Les Éditions B2, visite d’un cabinet de curiosité architectural de papier

À l’instar des groupes U2 ou B-52’s, les Éditions B2 ont pris le nom d’un aéronef iconique de l’armée de l’air américaine. La silhouette du bombardier le plus cher de l’histoire orne chaque publication de cet éditeur, qui a consacré aux architectures étranges 75 titres en huit années d’existence. Nikola Jankovic, créateur et animateur (et parfois crypto-auteur) de B2, revient sur cette aventure éditoriale pensée comme un cabinet de curiosité, et la vision architecturale qu’elle s’efforce de propager en forgeant sa propre constellation.

 

Size Matter (la taille compte). Le choix d’un petit format a permis de lancer simultanément une douzaine de titres, suffisamment pour asseoir une collection (titre : « L’obsolescence planifiée », Bernard London, avec une postface de Serge Latouche, 2013)

CREE_Fondées en 2011, les éditions B2 ont surgi comme une sorte d’OVNI dans un paysage éditorial moribond : l’éditeur historique, le Moniteur, se concentrait sur la littérature technique, rayon auquel était de plus en plus cantonné l’édition architecturale. Architecture qui ne semblait plus intéresser que des éditeurs spécialisés dans ce champ technique – on pense à Dunod, par exemple. Hormis des éditeurs revendiquant une certaine forme de marginalité – Alternatives, promouvant comme son nom l’indique, des alternatives à l’architecture officielle, voire à l’architecture d’architecte — seuls les Suisses d’Infolio, depuis beaucoup plus discrets dans le paysage, présentaient une ouverture d’esprit comparable à B2. Pourrais-tu nous expliquer la genèse des éditions, et le manque que tu as voulu combler, ou pressenti, en créant cette maison d’édition?

Nikola Jankovic_Tout d’abord, il faut relativiser la taille de l’entreprise et procéder à rebours : au début, je n’ai pas voulu « combler de manque » dans le « paysage éditorial » de l’architecture, même moribond. Je pense encore moins porter ou incarner cette relève! Non, plus prosaïquement, B2 est né d’une convergence de facteurs : des humanités sans fin, Bac+18, mais +20 si l’on compte des doubles inscriptions en archi, esthétique, philo, géographie et études curatoriales. Ensuite, quinze ans de galères, de piges et vacations dans des écoles et des revues d’art, d’archi, design et arts déco ont forgé un esprit de révolte, mépris et indépendance. Enfin, après quelques bourses d’études aux États-Unis, au Japon, le déclic né d’un séjour de recherche au Centre Canadien d’Architecture mi-2008 et de la sortie du premier iPad au printemps 2010. En extrapolant la technologie disponible, l’avenir de l’édition spécialisée et les projections lisibles dans la presse économique, B2 avait d’abord été pensé pour amorcer une transition vers ce que seraient les phablets, les liseuses et les tablettes, bien plus qu’un « positionnement » entre la vulgarité publirédactionnelle des uns et la nanoédition de livres des autres, de très bonne qualité de contenu, mais d’un contenant souvent triste.

“En extrapolant la technologie disponible,

l’avenir de l’édition spécialisée et les projections lisibles

dans la presse économique, B2 avait d’abord été pensé

pour amorcer une transition vers ce que seraient

les phablets, les liseuses et les tablettes”

CREE_donc, une entreprise totalement autonome, qui ne veut pas tant en remontrer aux autres, mais ouvrir sa propre voie?

NJ_Au départ, mon ambition artisanale ne visait à combler aucun « segment » : je voulais simplement faire mes livres à partir d’une feuille blanche. Le temps et la qualité de lecture s’érodaient, les modèles économiques de la presse changeaient, la starchitecture s’essoufflait, des trésors entiers ne demandaient plus qu’à ressurgir de fonds oubliés : pour qui en avait les moyens, la culture et la passion, tout un Nouveau Monde s’ouvrait au possible! Plus personne ne peut et/ou ne veut prendre le temps de faire de « bons » livres. Les nôtres ne sont pas parfaits, mais le rythme de parution, l’éclectisme des sujets, l’ergonomie des objets et leur inscription dans un système au long cours ont façonné un ovni éditorial – ou plutôt une flottille, sans réel équivalent dans le champ de l’architecture.

La mosaïque B2, qui associe une collection à chaque couleur. (Jaune pour le territoire, bleu pour la contre-culture, rose pour le patrimoine, etc.)

