Rudy Ricciotti proteste et s’insurge à Marseille – L’épée de verre de l’Académicien Wilmotte – Gehry et Bilbao – Mai 68 et Calatrava – Koolhaas n’est pas une bête – Y a-t-il un Harvey Weinstein dans l’architecture ? – On aime ou on quitte Abraxas – Cimetières durables sous la lune.
Pugnace
À Marseille, Vinci s’apprête à construire un immeuble de huit étages sur le site d’une ancienne corderie, qui est aussi, a-t-on découvert lors du démarrage du chantier, la carrière ouverte il y a 2600 ans par les grecs pour les besoins de l’édification de Massilia. La Ville, qui en a la possibilité, n’entend pas annuler le permis de l’opération, la ministre de la Culture n’arrêtera pas les travaux malgré les protestations des archéologues et historiens. Les architectes, eux, se taisent, sauf Rudy Ricciotti, qui est bien décidé à donner de la voix et dénonce ce silence gêné de confrères plus prompts à protéger leurs commandes que le patrimoine commun. « Mes confrères ont choisi la distance silencieuse et la retenue dévote, disons-le ! Derrière cette caponnerie, il y a pour notre métier une dette de vertu. Je veux dénoncer ici cette paresse car nous ne devons pas oublier que l’architecte est non seulement citoyen mais acteur de sa cité. L’architecte est confronté à son rôle moral et éthique. Son rôle esthétique est moteur érotique au titre du plaisir de la ville. Dans le cas marseillais, avec ce grand silence sur l’opération de la Corderie, on atteint le niveau maximal de la honte et le degré zéro du courage ». Où est l’héroïsme méditerranéen ? s’interroge Rudy, écornant au passage la classe politique phocéenne « C’est le côté arabo-coréen de Marseille avec sa centralisation du pouvoir, ses chapes de plomb. La ville tient des dictatures du nationalisme arabe et de la culture du pouvoir d’un Kim Jong-Hun hilare qui considère quiconque émet une objection comme ennemi mortel à abattre ». Saluant la solidarité des maçons de la CGT Vinci, qui se sont mis en grève pour préserver le site, Ricciotti n’oublie pas d’être constructif : « il n’y a pas à être pour ou contre, mais avec les vestiges », militant pour une solution sur pilotis qui intégrerait la carrière dans les strates de l’urbanisme marseillais. Un petit soutien des confrères pour cette alternative ?
Ému
En uniforme, il brandit son épée. Mais peu de chance qu’il s’apprête, tel Roland à Ronceveau, à prêter main-forte à Rudy Ricciotti pour défendre les carrières grecques antiques. L’arme, en verre de Murano, est le sceptre qu’arbore Jean-Michel Wilmotte pour son entrée à l’Académie des Beaux-Arts, au fauteuil de feu Michel Folliasson, architecte urbaniste de Cergy-Pontoise. Devant un parterre trié sur le volet – le Figaro mentionne Maryvonne Pinault, femme de François, Patrick Ollier, maire de Rueil, ou François Fabius, pourtant mort en 2006 – l’architecte s’est montré « tellement ému qu’il s’est emmêlé dans ses feuilles et a sauté un paragraphe ». Stéphane Berne, homme de patrimoine, lui a remis son épée dans la chapelle des Beaux-Arts. « Votre côté James Bond ne m’a pas échappé. Vous aimez le cinéma d’architecture et j’espère que le cinéma prendra un jour vos bâtiments comme décors de leurs prochains films » s’est amusé à rappeler Hughes Gall, ancien directeur de l’Opéra de Paris dans un discours introductif de ce « touche à tout qui agace ». Touche à tout, soit, mais si le cinéma pouvait rester ce sanctuaire préservé des oeuvres de Jean-Michel Wilmotte…
Via Le Figaro
Hésitant
« Il m’arriva de penser à déménager à Bilbao, tant tout s’y déroula très bien pour moi », confie Frank Gehry. À l’occasion du 20e anniversaire du musée ressurgissent les souvenirs : « nous travaillions dans un climat de quasi guerre urbaine. Le chômage atteignait les 35%, il y avait du terrorisme et une grande peur. Le projet était impopulaire, et personne ne comprenait le besoin qu’il y avait de ce mettre dans un tel pétrin pendant une crise économique aussi noire », se rappelle César Caicoya, architecte espagnol qui a suivi le projet du Guggenheim de Bilbao, échangeant 18 000 fax avec Gehry. Le succès était loin d’être garanti : « le moral de Gehry fut un sujet délicat pendant le chantier, même si le Pritzker assure qu’il « n’y eut pas de problème durant les travaux. J’étais sûr de pouvoir me fier aux Basques, ce sont des gens de parole ». Caicoya rappelle « si le Guggenheim n’avait pas été réussi, les carrière de tout ceux qui y travaillaient auraient été très touchées. Mais celle de Frank se serait probablement arrêtée net. Mais qui ne joue pas, ne gagne pas ». Le pari a été gagné. Et Frank est finalement resté Californien.
