Effet ou non-effet Bilbao, la réglementation thermique en question, une tour de Shanghai se retrouve à Hong Kong, un réalisateur film son père starchitecte, les étudiants d’architecture britanniques dépriment, un architecte algérien innove.
Pschitt?
« Le Louvre-Lens n’aura pas l’effet Bilbao escompté » : le propos est raide, surtout lorsqu’il est formulé par un docteur en science de gestion associé à l’Université Paris I, Jean-Michel Tobelem. Dans une lettre ouverte au monde, il souligne 10 points annonçant la possibilité d’un échec, parmi lesquels la faible attractivité de la ville, un concept muséal peu convaincant, une incapacité à toucher les milieux populaires. Pour éviter le syndrome de l’Eléphant Blanc, objet inutile et couteux, il suggère de changer la stratégie de médiation, d’inscrire le Louvre-Lens dans un réseau de musées régionaux, de mieux se lier à la métropole lilloise et de s’appuyer sur le classement unesco du bassin minier. Construit sur un ancien carreau de mine, le musée s’inscrivait initialement dans la continuité du patrimoine industriel. Aucune proposition en revanche sur l’architecture, dont l’aspect peu spectaculaire contribuerait selon Tobelem à affaiblir l’opération. Pourquoi ne pas la surélever avec un casque de mineur, pour donner à l’institution un aspect de hangar décoré ?
via Le Monde
Des flops, mais des tops
Il est peut-être encore un peu tôt pour annoncer l’échec du Louvre-Lens, estime de son côté La Tribune, qui consacre une série d’été en quatre épisodes à l’opération. Sans nier le manque de nervosité de la dynamique que devait susciter le projet, le quotidien rappelle que la transformation d’un territoire demande du temps et relève plusieurs points positifs. La dynamique touristique mobilise la population, qui se lance dans la création de gîtes, et les hôteliers constatent une embellie qui se ressent aussi sur l’emploi. Certes, l’hôtel 4 étoiles devra attendre 2018 pour être inauguré, mais son concept est original : ses 52 chambres ne seront pas concentrées dans un bâtiment unique, mais réparties dans 20 maisons de mineurs de l’îlot Parmentier, face au musée. Avant tout, le Louvre-Lens semble souffrir d’une conjoncture économique défavorable. Où sont les investisseurs ? se demande la Tribune. Le projet de tramway de 25 km reliant différentes communes de l’agglomération a été abandonné. Manuel Valls a annoncé le 29 juin le lancement d’un plan d’intérêt majeur pour la reconversion des cités du bassin minier, sous la conduite de Jean-Louis Subileau, qui a en son temps piloté Euralille et La Défense. Seul hic, aucun crédit n’a été affecté à ce projet. Sans attendre l’investisseur miracle, les responsables envisage de démarcher du coté du Benelux et des Pays-Bas, plutôt que de regarder vers Paris.
via La Tribune
Désastre à l’emballage
Suite aux attentats, c’est d’ailleurs l’ensemble du secteur touristique qui flanche. Les contrats de destination touristique tels celui que le Louvre-Lens a pu signer l’année passée avec le ministère des affaires étrangères seront-ils suffisant, si d’un autre coté, la législation met en péril le patrimoine national, ainsi que l’affirme le Canard Enchainé du 17 aout dernier. L’hebdomadaire satirique s’en prend au décret Royal rendant quasiment obligatoire l’isolation par l’extérieur depuis le 30 mai dernier. Un avant-après fourni par la SPPEF (Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France) présente la calamiteuse transformation d’une maison normande en pan de bois en pavillon bois préfabriqué suite à l’application d’un bardage devant isolant. Fruit d’une « alliance incongrue entre bétonneurs, ministre de l’environnement et parlementaire écolo, la loi part d’un constat imparable : 20 millions de logements sont mal isolés. Mais la solution imposée aujourd’hui évoque l’irruption d’un bulldozer dans la galerie des glaces de Versailles », constate le journal. Et étend un peu plus le territoire de la fameuse France moche, à l’échelle de la maison individuelle cette fois.
Hervé Liffran, « Un décret Royal met en péril le patrimoine », Le Canard Enchainé, 17 aout 2016
L’embarrassant bilboquet
Emballer les monuments au point de les rendre méconnaissables n’est peut-être pas une si mauvaise idée. C’est ce que doivent penser les concepteurs de l’affiche du film Arrival, (titre français Premier contact, sortie prévue en décembre prochain). Emmitouflée dans une bonne ITE, l’Oriental Pearl Tower figurant sur le coté gauche du poster promotionnel serait peut-être passée inaperçue. Voir cette tour de Shanghai aux allures de bilboquet photoshoppée dans un panorama de Hong Kong a provoqué l’ire des habitants de l’ancienne concession britannique, qui entretiennent de très mauvais rapports avec la Chine, dont elle forme une région administrative spéciale. Ce n’est pas comme si l’on avait mis la tour Eiffel à Helsinki : #Hong-KongIsNotChina, rappelait un hashtag tournant sur les réseaux sociaux. La bourde géopolitique rappelle l’importance d’avoir une solide culture architecturale dans une époque mondialisée, où chaque faux-pas est scruté par des milliers d’yeux, rappelle le magazine Architizer. La présence du gratte-ciel shanghaien donne une lecture ambiguë au titre « Pourquoi sont-ils là »? Une question que nombre d’habitants de Hong Kong doivent se poser à propos des ressortissants de leur puissant voisin s’installant en nombre dans le « port des perles ».