CREE_Tu as défini B2 comme un cabinet de curiosité. Pourrais-tu, en quelques titres, nous donner un aperçu de la déclinaison de ce concept lorsqu’il est appliqué à l’architecture? Quelle est la signification des différentes couleurs – bleu, rouge, jaune, vert, violet – de chaque collection, identifiable à sa teinte vive appliquée en bichromie sur un fond noir

NJ_C’est le mot « constellation » qui explique tout le « système ». Au départ, avec des moyens infimes et une notoriété nulle, le principe général de ma « galaxie Gutenberg » postulait un fractionnement de petits livres, moins risqués à publier qu’un unique gros livre écoulable en quinze ans, ouvrage qui coulerait la boîte dès sa naissance. Dispersion et éclectisme devaient façonner de l’édition dite « de niche », c’est-à-dire tout le contraire d’un mainstream fait de blockbusters. Le dispositif en forme de « cabinet de curiosités architecturales » fonctionne selon un graphe avec abscisse et ordonnée : de la naissance de l’architecture intentionnelle au néolithique aux smart cities en x, et leur répartition géographique sur toute la planète (et au-delà) en y. S’ajoutent à cela des codes-couleur : rouge pour le « design » (au sens large et générique du terme), puis orange/actualités, jaune/territoires, vert/société, bleu/contre-cultures, rose/patrimoine, violet/fac-similé et cuivre/flash-back. D’autres collections rassemblent des évènements (coll. « Expositions ») ou des doctorants (coll. « Laboratoires ») sous une bannière-caméléon reprenant au cas par cas les différents codes-couleur susnommés. Idem pour un format plus grand (coll. « Documents », 14×21), que j’évoquerai plus tard…

Le temps et la qualité de lecture s’érodaient,

les modèles économiques de la presse changeaient,

la starchitecture s’essoufflait, des trésors entiers

ne demandaient qu’à ressurgir de fonds oubliés :

pour qui en avait les moyens, la culture et la passion,

tout un Nouveau Monde s’ouvrait au possible!

CREE_Pour emprunter une métaphore de l’industrie de l’armement, auquel le nom même de la maison d’édition renvoie inévitablement, les livres B2 seraient à l’édition ce que la bombe à sous-munition est à la bombe H. Cette dernière est dissuasive, mais sert heureusement rarement, tandis que la première permet d’atteindre une multitude de cibles. Est-ce bien la stratégie B2?

NJ_En nous détournant d’une logique historique globale ramenant l’odyssée architecturale à un manuel scolaire balisé arpentage généraliste assez bien connu de tous (l’Antiquité, la Renaissance, le Mouvement moderne), ce sont au contraire toutes les anfractuosités de la microhistoire et tous les chemins de traverse qui nous semblent ajouter au « paysage » éditorial auquel nous avions décidé de « répondre ». Interconnectées, ces microhistoires peuvent façonner des assemblages plus ou moins originaux, des clusters surréalistes, des molécules psychogéographiques, des constellations rhizomatiques. À l’occasion du Centenaire de la Révolution de 1917, la numérotation de nos titres « B2-x » s’est lancée dans une improbable arborescence où le « point de contact » d’un titre d’Élisabeth Essaïan sur le contingent des architectes de Staline en visite dans la Rome de Mussolini (B2-14) a bourgeonné en une ramification dérivée de monographies « à la suite » (« B2-66 a, b, c, d, e, f, h ») : sur Glass House, un film non réalisé de ce fils d’architecte qu’était Sergueï Eisenstein; sur Tatline et sa Tour monument; et, plus récemment, sur les « villes fermées » d’Union soviétique et de Russie, une monographie sur un Foyer-monument dans un pays-satellite (la Bulgarie). Bientôt, cette branche se prolongera par quatre étonnantes monographies sur le goulag puis la ville de Norilsk, grand gisement sibérien de platine et de nickel; sur le pavillon brejnévien à l’Exposition de Montréal’ 67; sur la conception ergonomique des modules spatiaux soviétiques; et sur l’admirable conception de la classe « Typhoon », les huit plus gros sous-marins nucléaires jamais construits (de la jauge environ de la Tour Montparnasse), et d’une architecture très élégante… Vous le voyez, il s’agit d’un exemple typique d’ouvrages de niche, introuvables ailleurs, avec ici beaucoup d’« angles morts » oubliés de cette culture soviétique née d’un espoir perverti et que nous ne connaissons pas vraiment…

« Maître Jean », ouvrage double consacré à Nouvel. Auteur : Jean-Louis Violeau

CREE_Architecte de formation, tu ne t’es finalement pas tourné vers la maîtrise d’œuvre, abandonnant les agences pour devenir « architecte des livres ». À l’instar d’un projet d’architecture, la première collection de B2 résulte d’un compromis entre parti pris graphique radical et optimisation des coûts. Peux-tu expliquer comment la forme des premiers B2 t’as permis de résoudre cette équation difficile?

