une lame de métal c’est plus simple à monter et ainsi de suite. L’Alhondiga a connu un succès populaire ; la ville et sa population se l’ont appropriée immédiatement : les gosse dans tous les coins, les gens ravis. Le maire m’a dit « Philippe c’est incroyable dans un climat politique local pourtant très tendu, même l’opposition n’a rien pu dire parce qu’on a été en-dessous du budget – une première ! ». C’est la réussite d’une certaine vision, d’une lucidité sur notre état réel. Quand on arrive de l’aéroport, on passe devant le Guggenheim – formidable, Frank Gehry à son mieux – et à moins d’un kilomètre on découvre l’Alhondiga : ce n’est pas un voyage de 800 m que l’on vient de faire mais un saut de 30 ans ! A mes yeux, c’est un raccourci de l’histoire de l’architecture de ces 20 dernières années : on voit le bâtiment de Gehry tout en titane qui est super mais aussi sur-coûteux, qui appartient à une époque où l’on mettait l’argent dans le ventilateur (pour reprendre l’expression américaine) alors que pour moi l’Alhondiga est un bâtiment en totale cohérence avec nos possibilités actuelles d’économie énergétiques. Tout comme le Nuage c’était une proposition viable pour l’ère post Dubaï !

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Le Nuage a donc été régi par ces strictes lois où je n’ai même pas choisi les poignées de portes ni même une couleur. Le seul style, la seule mode acceptable c’est la liberté de choix et la reconnaissance des différences de l’autre. En fait, je me mets de moins en moins, voire plus du tout, en arbitre du goût.
On y a donc suivi cette double philosophie sur la vie et sur l’Economie ! Alors cela s’est révélé un peu plus compliqué car moins économique que prévu, que rêvé, du fait de tous ces claquages d’entreprises du gonflable (on est passé du Vénitien à l’Espagnol puis à un Allemand pour finir avec un autre Espagnol) qui nous ont fait perdre du temps et de l’argent.
Les gens ont l’air très contents du Nuage. J’ai demandé à son voisin, Franck Argentin, quelles en étaient les réactions. « Nous sommes personnellement hyper contents car on se sentaient encore un peu seul ici et puis c’est une très jolie balance avec notre bâtiment très matériel de Jean Nouvel et le Nuage totalement immatériel ! (L’immatérialité est quand même ma grande obsession, ma grande ligne.) Les gens sinon étaient très inquiets jusqu’à ce qu’on gonfle la peau au dernier moment et là cela a déclenché l’enthousiasme. »

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Vous semblez vous être juste contenté de donner une impulsion très forte au démarrage ?

Non, non pas du tout, nous avons tout, tout dessiné. Stefano Robotti – mon chef de projet architecte – a offert au propriétaire le recueil contenant l’ensemble des plans et croquis du projet soit plus de 1200 pages ! Tout a été dessiné, presque tout anticipé – malgré les aventures en cours de projet et les arbitrages budgétaires. C’est un bâtiment très tenu par les sous, plus coûteux que ce que ma philosophie d’économie m’incitait à faire.
J’aurais aimé mettre au point un système de cloisons plus mécaniquement élégant qu’on a du simplifier. J’aurais voulu être dans un high-tech économique et on est tombé dans un low-tech sur-économique. Il y a eu aussi de gros enjeux avec le feu, les fumées, les isolations… ce qui alourdit beaucoup de choses ! Le Nuage c’est malgré tout un bâtiment gonflable qui aujourd’hui est encore une aventure, je le répète !

Avez-vous l’impression que n’étant pas architecte et faisant plutôt du design global vous avez pu ainsi vous libérer d’un certain nombre d’idées reçues, préconçues ?

