Maison San Roque, Funchal, Madère, Portugal
Architecte : Antonio Fernandez Architects
Impossible de ne pas la remarquer en montant la rue du Dr João Abel Freitas au-dessus de Funchal, la capitale de Madère. Entre les villas traditionnelles et moderno-régionalistes toutes construites dans la pente, elle surgit en retrait d’un drôle de portail coulissant. En métal gris incisé de figures triangulaires, il fait penser à un alignement de menhirs stylisés. A part cette extrémité ouest, la maison Sao Roque étirée en profondeur de parcelle se dévoile peu. Discrète ? Pas vraiment ! Rien que sa couleur cendres attire les regards.

Sur une île d’origine volcanique cela ne manque pas d’à propos mais tranche avec l’habitat local traditionnel, quasi toujours blanc ou à peine coloré. Et puis, ce que la maison laisse entrevoir ne ressemble à rien de ce qui l’entoure.

Pour mieux comprendre, il faut passer le portail. Surprise, il ouvre sur une cour très travaillée avec à droite un parking au sol de plastique en nid d’abeille vert intense, aussi impeccable que la Porsche rutilante qu’il accueille. En partie glissé sous l’avancée d’une terrasse, ce car-porche ressemble aux vitrines des concessionnaires de voitures de luxe, éclairé à giorno par des plafonniers encastrés de verre opalin taillés eux aussi en triangles.

Affiche architecturale
En face du portail et à main gauche, au bout de quelques grandes dalles, grises encore mais cernées de galets blancs, le pignon ouest affirme la même volonté de ne rien cacher, voire de s’afficher. Ses trois niveaux, vitrés toute hauteur, dévoilent l’organisation intérieure. En pied, l’entrée s’abrite sous le porte à- faux en forme de soufflet des deux étages supérieurs, terminés en balcon terrasse aux garde-corps transparents. Juste après le hall, se succèdent un escalier taillé en arêtes de poisson puis une salle de home cinéma grand écran. Ouverte à l’est sur un patio intérieur aux murs de pierre sèche, elle s’orne d’une gigantesque photo en noir et blanc du pont de Brooklyn. A l’extérieur, au nord, un escalier donne sur une allée étroite, bordée des mêmes galets immaculés, serrée de près par le mur de soutènement amont. Elle conduit à une seconde entrée en rez-de-chaussée haut. Malgré l’absence de recul, toute la longue façade révèle sa composition crantée en trois parties distinctes, grises elles aussi, austères malgré la multitude d’ouvertures qui les entaillent, toutes affûtées en trigones obtus. En dépit de sa force, ce flanc septentrional n’est qu’une mise en bouche et il faut, traversant le hall et le salon, passer sur le côté sud pour enfin embrasser la maison dans toute son ampleur. Quoique globalement rectangulaire (de 15 à 27 m de largeur sur 40 m de longueur), la parcelle initiale paraissait d’autant plus biscornue qu’elle penchait vers l’ouest et le sud.

Occasion rêvée de creuser ici, de combler là, d’encastrer le rez-de-chaussée bas dans la pente, d’inventer une immense terrasse en partie au-dessus du garage, ouverte sur le paysage, la mer et l’horizon au loin, mais surtout sur la maison.

Entretenant une sorte de relation narcissique, ne se montre-t-elle pas pour mieux se contempler ? Ici l’ambiguïté entre architecture et sculpture est totale. Architecture sculpture ou bien l’inverse ? Couleur volcanique toujours, la façade ressemble à une enseigne géante dessinée à coup de méga-lettres (sorte de K, de M, de N) aux jambages épais, cisaillés de failles et de vitrages obliques calés au nu du parement extérieur. Figure du graphisme ou du design à l’échelle surmultipliée, elle se fait architecture, très composée, musclée, presque monumentale, développée en trois séquences, scandée de larges ouvertures en retrait, évidée du patio mentionné tout à l’heure. A cette grande mise en scène, la terrasse en patchwork de bois reconstitué, de gazon et de lames effilées de cailloux blancs sert de parterre. Au spectacle des corps autour de l’inévitable piscine bleue s’ajoute celui de l’architecture.

Généreuse fluidité intérieure
Avec 31 mètres linéaires, la maison avait de quoi multiplier les pièces. Au lieu de quoi aux rez-de-chaussée, bas et haut, elle enchaîne de vastes espaces fluides, ouverts, sans portes ni cloisons, sauf côté cuisine calée à l’est, ouverte en surplomb du patio. A l’étage, plus segmenté pour la vie privée, trois chambres seulement avec leur propre salle de bain sont desservies par un couloir généreux et un palier spacieux autour de l’escalier qui grimpe en toiture terrasse.

Invisible depuis le sol, cette dernière sert d’observatoire – d’ailleurs assez indiscret des maisons voisines qu’elle domine – et de belvédère sur le paysage, là-bas l’océan et les couchers de soleil. Rien ne gène la vue et surtout pas les garde-corps de verre clair. Le soir un éclairage sophistiqué, encastré dans le platelage vient zébrer le tout d’éclairs blanc et de reflets bleu, rare mais voyante concession à la couleur. Revenons à l’intérieur. A part les parquets de chêne (niveau bas et étage supérieur) et les marches menuisées des escaliers, tout est blanc ou d’un léger gris, à commencer par les résines des sols.


Tout y passe ou presque : portes, murs, plafonds, étagères, rangements, y compris les salles de bain (lavabo, toilettes, baignoire…) et la cuisine. Evidemment, là-dessus la lumière émanant des nombreux vitrages triangulaires fait son numéro mouvant, découpe surfaces et volumes en figures aiguës ou ouatées. La maison Sao Roque joue une drôle de partition, oscille entre tape-à-l’oeil et retenue.


D’un côté, indiscrète, voire impudique, elle affiche sa figure tapageuse, se dévoile à nu derrière ses grandes fenêtres, démarquée de ce qui l’entoure avec sa couleur des mauvais jours, sa toiture terrasse, sur fond d’habitat traditionnel à toit en bâtière et tuile canal. De l’autre, elle rejette toutes fioritures, se fait belle et généreuse avec des volumes intérieurs simples et fluides, épurés, sa blancheur accueillante et fraîche, ses grands yeux ouverts sur l’horizon. Maison « M’as-tu-vu » pour le propriétaire, signe extérieur de richesse ? Sans doute, mais qui au-delà célèbre le plaisir de concevoir, d’habiter, de s’affirmer contemporain, pour un investissement somme toute très mesuré.
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Jean-François Pousse
Paru dans Archicréé n°367
Courtesy Antonio Fernandez