NJ_Lorsque j’ai commencé de (courtes) études de math-physique, mon père architecte (son fait d’armes a été le suivi d’exécution du musée du Havre, la première MJC, avec Guy Lagneau et Jean Prouvé) m’avait dissuadé de me destiner à ce métier, ce que je ne regrette vraiment pas. Pour autant je ne suis ni un « architecte de papier » radical ni un « architecte du livre », en dépit de ma très grande admiration pour l’architecte et typographe Pierre Faucheux, que j’admire beaucoup. Alors disons que mon travail sur le fond et la forme demeure celui d’un designer, avec une prédilection économique et sérielle pour un design « industriel » éventé, conçu pour « charter » — au sens de charte graphique — et « imprimer » par dizaines de milliers d’exemplaires des ouvrages conçus quasiment comme des périodiques (12 titres/an), dont le coût, l’abonnement et l’esprit « club » auraient égalé ceux du Club Français du Livre, le Livre de Poche, des tristes Que Sais-je? ou des petits Allia de Gérard Berrebi,. La réalité est un peu différente : les contingences nous font depuis six ans côtoyer des « sommets » de tirage culminant le plus souvent à 800 exemplaires de long seller s’écoulant sur 5-10 ans – c’est affligeant.

“C’est le mot « constellation » qui explique tout le système.

Au départ, avec des moyens infimes et une notoriété nulle,

le principe général de ma « galaxie Gutenberg » postulait

un fractionnement de petits livres, moins risqués à publier

qu’un unique gros livre écoulable en quinze ans”

CREE_Ton expérience ne confirme pas la logique de « longue traîne » qu’est censée apporter internet. Quelle place à la nécessité de vendre dans la construction de ton catalogue?

NJ_La formalisation de cette aventure et de son catalogue dépend de plusieurs facteurs. Elle est d’abord indissociable de son fonds d’auteurs et d’affinités relationnelles. Au départ, le catalogue, qui comptait 5-15 titres, était réparti en trois tiers complémentaires : des titres du domaine public, gratuits, mais très difficiles à réactiver de nos jours; des titres étrangers, très risqués à autofinancer en raison des rachats de droits, mais avant tout du coût disproportionné des traductions rapporté à l’étroitesse du lectorat, la durée décennale de l’écoulement. Le dernier tiers visait les auteurs francophones, à commencer par ceux que je connaissais et qui étaient partants pour l’aventure!

B2, ou la constellation imprimée. Un point blanc inséré sur la couverture depuis 2015 relie les différents titres, révélant la carte invisible d’un ciel éditorial complexe.

CREE_Le projet de B2 est aussi original qu’inhabituel, il comble un vide dans le savoir architectural. Les pouvoirs publics encouragent-ils ce type de démarche qui ne cadre pas bien avec les logiques commerciales? Pour le dire plus directement, vis-tu grassement d’aides et de subventions publiques, pour reprendre un cliché qu’on associe parfois aux activités non lucratives?

NJ_Non, car un autre paramètre à prendre en compte est la totale inadéquation des dispositifs d’aides en commissions semestrielles à de petits ouvrages en grand nombre. En bientôt sept ans, pas un centime d’aide ni du Bureau à la Recherche architecturale, urbaine et paysagère (BRAUP), ce qui est totalement contre-intuitif au regard de notre production, et pas un centime de plus du Centre National du Livre (CNL) à ce jour. Bref, des véritables organismes de « soutien » de l’édition et de l’architecture, sur lesquelles nos désillusions doivent vite apprendre à… ne surtout pas compter! Au même titre d’ailleurs que les « stratèges » et « décideurs » de la Cité de l’Architecture, assujettis à des marchés publics de « coéditions » mises en péril par des fréquentations d’exposition généralement médiocres! Non, une aventure telle que B2 ne peut être qu’indépendante, à perte et soumise à d’incessants bâtons dans les roues.

rétro ingéniérie du B2, bombardier de la Northop qui a donné son nom à la maison d’édition. Le sixième livre publié par B2 lui est consacré (Jan Kovac, « Fatal Beauty », collection Design, 2012)

CREE_Au-delà de ces considérations matérielles, la forme du livre induit aussi des façons de penser le contenu – Qu’avais-tu imaginé pour B2? Comment travailles-tu avec les graphistes? Il m’a souvent semblé que tu avais inventé une forme permettant d’atteindre un « graphisme sans graphiste », un peu comme Rudofsky avait identifié une « architecture sans architectes »

NJ_À l’ère où le livre-papier doit contrer ce que deviendront un jour d’autres supports de savoir et d’images, le graphic design est central – et rien n’aurait été possible sans « les graphistes » et les tracas infinis qu’ils provoquent, un objet de design s’adressant à des designers. Je m’explique : si je dis « les », c’est que, malgré seulement trois stagiaires en six ans, j’ai toujours travaillé avec au moins trois jeunes graphistes, parfois jusqu’à six à la fois. Payés chaque fois – peu, mais souvent et, surtout, régulièrement –, une sorte de régie où les graphistes sont payés à la page. Cela permettait de mutualiser une grille commune à tous, d’adapter les emplois du temps de chacun, d’amalgamer jusqu’à huit livres imprimés en offset simultanément pour optimiser les coûts d’impression.