C’est clair ! Moi, plus par réalité, que par volonté, et par nature, je n’ai jamais fait partie de rien ; je suis structurellement un solitaire et un outsider. M’ennuyant assez vite, seules l’aventure et la découverte m’intéressent ; je suis un explorateur qui – moitié par hasard, moitié par tradition familiale – s’est retrouvé à dessiner des projets. Mon Starck_nuage_4père fabriquait des avions, je fais la même chose mais en moins bien ! Pour moi que ce soit un avion, une brosse à dent, une chaise, un immeuble ou une ville, de la nourriture, c’est strictement la même chose ! J’ai un respect total, global pour tout. J’aurais même tendance à dire de façon plus provocante qu’il est beaucoup plus difficile de réussir une chaise – ou certains produits industriels – que de dessiner un immeuble ! Dans la conception et la construction d’un bâtiment, il y a plein de choses que l’on peut récupérer ou bien camoufler alors que pour une chaise monolithique en polyéthylène injecté il y un moule pour lequel on investi trois millions d’euros : si on se trompe d’1 mm cela se voit ! Je n’ai donc aucune ambition d’architecture, j’aurais pu en faire bien plus … Mon souhait en la matière que je réaliserai peut-être un jour serait de réussir vraiment à industrialiser l’habitat, pour y avoir la qualité de l’automobile au prix de l’industrie. Mon seul maitre en architecture demeure Jean Prouvé ! Je viens de me construire une maison préfabriquée portugaise en 45 jours pour le prix d’une voiture, en verre et en bois, formidable ! Et c’est là qu’on s’aperçoit que l’on pas besoin d’avoir beaucoup plus !
Vous savez, pour quelqu’un qui est presque au centre du système il n’y a pas plus libre que moi : je fais ce que je veux quand je veux… mais surtout je fais ce que je peux avec qui je veux ! Toutes les réussites sont les miennes, toutes les erreurs aussi !

 

 

 

Courtesy Roxim / Philippe Stark

 

 

UN City à Copenhague : AsterX onusienne

UN City à Copenhague : AsterX onusienne

UN City – Copenhague, Danemark

Implanté au nord du centre-ville de Copenhague, UN City, le nouveau bâtiment des Nations Unies, se développe sur un plan en étoile à 8 branches et accueille près de 2000 employés. C’est le gouvernement danois qui en a financé la conception et la construction pour y rassembler tous les organismes onusiens présents à Copenhague. En effet, huit de ses institutions sont désormais présentes dans la capitale danoise – en plus de l’OMS – à savoir le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et celui pour l’enfance (UNICEF), le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’entité pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) ainsi que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) affiliée à l’ONU.

Cette astérisque de métal est l’œuvre de 3XN Arkitekter, une dynamique agence danoise – fondée en 1986 par trois membres de la famille Nielsen – ayant tirée sa renommée de plusieurs de ses réalisations maritimes (l’aquarium Blue Planet de Kastrup, le Musée de Liverpool ou encore le Musiekgebouw d’Amsterdam). Implanté sur une île artificielle du port, ce grand édifice tertiaire se trouve naturellement isolé de son contexte immédiat, tout en étant très visible de la ville comme de la mer. Son plan en étoile est une référence évidente au rayonnement mondial de l’institution internationale. Il reflète les valeurs partagées et la volonté de travail commun et de collaborations efficaces, tout en affirmant l’autonomie de chacune des entités.

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Un bâtiment de… paix

Sur un môle entre rade et darse, son architecture se dresse telle un grand vaisseau blanc à l’image des paquebots ancrés à proximité, son socle revêtu d’acier bruni faisant référence aux pontons métalliques avoisinants. Abritant quelque 1800 employés, le bâtiment devait répondre à des contraintes extrêmement élevées de sécurité tout en offrant à l’espace urbain une image ouverte et accueillante. Les activités et services se déploient donc à partir d’un pôle central. L’atrium au centre de la vie de l’équipement offre des liaisons visuelles et physiques entre toutes les unités. Son vaste volume coiffé d’une verrière zénithale est baigné de lumière naturelle. Un escalier sculptural d’échelle monumentale relie tous les niveaux, symbolisant le dialogue entre ses hôtes et la coopération internationale. Contrastant avec les lignes sobres et le blanc omniprésent, sa conception en élégantes volutes et sa matérialité – panneaux extérieurs en mdf laqué noir et face intérieure en placage de chêne clair – renvoient à l’image raffinée et chaleureuse d’un grand piano à queue. Les généreuses dimensions des volées et paliers favorisent les rencontres et les discussions informelles.