Via Architizer
Airbnb Déco
Ces incidents n’auront plus lieu quand tous les endroits seront les mêmes. Et c’est pour bientôt, d’après The Verge, qui affirme que les sociétés de la silicon Valley, et notamment Air B’nB, ont agit comme des moteurs puissants d’uniformisation de la décoration intérieure, au point que l’on puisse définir un nouveau style qu’ils baptisent AirSpace. Version roots hipster de la déco uniforme du Novotel, qui promettait à ses clients une chambre identique aux quatre coins du monde, l’AirSpace joue sur une gamme réduite d’éléments : bois récupérés, mobilier minimaliste, bière artisanale et toast à l’avocat, luminaires industriels, internet haut-débit. « Une profusion de symboles de confort et de qualité, tout au moins aux yeux d’un certains groupe de connaisseurs », selon le journal, qui rapporte le témoignage d’un jeune entrepreneur des nouvelles technologies regrettant de ne plus se déplacer à travers le monde que pour aller du même au semblable. Pauvres néo-nomades technos !
Via The Verge
Mijn Architect
Toujours en mouvement sur le globe, Rem Koolhaas mesure mieux que quiconque l’étendu de cet environnement normalisé qu’il avait théorisé sous l’expression d’espace générique. « Une première minute Rem Koolhaas enjambe les dunes de sables du Qatar, celle d’après il contemple les vaches dans un champs des Pays-Bas. Entre les deux, il relève l’horizon de Pékin depuis un hélipad au sommet d’un immeuble, erre dans les rues glacées de New York et s’échappe de l’étreinte d’une foule de fans à Venise, avant de plonger dans la mer pour attraper un moment béni de solitude », relate non sans ironie le Guardian en résumant le documentaire Rem, réalisé par Tomas Koolhaas, le fils de l’architecte. Le projet a été financé en partie sur Kickstarter, à hauteur de 32 000 US$ donnés par 121 « backers ». Le film reste frustrant, selon le Guardian, car on y apprend que peu de choses sur les méthodes de travail de l’architecte. « Particulièrement dans les scènes ou l’on aimerait vraiment pouvoir entendre les dialogues de Koolhaas avec l’artiste Marina Abramovic et le commissaire Hans Ulrich Obrist, jusqu’aux réunions houleuses avec les partenaires. Au lieu de ça, nous recueillons plutôt des platitudes égrenées au son d’un violoncelle mélancolique, qui font passer Koolhaas moins pour un radical que pour l’Amélie Poulain de l’architecture ». Tomas Koolhaas admet volontiers avoir réalisé le film d’un fils pétri d’admiration pour son père, qui apparait le plus souvent de dos sur l’écran. La soirée sera peut-être plus réussi en (re)visionnant Michael Kohlhaas?
Via The Guardian
British study blues
Engagé dans une carrière de réalisateur, Tomas Koolhaas n’aura pas à connaître les affres des jeunes étudiants en architecture, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne se portent pas bien, à la lecture d’une étude de l’Architects’ Journal, qui a mené l’enquête auprès de 450 étudiants du Royaume-Uni. « L’architecture a eu un effet négatif sur ma santé physique et mentale » affirme l’un d’eux, d’autres déplorent une culture professionnelle basée sur la souffrance pour l’art et son encouragement au sein du cursus d’études. Beaucoup craignent le fardeau de la dette des frais de scolarité – entre 30 000 et 70 000£ – un sur dix ne pensant jamais réussir à rembourser, au vu de la faiblesse des salaires et des nombreuses offres de travail pro bono.
the Architects’ journal via Dezeen
Success story algérienne
Pour s’en sortir, l’étudiant ou le jeune architecte est condamné sans cesse à l’innovation. Et cela peut marcher très bien, si l’on en croit la success story de cet Algérien devenu l’un des architectes les plus riche des Etats-Unis. « Sa fortune, il la doit à une technique architecturale 100% algérienne : la maison jamais finie. Bien qu’elle soit déconsidérée chez nous (à tel point que les autorités menacent les bâtisses construites dans ce style de démolition) la maison jamais finie fait un carton en Amérique » rapporte le site El Manchar. Les atouts ? Outre les délais records dans lesquels elle peut être réalisée, elle offre l’avantage d’évacuer les considérations esthétiques extérieures et de faire ainsi des coupes dans le budget de construction. « Notre architecture est fondée sur le concept de beauté intérieure » nous explique Abdelhak « la maison c’est comme une femme, ne vaut-il pas mieux qu’elle soit belle de l’intérieur et moche de l’extérieur plutôt que le contraire? ». Premières retombées des méthodes prônées par Alejandro Aravena ? Plutôt une satyre lancée par cet équivalent algérien du Gorafi qui ne manque pas non plus d’idées. « Avec le succès de la maison jamais finie, Abdelhak songe déjà à lancer un autre concept architectural algérien : la maison pas construite du tout. C’est de l’architecture abstraite. Au lieu d’élever la bâtisse, tu prends tout l’argent et tu le places au Panama. Les temps de réalisation sont extrêmement courts, voire, nuls. Le point fort de ce style architectural c’est le plafond qui est d’une beauté sans mesure…des cieux étoilés à perte de vue, n’est-ce pas magnifique ? » s’exclame celui qui semble être un escroc fini, conclu El Manchar. Gageons que l’on verra bientôt ces concepts s’épanouir dans le monde réel.
Via El Manchar
Olivier Namias