Je reste donc globalement pessimiste et exerce un « métier »

me faisant travailler 340 jours/an sans aucun revenus :

qui, hormis un nanti idiot, accepterait cela?

CREE_Une vraie gymnastique qui n’a pas l’air finalement si simple que ça…

NJ_Pour l’homme-orchestre que je suis devenu, cela signifie partitionner son disque dur cérébral sur les spécificités de fond et de forme de chaque titre, rester attentif aux distractions et vigilants aux permanentes étourderies de tout ce travail collectif. Mais à l’arrivée, en dépit de beaucoup de désillusions sur certains (dont un procès et une rupture amicale), ce dispositif ni totalement souple ni totalement rigide a accouché d’un darwinisme formel où les objets co-évoluent aussi en fonction des erreurs qui y sont commises, des désynchronisations des versions de grille utilisées par chaque « réalisateur graphique », et enfin des ajustements techniques des chemins de fer de chacun des titres. C’est du départ de trois graphistes en 2013 qu’est née une refonte en profondeur de beaucoup de détails qui ne fonctionnaient pas; c’est de variantes de la même grille de départ que sont nées depuis 2015 plusieurs versions mutantes. Cette lourdeur, incroyable au regard de livres aussi petits, a quasiment induit la mise en place d’un « made in France » fait d’interlocuteurs de confiance, de protocoles fidèles, d’habitudes en flux semi-tendu – bref, de dépenses infiniment plus coûteuses, généralement pas plus rapides, mais ingérables autrement à distance, dans une imprimerie lointaine et dans une langue étrangère…

« l’édition, ou l’assemblage savant, correct et optimisé des titres sur les planches à imprimer ». L’impression simultanée des couvertures de sept titres dans deux formats différents contribue à réduire les coûts de fabrication.

CREE_La curiosité du cabinet B2 semble sans limites :  elle part dans tous les azimuts, mais reste pourtant centrée sur l’architecture. Comment arrives -tu à maintenir le lien à la discipline architecturale, comment est reçu cette hétérogénéité par son public cible, apparemment les architectes plus portés sur les ouvrages décrivant des projets, ou les ouvrages monographiques? Sais-tu quel public tu as mis à la portée des B2, avions furtifs qui sont le symbole de ta maison d’édition?

NJ_ De nos jours, la définition vitruvienne de l’architecture, l’art de bâtir des édifices, aurait à s’enrichir d’une compréhension « constructiviste » extensive, intégrant dans ces édifications des dispositifs épistémiques plus foucaldiens : une histoire plus culturelle, une philosophie plus politique, une technologie plus environnementale. Notre taxinomie B2 des mots et des choses de l’« architecture » relève donc moins d’une grille carcérale et contraignante, que d’une classification souple et dynamique d’espèces d’espaces, nés dans certaines conditions naturelles et culturelles contingentes – d’un bouquet ikebana à un « croiseur sous-marin » nucléaire de 180 m. Nous délaissons les gros chapitres « universels » de l’architecture au profit d’histoires, avec de petites haches. Après, sur le plan pratique et commercial, impossible de ne pas instaurer une politique encyclopédique de « quotas » dans nos curiosités : une trop grande rafale de titres roses ou bleus déstabiliserait la juste répartition avec les titres verts ou violets, etc. !

En définitive, il n’y a pas un lectorat B2, mais plusieurs lectorats plus ou moins cloisonnés ou enclins à découvrir les marges de leurs propres savoirs, le penchant naturel étant toujours d’aller vers ce que l’on croit déjà connaître (un peu). Toutefois, l’ergonomie très compacte et de petits tirages illustrés accentue leur impression de cherté. Même si nous demeurons déficitaires et que je ne touche aucun salaire depuis notre création! Pour ce que je connais de notre public, sous le prisme déformant des fans venant à notre rencontre ou se croisés pendant les salons, les résultats très « CSP++ » ou surdiplômés ne surprendra pas; inversement, certains ouvrages sont désormais prescrits, achetés par des étudiants (ma cible initiale), et Amazon a détrôné tous les autres points de vente « physiques »…

Catalogues 2014/2015, 2016 et 2018. Cliquez sur l’image pour télécharger sa version la plus actuelle

CREE_Faisons-nous un instant les avocats du diable : à l’heure d’internet, la forme livre attire-t-elle encore un public? A-t-elle un avenir? Au sein du magazine, nous sommes souvent confrontés à une certaine usure de nos lecteurs, qui disent ne plus avoir le temps de lire, ou rêvent de revues pouvant toucher un « grand public » assimilant souvent l’architecture à la décoration. Les hétérotopies de B2 pourraient-elles devenir ce terrain d’entente entre la population et l’architecture?

