Brumm Films & Formes est un studio de production audiovisuelle installé à Bordeaux, qui vise à raconter l’architecture. Lucas Bacle, architecte et gérant de l’agence, a commencé cette pratique à l’âge de 24 ans. 5 ans plus tard, son travail a beaucoup évolué. Initialement reporter d’images répondant à des commandes d’agence d’architecture, il s’oriente aujourd’hui vers une pratique plus artistique.

CREE : Vous êtes architecte et réalisateur de film traitant de l’architecture. Comment a débuté cette pratique ?
Lucas Bacle : Lorsque j’ai commencé mes études à l’école d’architecture de Bordeaux, je n’avais aucun bagage artistique. J’y ai découvert le monde de la conception et très rapidement, je me suis intéressé à de nombreux supports, très certainement comme beaucoup d’étudiants d’école d’art. Les trois premières années, l’architecture, en tant que discipline fondamentale, est restée le guide. Petit à petit, la vidéo est devenue un médium très intéressant. Plus que des textes conceptuels, elle a cette capacité à traduire des émotions, des histoires qui peuvent toucher directement l’humain. J’ai utilisé la vidéo pour mes rendus de projet, jusqu’à mon diplôme qui a été le travail audiovisuel le plus fourni, traduisant la poésie et les ambiances du projet. Dans le même temps, je me suis créé un réseau dans le milieu de la production avant de travailler deux ans pour l’agence d’architecture bordelaise Leibar Seigneurin, pour lesquels j’ai commencé à produire des reportages filmés et qui m’ont encouragé à poursuivre dans cette voie.
CREE : Vous avez fondé le studio de production audiovisuelle BRUMM, et commencé par répondre à des commandes. Comment ça se passe avec les agences d’architectures ?
LB : Chaque commande est différente. En 2015, je voulais réaliser un film sur un projet que j’avais considéré comme étant ma propre « équerre d’argent ». J’ai réalisé un court métrage avec l’agence Fernandez et Serres dans un centre culturel à Vertou (44). Sans le vouloir, j’ai visé juste. Cette année-là, ils reçoivent l’équerre dans la catégorie « Culture, jeunesse et sport ». Content du reportage, ils nous eux aussi recommandé. C’est ainsi qu’a débuté la pratique de l’agence.
CREE : Peut-on faire des parallèles avec les commandes de reportages photographiques ?
LB : Les parallèles avec la photographie me semblent essentiellement esthétiques. J’adore l’image, la produire, la voir. La photographie est pour moi un exercice continu. Elle me permet de m’entraîner sur des cadrages, de penser l’image, de rester éveillé et vif sur la façon dont on produit l’image. Mais je ne suis pas photographe. La photo est comme une esquisse du projet, elle me permet de poser des cadres avant de commencer à tourner. Plus standardisée dans la pratique de l’architecture, elle est aussi un hameçon pour attirer le client.
CREE : Quel est votre apport dans la production cinématographique en tant qu’architecte ?
LB : Mes cadrages sont peut-être plus radicaux. Ils suivent les lignes, ou les perturbent. Mais je pense que mon apport consiste surtout sur la manière dont on peut parler d’architecture et la raconter. L’architecture a tellement de facettes, il faut être capable d’en parler à tout le monde, y compris à des non-adeptes. Un des moyens est le story telling, pour y amener de l’humain, de la poésie. Je voulais faire des fictions. Au début, je faisais des reportages assez simples avec des voix off. Puis j’ai appris à maîtriser les outils de montage, la post production, le tournage, l’écriture. Et j’ai gravi les échelons petit à petit, passant de film institutionnel, si ce n’est corporate, à des travaux à la fibre de plus en plus artistique, plus proche de celle de Beka & Lemoine. J’ai travaillé sur des films scénarisés, j’ai commencé à penser l’histoire jusqu’à y insérer des acteurs. Ce n’était plus l’image qui primait, mais celle-ci devait, dans ses formes, répondre au déroulement de l’histoire. Une accélération du mouvement répond à une accélération narrative, des caméras embarquées permettent de suivre le personnage … L’architecture n’est alors plus le faire valoir, elle est une évidence est non plus le centre du sujet. Elle devient presque un décor pour l’histoire. Je sors de l’architecture pour raconter autre chose et en proposer une vision décalée. C’est comme de créer une œuvre sur une autre.