[rev_slider UN_City2] Aménagés dans les branches de l’étoile, tous les plateaux de bureaux présentent un plan ouvert et flexible autorisant à la fois l’interaction et la concentration individuelle. Tous les espaces de travail bénéficient d’un parquet bois, d’une abondante lumière naturelle et d’une bonne ambiance climatique. Jouissant de vues panoramiques, la proue de chacune des ailes est aménagée en open space, le back office et les équipements communs occupent la zone médiane tandis que les postes de travail – organisés en cellules simples ou doubles – se répartissent le long des façades vitrées. Des volets en aluminium perforé blanc spécialement développés par 3XN et Pihl A/S garantissent le contrôle de l’ensoleillement sans occulter les vues ni la lumière. Divisé en modules de 3 m de long, le dispositif permet aux employés d’en contrôler individuellement le positionnement à partir de leur ordinateur. Outre le réglage de la luminosité, la mobilité des volets crée une animation aléatoire des façades qui exprime l’activité intérieure de l’immeuble. Le niveau qualitatif de l’environnement de travail est encore renforcé par la mise en place d’une politique de bien-être avec l’aménagement de zones de détente végétalisées.

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Une architecture éthique

Dans le même esprit, la construction a limité les usages de matériaux et produits polluants. L’édifice est entièrement ventilé avec de l’air extérieur filtré, donc frais et pur, qui contribue à équilibrer le taux d’humidité de l’ambiance intérieure. Le système de rafraichissement fonctionne grâce à l’eau de mer pompée, sans recours complémentaire à l’énergie électrique. Par ailleurs, la récupération en toiture des eaux de pluies fournit environ 3 millions de litres d’eau par an qui suffisent à alimenter la totalité des sanitaires. En outre, 1400 panneaux solaires générant 297000 kWh/an équipent les toitures. C’est pourquoi UN City figure parmi les bâtiments danois les plus efficaces énergétiquement avec une consommation annuelle de moins de 50kWh/m2. La mise en œuvre de matériaux écologiques, la réduction des déchets, un impact réduit sur les écosystèmes environnants, l’efficacité énergétique et une consommation d’eau raisonnée, lui ont ainsi permis d’obtenir le niveau LEED Platinium.
La construction de cet équipement tertiaire éthique et attentif aux usagers symbolise tout à fait l’engagement des Nations Unies à protéger l’environnement et à promouvoir le développement durable.

Gabrielle Sandwert

Paru dans Archicréé n°368

 

FICHE TECHNIQUE

Surface, 45 000 m2 de bureaux et équipements publics + 7000 m2 archives et services.
Livraison, décembre 2012 (phase 1), décembre 2013 (phase 2).
Coût, 134 millions €
Maitre d’ouvrage, FN byen p.s.
Maitre d’œuvre, 3XN Arkitekter.
BET ingénierie, Orbicon.
Paysagiste, Schønherr.
Entreprise générale, Pihl A/S.
Architecture intérieure, PLH avec UN Common services, space planning.

Sète enfante son musée de la mer

En livrant à quelques semaines d’intervalle deux musées dans l’Hérault – celui de la Mer à Sète et Médard à Lunel –, les architectes nîmois Nicolas Crégut et Laurent Duport donnent corps à deux équipements municipaux que leur budget mesuré ne prive pas d’âme !

« En avant la barque rouge, en avant la barque bleue ! »
Qui n’a jamais entendu cette phrase magique signal du départ des joutes dans les ports de Sète, Palavas, le Grau du Roi et tant d’autres de la Côte et d’ailleurs ? Désormais dans la bonne ville de Brassens, Valery et Vilar, elles ont leur musée dit de la Mer, avec costumes, instruments, lances, trophées, souvenirs, etc. S’y ajoute un second ensemble consacré à l’histoire économique et sociale du port depuis sa fondation au XVIIe siècle ainsi qu’à l’exceptionnelle collection d’André Aversa. Ce charpentier de marine a fait don à sa ville natale de 14 maquettes ciselées de ses propres mains et classées en 2010 à l’inventaire des monuments historiques : quoiqu’à échelle réduite, certaines dépassent pourtant les 2 m de longueur.

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Reconversion muséale réussie

Sur le Mont Saint-Clair – à proximité du cimetière marin, du Sémaphore, du musée Paul Valery et du Théâtre de la Mer –, l’Institut français de recherches pour l’exploitation de la Mer (Ifremer) au tournant de l’an 2000 laisse inoccupé une de ses antennes, vite squattée, dévastée, recouverte de tags moins que médiocres. Récupérée par la Ville pour accueillir un nouveau musée, cette pauvre chose au bord du gouffre, hier pantelante, vient de renaître tel qu’en elle-même mais radicalement nouvelle à l’image d’un phœnix. Remarquablement adapté à son objet, vous n’y verrez pas l’architecture d’un côté et la collection de la l’autre ; l’une travaille pour l’autre et réciproquement. Le musée ouvert, tout cela coule de source. Il a pourtant fallu batailler, nettoyer, conforter, adapter, passer aux normes, en particulier réaliser une isolation thermique par l’extérieur. Et d’abord choisir quoi éliminer et que garder. Malgré ses coups et blessures, le bâtiment très fifties – bien que construit dans les années 70 – ne manquait pas de qualités. A part un rajout côté ouest aux allures de préfabriqué, il tempérait sa modernité de douceurs balnéaires avec ses toits en pente et tuile canal, son étage en balcon sur la mer, ses grandes et longues fenêtres.