NJ_ Oui, les hétérotopies de B2, ces « espaces autres » dont parlait Foucault, pourraient devenir ce terrain d’entente entre l’architecture et certaines populations. Le Grand Retournement, qui a inversé ce qui faisait règle et exception, donne l’avantage à de nouvelles mythologies ou inventions du quotidien. Aucun réel choc de simplification dans le mille-feuille administratif, mais ces cinq dernières années, presque tout le monde s’est mis à pratiquer les réseaux sociaux, détenir un smartphone (sauf moi), télédéclarer ses impôts ou payer sans contact. Le « monde réel » et ses livres d’architecture (surtout s’ils restent disponibles en français) doivent faire face à de nouveaux « postes de dépenses » plus prioritaires, à un « temps de cerveau disponible » en berne – y compris ses futures versions électroniques qui, même sur un téléphone, seront concurrencées par d’autres « passe-temps » : des mini-séries, des jeux vidéo, du e-commerce, etc. Je reste donc globalement pessimiste et exerce un « métier » me faisant travailler 340 jours/an sans aucun revenus : qui, hormis un nanti idiot, accepterait cela? Bon, maintenant, il y a plus à plaindre que moi parmi les SDF parisiens ou les populations civiles bombardées! Et en plus de la clientèle « captive » des bibliophiles, des graphistes et des amateurs d’architectures, le salut face au numérique ne pourra venir que de livres-papier smart, beaux et intelligents – à forte valeur ajoutée, dans la forme comme dans le fond. Mais à moyen terme seulement; quand le système tend vers plus l’infini, je ne peux plus répondre de rien!

Le triptyque « Beaubourg » marque l’introduction d’un nouveau format « augmenté » de 14×21 cm contre 10×15 auparavant. (« De Beaubourg à Pompidou », Jankovic, Ciccarelli, Pinto & al.)

CREE_En 2016, tu as lancé des ouvrages d’un plus grand format, sans renoncer aux lignes colorées qui font la base des éditions. Pourquoi ce changement? N’est-ce pas là aussi le constat de certaines limites du format initial?

NJ_Oui, il nous a semblé devoir étendre notre « gamme » par un format « B2+ », homothétiquement plus grand (14×21), la collection « Documents », avec un rehaut en vernis glossy, qui autorise désormais de plus amples investigations textuelles ou iconographiques… Elle n’est pas l’aveu des « limites » du « format » des petits « B2 » 10×15 – très pratiques au lit, dans les transports urbains ou régionaux ou en vols moyens courriers –, mais vraiment l’essor d’une gamme, avec d’ailleurs d’autres formats en préparation. Certains industriels déclinent leurs productions en série par des « entrées de gamme », d’autres par des « hauts de gamme ». Nous ne pouvions nous offrir un tel luxe qu’après avoir installé la marque et gagné en visibilité. Notre « indépendance éditoriale nous rend très vulnérable face à des confrères ou concurrents dont la ligne éditoriale et les modèles économiques largement financés (publirédactionnel) ou subventionnés (institutions étatiques, mécénats privés) fragilisent notre propre segment. Certes, notre lectorat ne trouvera quasiment jamais ailleurs le type d’ouvrages que nous essayons de faire exister. L’académie d’architecture ne s’y est d’ailleurs pas trompée lorsqu’en 2016 elle nous prima non pas tant pour tel ou tel livre en particulier, mais pour l’ensemble de notre catalogue. Mais nos grands formats illustrent à eux seuls toute la fragilité de l’édifice économique : bien plus coûteux, ils ne pardonnent pas la contre-performance. Toute mévente fragilise et sanctionne l’activité de la maison bien davantage que nos petits œufs B2 mis dans des paniers différents…

Dans les deux ans à venir,

notre odyssée devrait pouvoir passer sur le néolithique,

les architectures spatiale et nazie, le vêtement et

d’autres cultures, lointaines et/ou anciennes

– bref, presque que de l’invendable!

CREE_En 2017, tu as rompu avec le « dogma » de B2 en introduisant les images couleur. Pourquoi?

NJ_« B2, combien de divisions? » aurait pu dire Staline en lieu et place du Saint-Siège!!! La parabole du bombardier furtif B2 – monstre de 72 tonnes plus cher que son propre poids en or, auquel

La Chapelle Corneille, prix de la Reconversion Patrimoniale 2018

Rouen, la ville aux cents clochers. C’est à s’y perdre et à s’en mélanger les pinceaux, tant le nombre d’églises dans cette ville Normande est impressionnant. Encore en usage, ou désaffectées, certaines attendent patiemment qu’on leur donne un nouvel essor. Depuis 2016, c’est chose faite pour la Chapelle Corneille, devenue Auditorium de Région, sous les coups de crayons de l’atelier d’architecture King Kong, qui vient de recevoir le Prix de la reconversion Patrimoniale 2018 pour cette réalisation.

Un patrimoine à valoriser !