Via El Mundo
Empêché
Interviewé par le quotidien italien La Repubblica, Santiago Calatrava se souvient lui aussi de l’Espagne et de la France, où il aurait pu étudier. « Je me souviens qu’en juin 1968, j’arrivais à Paris avec l’intention d’étudier à l’Ecole des Beaux-Arts. Les évènements de mai se prolongeaient, avec leur grande contestation étudiante, empêchant mon inscription dans cette école. Je suis resté à Paris jusqu’à la fin septembre avant de rentrer à Valence. Où j’ai étudié l’architecture ». La face du monde aurait-elle été changée si Calatrava était demeuré parisien au lieu de partir étudier à Zurich ? Un nouvelle pièce à verser au dossier d’inventaire des évènements de mai…
Via La Repubblica
Caché
« L’architecture a-t-elle un Harvey Weinstein caché dans ses rangs ? », interroge la journaliste Anna Winston dans un article sur le harcèlement sexuel en agence. La réponse n’est pas une surprise : il n’y a pas un mais une multitude. « Pour l’écriture de cet article, j’ai parlé à de nombreuses personnes qui ont partagé leurs expériences d’abus, d’agression, harcèlement, discrimination, prédateurs, manipulation et plus. Certaines ont donné des exemples très précis et des noms. On y retrouve certains des architectes les plus célèbres du monde, aussi bien que les étoiles montantes d’agences établies, les figures des écoles, les collègues ou les amis. Le problème touche toutes les pratiques à tous les niveaux ». Comme à Hollywood, à une échelle moindre, la construction de la profession sur des figures charismatiques et une longue tradition machiste explique la situation. Quel que soit l’endroit où se terre aujourd’hui le Harvey Weinstein de l’architecture, il est couvert par un plus large problème que le débat sans fin sur la place des femmes et les prix d’architecture féminine n’ont pas su résoudre, explique Winston, celui d’une discrimination structurelle persistante dans une profession qui se féminise.