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De vrais architectes à la barre

Nicolas Crégut et Laurent Duport ont tranché en faveur d’une austérité blanche – hommage au Corbusier des années 20 – mâtinée d’abstraction venue de l’Espagne contemporaine. Côtés ouest et Grande Bleue, masses et découpages s’imposent sans sourire contrairement aux élévations est et nord, très composées, travaillées en profondeur, entités à la fois indépendantes et articulées.

[rev_slider sète01] Du trottoir de la rue Jean Vilar, impossible de résister à l’envie de gravir les quelques marches du bel escalier qui conduit en douceur à l’entrée. Début de parcours. Comme le blanc universel des façades, celui des salles – exceptés les sols de résine sombre – accentue la fluidité du plan de cet unique niveau d’exposition. Les deux tiers restant du bâtiment servent aux pôles Culture, Animations et Festivités municipaux glissés, avec les réserves et les locaux techniques, dans la pente, aux niveaux – 1 et – 2. Prenant côté mer la lumière du sud, d’étroites fenêtres horizontales scarifient l’intérieur du musée de deux bandeaux continus, l’un au sol, l’autre à hauteur des yeux. Entre eux, se glisse la longue frise de l’histoire chronologique du chantier naval, ainsi intimement mêlée aux vues sur la falaise, la mer et là-bas l’horizon. Au milieu de cette grande salle, les tables en L – en multiplis de bois plaqué de hêtre avec capot de plexiglas (polyméthacrylate de méthyle) – mettent en scène les maquettes à 75,5 cm du sol. Facile donc d’en faire le tour, de les observer et d’en scruter l’étonnante précision.

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Impression d’air, de liberté de parcours filant que ne gênent pas les fins potelets d’acier substitués aux voiles béton démolis. Supportant la toiture, ils évitent non seulement d’avoir une structure proche de la façade et des meneaux trop importants, mais autorisent aussi les longilignes baies panoramiques sur la mer. La pente du plafond (en plaques de plâtre acoustique perforées) – vestige du toit d’antan désormais invisible de l’extérieur – appuie la dynamique du parcours poursuivie dans quatre autres petites salles dont une dédiée au multimédia.
Bref, ni grand geste, ni effet de manche, rien que de l’utile… très agréable !

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A Lunel, entre Nîmes et Montpellier, la même agence vient d’achever la refonte en profondeur du Musée Médard et de sa belle demeure patricienne du XVIIIe siècle. Comme à Sète, la réhabilitation lourde couplée à la transformation majeure du cadre bâti vise ici à valoriser le fonds Ménard autour des métiers du livre, dont sa passionnante bibliothèque, et les mettre au service des visiteurs.
De par l’inscription de leurs collections dans l’histoire locale, dont elles ravivent la mémoire, et la parfaite adéquation de leur contenant/contenu, ces deux réalisations tirent une évidente légitimité au sein de leur territoire.

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FICHE TECHNIQUE

Musée de la mer
Rue Jean Vilar, 34200 Sète

Maître d’ouvrage, Ville de Sète.
Architectes, Nicolas Crégut et Laurent Duport (C+D architecture).
Chef de projet, Sophie Fernandez.
BET structure/fluides/économiste, Gromtmij Befs.
Ouverture, 15 mai 2014.
Superficie, 1064 m².
Coût travaux, 1.61 M € HT.
Délais, Etudes 12 mois, travaux 16 mois.
Macro-lot, SBPR.
Agencement muséo, Arscènes.
Doublage Façade : Aquapanel Outdoor de Knauf.
Sols coulés, Boulenger.
Luminaires, Concord de Sylvania.
Ascenseur, Thyssen.

 

Jean-François Pousse

Courtesy C+D Architecture/M. – C. Lucat

>Paru dans Archicréé n°369