Au XVIIe siècle, on construit de nombreux édifices religieux dans la ville : monastères et couvents, églises et chapelles… C’est l’époque de l’art gothique, qui caractérisent de nombreuses édifices religieux rouennais. Parmi eux, la chapelle dite Corneille, réalisée par l’architecte François Derand, ne sera construite qu’en partie, faute d’espace et de moyen.  Elle sera tout de même construite, avec ses voûtes en croisés d’ogives, de gros contreforts à l’intérieur, qui reprennent les forces exercées par le volume. Manquent à l’appel les chapelles latérales à l’avant du bâtiment.

En 2004, la Région Normandie annonce sa restauration qui durera près de 11 ans ! Elle lance également un appel à projet, afin de réaliser une nouvelle salle de concert dans ce lieu atypique. Un changement de programme et une réhabilitation, qui n’a pas fait peur aux 5 équipes d’architectes qui avaient soumis leurs idées au jury de la Région.

AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier
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Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier

La chapelle devenue lieu culturel

L’absence des chapelles latérales de la chapelle ont finalement permis de travailler un espace public au devant du bâtiment, et sur ses côtés. L’emmarchement redonne à la chapelle un parvis, et la met ainsi en valeur dans le tissu urbain dense de la ville de Rouen. Le dénivelé existant entre la route et le sol de l’édifice a été utilisé afin d’y glisser les espaces d’accueil au public. On entre ainsi par le sous-sol, afin de monter, petit à petit, dans une architecture baignée de lumière. L’auditorium de 600 sièges prend place au coeur de la chapelle, dont les principales caractéristiques ont été conservées. La réhabilitation de ce monument historique lui attribue une seconde vie, et le donne à voir au public.

AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier
AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier

L’impressionnant lustre de 6,5 mètres, placé stratégiquement à la croisée de la nef et du transept, valorise à la fois la verticalité de l’espace, mais permet aussi d’ajuster les qualités sonores du bâtiment. Grâce à une lentille convexe, située au coeur de l’ouvrage, le son se répercute et se dirige vers les artistes et le public.

AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier
AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier

Quand le contemporain se mêle au patrimoine

Inscrire un projet contemporain, dans un édifice du patrimoine, qui plus est classé, n’a pas été chose aisée pour l’atelier d’architecture King Kong. C’est le soucis du détail qui a permis à l’édifice de conserver sa signature historique, tout en étant emprunt de contemporanéité.  Un peu plus de deux ans après son ouverture au public en 2016, et malgré l’avis divergeant des aficionados de musique baroque, l’architecture du lieu est valorisée, et l’auditorium de la Chapelle Corneille est aujourd’hui à nouveau primé par le Palmarès d’Architecture et d’Aménagement de la Seine-Maritime et reçoit le prix de la reconversion Patrimoniale 2018.

AAKingKong-Rouen-chapelle-Corneille-Région-Normandie-Auditorium
Crédits photographiques : atelier d’architecture King Kong – photos Eric Peltier

 

Anne Vanrapenbusch

Réinventer Montréal

Réinventer Montréal

3 Mars 2018 : Montréal n’est pas couchée, quand les montréalais remixent leur ville le temps d’une soirée pour composer la métropole de leurs rêves.

Le week-end prochain, Montréal célèbrera la 15e édition de sa Nuit blanche sur le thème (re)mix. La nuit la plus attendue de l’année attire quelque 300 000 noctambules venus vivre une expérience urbaine exceptionnelle grâce à des activités réparties à travers la ville. Présenté en collaboration avec le Casino de Montréal, l’évènement se déroule chaque année durant le célèbre festival Montréal en Lumière. Fondé en l’an 2000, Montréal en Lumière est devenu au fil des ans un des plus grands festivals d’hiver au monde, enregistrant chaque année un million de visites de festivaliers venus vivre pleinement l’hiver montréalais par le biais d’une programmation inusitée qui allie arts de la scène, gastronomie et activités familiales extérieures gratuites, sans oublier une Nuit blanche de découvertes et de folies.

Réinventer Montréal
Nuit blanche à Montréal 15e édition

Cette année, le comité jeunesse d’Héritage Montréal propose aux participants de réinventer Montréal le temps d’une nuit. Formé en 1975, cet organisme privé sans but lucratif œuvre à promouvoir et à protéger le patrimoine architectural, historique, naturel et culturel des quartiers et communautés de Montréal. Au cœur d’un vaste réseau de partenaires, Héritage Montréal agit par l’éducation et la représentation pour faire la promotion de l’intégration harmonieuse et dynamique des dimensions patrimoniales, environnementales ou sociales dans un modèle de développement urbain qui en assure la viabilité économique autant que la durabilité culturelle.