Via Dezeen
Pascalien
« Je suis claustrophobe, et bien souvent l’architecture aggrave ma claustrophobie parce qu’elle impose des scénarios contraignants, exclut des évolutions ultérieures, des usages nouveaux : plus rien d’autre n’est possible, en somme, que ce qu’on décide de bâtir ». C’est Rem Koolhaas qui parle, expliquant dans les colonnes du Point comment ce sentiment et d’autres influencent l’architecture d’OMA. « À Saclay, nous avons été attentifs aux flux des étudiants, nous avons réfléchi aux circulations à venir, ouvert des perspectives et conçu en effet un campus comme intégré dans la ville : tout reste possible, tout reste ouvert ». L’architecte souffre également de phonophobie « Vous avez remarqué ce silence, dans l’open space de l’agence ? C’était tellement plus bruyant il y a quelques années… La génération actuelle est silencieuse, en communication exclusive avec ses écrans. Et ce silence, je le trouve dangereux ». On se rappelle Pascal : « le silence des espaces infinis m’effraie », disait le philosophe. Faites du bruit pour Rem, qui sort un livre, une exposition sur la campagne au Guggenheim (2019) et un pont à Bordeaux, entre autres…
« Je ne suis pas une bête d’architecture » entretien de Rem Koolhaas avec Violaine de Montclos, Le Point, n°2355, 26 octobre 2017
Mordante
Conçus dans une période d’euphorie, les espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand sont devenu un objet étrange, que ses habitants ont du apprivoiser. « Avec ces 610 logements répartis en trois zones, le Palacio et ses HLM tarabiscotés, le Théâtre, une propriété privée en forme d’hémicycle et l’Arche qui trône au milieu. Ces façades monumentales, de style néoclassique, enserre une place ovale. Résultat : la cité vit un peu repliée sur elle-même. « Mais d’un autre côté tout le monde se connaît à force de se croiser, sourit Sabah Hamida, à la tête de l’association les Abraxas. Et comme c’est assez protégé, les enfants peuvent jouer à l’extérieur sans problème. » Habitante depuis vingt-sept ans, elle a fini par s’habituer à l’univers un peu compliqué du Palacio où certains des ascenseurs ne montent les étages que trois par trois et où des deux pièces… sont en duplex » détaille Le Parisien, lancé dans un citétour du Grand Paris. L’ancien maire Michel Pajon voulait détruire le complexe, qui a dû en partie sa renaissance au film Hunger Games. « Durant vingt ans, il n’y a eu aucune animation ici mais le film a soudé tout le monde dans la fierté », lâche Christiane. En 2014, « Hunger Games » a ainsi braqué les projecteurs sur le Palacio. « Des touristes ont commencé à venir par la suite, c’était incroyable, s’enthousiasme Sabah. Quelle cité du 93 est visitée comme un monument à part la nôtre ? ». Christiane ne laisserai pour rien au monde son logement à la vue unique. D’ailleurs, le Palacio, « tu l’aimes ou tu le quittes » disent les habitants. 30 ans après, Ricardo Bofill a été invité à construire un nouvel ensemble de 600 logements à Noisy-le-Grand. Les producteurs de film doivent être impatients de découvrir les nouveaux décors d’Abraxas II, le retour.
Via Le Parisien
Éternellement durable
C’est un manuel attendu que vient de publier le centre technique national sur les espaces verts et la nature en ville, au terme de deux années d’études : le recueil sur la réhabilitation écologique et paysagère des cimetières. Pour l’écrire, les auteurs ont scruté plus de 250 cimetières de toutes tailles à la loupe. Leur prescriptions sont valables pour les cimetières de l’hexagone, qui présentent deux fois la superficie de Paris – a vrai dire, cela paraît peu – 40 000 enceintes présentant une grande diversité patrimoniale. Le guide propose également 10 fiches illustrées pour une réhabilitation écologique et paysagère des cimetières. « Elles comportent des conseils, des témoignages, des exemples d’initiatives intéressantes pour puiser l’inspiration et orienter son action. Thèmes traités : les moyens humains et financiers pour aller vers le « zéro pesticide », comment drainer les sols humides sous terre et diminuer les pollutions, comment favoriser les concessions écologiques et paysagères, entretenir des allées minérales sans pesticides, enherber des allées, favoriser l’accessibilité, préserver les arbres existants et en planter de nouveaux, , comment gérer les végétaux, communiquer sur les pratiques « zéro pesticide » ou repenser l’ensemble du paysage du cimetière ». Que d’efforts pour rendre durable un séjour que l’on ne souhaiterait que temporaire !
Via La Caisse de dépôts et territoires
Olivier Namias