CREE : Votre travail s’oriente vers une pratique de plus en plus artistique, notamment avec le projet Voie Urbaine présentée à Agora Bordeaux.
LB : J’ai toujours aimé les histoires qui cachent des choses et qui ne sont pas toujours évidentes, voire évanescentes. Voie Urbaine, c’est un ensemble de fiction sur la ville de Bordeaux. L’une d’entre elle traite d’une architecture fantomatique, d’un manoir qui paraît hanté, dans lequel un guide clochardisant vient faire un tour du propriétaire. Une autre traite de la base sous-marine de Bordeaux construite pendant la guerre, d’un prisonnier français qui a fini emmuré dans le béton. Ces histoires se basent sur des légendes urbaines. En travaillant sur le caractère fictionnel, j’essaie de faire rentrer dans la tête des gens la puissance de ces lieux, qui sont marquants même s’ils sont oubliés ou désuets. J’essaie de conscientiser ces architectures, un peu à la manière de Victor Hugo qui, lorsqu’il écrit Notre-Dame de Paris, sauve la cathédrale de la démolition. Là, la puissance des mots a sauvé la pierre.
CREE : Vous avez cité Beka & Lemoine et Victor Hugo. Quelles sont vos autres références ?
LB : Je suis des agences, qui sont issues de l’architecture et qui font des films, notamment Factory Fifteen ou Spirit of Space. Il y a aussi pas mal d’italien et de portugais sur ce créneau, comme respectivement The architecture Player ou The building Picture. Ce phénomène semble prendre de l’ampleur dans toute l’Europe et même outre-Atlantique.
CREE : Quels sont les moyens en place dans votre studio de production ?
LB : Dans l’agence, nous sommes trois personnes à plein temps. Nous travaillons régulièrement avec des intermittents, que ce soit des développeurs, des vidéastes ou des acteurs. Sur un tournage, nous sommes en moyenne 4 personnes. En termes de matériels, ça dépend toujours des besoins, mais il est souvent conséquent. Quand à l’argument de tourner à l’iPhone, comme Gondry l’a fait avec « Détour », c’est en réalité totalement impossible. La réalisation de ce court métrage mobilise toute une équipe d’au moins une cinquantaine de personnes, et l’iPhone est équipé d’objectifs supplémentaires, de systèmes de prise de son et autres, comme les travellings, rails et grues. Un iPhone dans la main de quelqu’un qui ne sait pas cadrer, ça ne produit rien. Il ne faut pas croire que Gondry était seul.
CREE : Quels sont vos autres projets ?
LB : Je travaille avec une autre boîte de production, Saint Gingembre, qui réalise principalement des publicités pour la télévision. J’interviens en tant que chef décorateur. Je fais de l’architecture dans des films. La scénographie me permet d’être encore dans la forme, de continuer à dessiner et développer des concepts. Je veux garder un pied dans la forme. D’autre part, nous sommes lauréats d’un concours artistique en lien avec des écoles primaires lancé par l’Atelier Médicis. En résidence à Pionnat, dans la Creuse (23), nous avons pour projet de monter une Voie Urbaine bis, sauf que cette fois-ci les films seront tous connectés ce qui créera un long métrage sur la ville, coréalisé avec des enfants. Sinon, nous avons un projet de long métrage à la Chapelle de Ronchamp, où nous allons suivre un des moines qui tient la chapelle et qui connaît très bien l’œuvre du Fada. Enfin, nous travaillons sur une émission d’architecture, qui est en cours d’écriture. Et bien entendu, nous réalisons toujours des commandes pour des architectes.
CREE : un dernier mot ?
LB : Filmer l’architecture n’est qu’une étape, il faut la raconter. Le film pose la question sur la véritable utilité des lieux et sur ce qu’on en fait. Peut-être que c’est aussi un moyen d’être plus proche de l’agence, de ses fondements théoriques et de sa pensée. Selon moi, l’architecture est en quête de sens plutôt que de belles images. Xavier Leibar m’a donné confiance dans ce potentiel qui reste à exploiter. J’ai l’envie de rester architecte, mais par un autre moyen que le construit. Je me considère de plus en plus en tant qu’architecte qui réalise.
Propos recueillis par Amélie Luquain