 

Réinventer Montréal
© Héritage Montréal

Durant cette nuit tous les rêves seront permis à la Maison de l’architecture du Québec (MAQ). Catalyseur de créativité architecturale depuis 2001, la MAQ est un centre d’artistes autogéré qui agit pour le développement d’une culture de l’architecture au Québec et au Canada, en lien avec ses praticiens actifs ici et aujourd’hui, par le biais d’expositions, de laboratoires, de publications, d’ateliers, de débats et d’activités éducatives. Ce lieu, unique du genre au Canada, a pour mission de stimuler et diffuser la création et la réflexion touchant aux disciplines de l’architecture, de l’architecture de paysage et de l’urbanisme. 

C’est à travers la réalisation d’un collage imaginé sur un dispositif lumineux et la mise en scène de divers éléments architecturaux et d’édifices iconiques à Montréal, que les noctambules concevront leur ville fictive. Entre imaginaire et réel, le projet se développera autour de 4 secteurs :

  • Le Jardin botanique et le Parc olympique
  • Les plex du Plateau Mont-Royal
  • Le complexe Desjardins et ses environs
  • Le secteur de la brasserie Molson
Réinventer Montréal
© June Barry / Boycott Visuals

Cette installation interactive, outre son caractère ludique et artistique, s’inscrit dans une démarche de participation citoyenne comme outil de fabrication des métropoles de demain. Dans un monde de plus en plus urbanisé, il est intéressant de noter que les citoyens expriment une réelle volonté à s’impliquer dans la prise de décision pour l’aménagement territorial et urbain de leur milieu de vie. Une consultation publique qui peut s’appuyer sur différents supports comme ici celui d’un festival.

« Dans un processus d’urbanisme participatif, les activités proposées vont permettre d’informer et de consulter les citoyens, mais il faut aussi leur permettre de participer afin d’influencer les idées développées ou le diagnostic pour un secteur. Faire participer, c’est plus qu’informer et recueillir des réactions. Il existe plusieurs occasions de participation que vous pouvez offrir aux citoyens », précise Odile Craig, chargée de projets et développement pour le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM).

Réinventer Montréal
Archifete (MAQ)

L’approche participative favorise le dialogue et l’interaction productive entre les experts de l’aménagement et l’expérience vécue des citoyens. Une perception qui permet de compléter les informations techniques des professionnels et ainsi favoriser la pérennité du projet à long terme. De plus en plus, la question de la durabilité des villes et des métropoles se retrouve associée à l’intervention collective. En Amérique du Nord, la participation publique est pensée comme un instrument de mise en oeuvre de ce développement urbain pour une croissance intelligente. Une approche collaborative qui conçoit la planification urbaine comme un processus d’interactions avec la volonté d’intégrer au maximum les impératifs des usagers. Dans ce genre de démarche, les activités proposées doivent offrir aux participants la possibilité d’avoir une réelle influence sur les idées développées mais également sur la prise de décision.

Dans le cadre de la Nuit blanche, Montréal rend ainsi un bel hommage à la participation citoyenne avec l’objectif d’amener les participants à se rassembler pour créer un rêve commun. Espérons que la créativité de nos homologues québécois fera émerger des villes fictives plus inspirantes que jamais pour nos métropoles de demain.

La Villa Cavrois, manifeste moderne de Robert Mallet-Stevens

Aujourd’hui, nous vous proposons de revenir sur un classique de l’architecture moderne. Bien loin de l’agitation des grandes villes, c’est à Croix, dans le Nord, que l’industriel roubaisien Paul Cavrois demande à Robert Mallet-Stevens de lui construire une résidence familiale, en 1929. Il a en effet été séduit par la villa Noailles, que l’architecte parisien avait réalisé quelques temps plus tôt près de Toulon.

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Crédits : © Robert Mallet-Stevens – ADAGP / Création graphique : Axess Origami

Une villa résolument moderne

Personne influente dans le milieu de l’industrie textile, Monsieur Cavrois se devait d’avoir une maison exemplaire. Véritable château moderne, la villa permet d’accueillir les neuf membres de la famille, ainsi que le personnel de maison. Elle reprend les codes de l’architecture moderne de l’époque, dont les maîtres mots pourraient se résumer ainsi : Luminosité, hygiène et confort. On remarquera le blanc immaculé dont est couverte la cuisine : du sol au plafond, à travers la céramique, la peinture, le mobilier. Il fallait que tout soit facilement nettoyable, et la moindre tâche visible au premier coup d’oeil. Les pièces tournées vers le jardin sont baignées de lumière grâce à de grandes baies vitrées.  L’hygiénisme de l’époque passe également par l’hygiène du corps, d’où l’installation d’une bassin de 27m de long.

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© Robert Mallet-Stevens – ADAGP © Didier Plowy – CMN
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© Robert Mallet-Stevens – ADAGP © Didier Plowy – CMN

Une matérialité au service de la famille Cavrois

Le luxe de cette maison n’est pas visible dans les fioritures, puisqu’elle se veux fonctionnelle. Mais c’est plutôt avec le recourt à de belles matières, telle que le marbre vert de Suède, ou à des essences de bois nobles, que la villa Cavrois se démarque. Le béton armé, utilisé pour la structure, est un matériaux nouveau à l’époque ! Celui ci a ensuite été recouvert de briques de teintes jaunes, qui proviennent de 26 moules différents, dessinés spécialement pour la villa. A l’intérieur, l’architecte alterne entre des monochromes peints et les textures des matériaux bruts.

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Crédits : © Robert Mallet-Stevens – ADAGP / Photo : © Didier Plowy / Centre des monuments nationaux
Briques de parement utilisées sur la façade de la villa Cavrois
Crédits : © Robert Mallet-Stevens – ADAGP – © Jean-Luc Paillé / Centre des monuments nationaux
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Crédits : © Mallet-Stevens – ADAGP / © Jean-Christophe Ballot / Centre des monuments nationaux

Elle est également équipée d’infrastructures rares, que seuls les plus riches peuvent se permettre dans les années 30 : l’eau chaude et froide, l’électricité, et le téléphone dans toutes les pièces, afin de faciliter les communications au sein même de la villa de 1840 m².

Un classique à visiter

La confiance que lui ont accordé Monsieur et Madame Cavrois ont permis à Robert Mallet-Stevens de développer au mieux sa pensée de l’architecture, poussant son fonctionnalisme à son maximum. Rien n’est laissé au hasard, ce qui fait de la villa Cavrois l’œuvre-manifeste de l’architecte.

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Crédits : © Robert Mallet-Stevens – ADAGP – © Centre des monuments nationaux

 

Après le passage de la famille Cavrois, mais aussi de l’armée allemande qui en fait une caserne durant la seconde guerre mondiale, la villa est laissée à l’abandon, avant d’être racheté par l’Etat en 2001. Une vaste campagne de restauration, dont le coût s’élève à près de 23 millions d’euros, permet à la villa de retrouver son charme.  Grâce au travail du Centre des monuments nationaux, la villa accueille de nouveau les visiteurs férus d’architecture ou les simples curieux qui souhaitent découvrir une icône de l’architecture moderniste.

La villa Cavrois est ouverte tous les jours de 10h à 18h, sauf le lundi. L’entrée est gratuite pour les moins de 18 ans, les européens de 18-25 ans, ainsi que tous les premiers dimanches du mois, de novembre à mars.

OMA : Rem Koolhaas rénove la galerie Tretyakov à Moscou

Après la signature du nouveau palais de justice lillois, l’agence néerlandaise OMA vient de dévoiler son projet de rénovation d’un des plus grands musées de Russie. C’est en Décembre dernier, que Vladimir Medinsky, ministre russe de la culture, a annoncé la transformation de la Maison centrale des artistes en un complexe d’expositions intégrées. Un projet qui a failli ne pas voir le jour car le bâtiment était menacé de démolition dix ans auparavant. La firme d’architecture russe Reserve collaborera sur ce projet. La compagnie pétrolière locale Transnfet et le GUM Department Store, quant-à eux, le sponsoriseront.

OMA
Rem Koolhaas / OMA : une nouvelle identité pour la galerie Tretyakov à Moscou

 

Construit en 1983 et situé en face du parc Gorky, le musée se compose de plusieurs petites salles. Au fil du temps, les espaces d’exposition et les couloirs ont été fragmentés. L’édifice abrite les collections d’art moderne russe les plus significatives au monde, avec entre autres des oeuvres phares de Malevich, Kandinsky, Chagall, mais aussi d’artistes soviétiques tels qu’Aleksandr Deyneka et Vera Mukhina. OMA propose une réorganisation spatiale complète du lieu, conçu à l’origine en 1964 par les architectes Nikolay Sukoyan et Yury Sheverdyaeven. Cette transformation se caractérise notamment par la création de quatre secteurs distincts : un espace de stockage, un centre d’éducation, la collection et une salle des fêtes. Viendront également s’ajouter une bibliothèque, un restaurant et une plate-forme d’observation sur le toit. Au final, le projet s’étendra sur plus de 60 000m².

 

OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
Autonomie des espaces. OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou

 

Le concept imaginé par OMA, repense totalement la perception actuelle du Tretyakov. Pour offrir une meilleure lecture architecturale de ce haut lieu culturel, l’agence suggère une transformation délicate rappelant l’architecture moderniste soviétique. Avec des codes couleurs et un jeu de matérialité, les plans de Rem Koolhaas révèlent une toute nouvelle identité.

 

OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
Retour à la modernité soviétique. OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
Amélioration de la visibilité et la circulation. OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou

 

Rem Koolhaas: « Notre proposition est une reconsidération du nouveau Tretyakov, en se concentrant sur l’amélioration de son infrastructure spatiale et l’élimination des parties dysfonctionnelles. Nous défaisons également la séparation absolue entre le musée et la Maison de l’artiste, et supprimons un certain nombre de murs pour rendre les différents composants plus accessibles et visibles. En raison de sa taille, il est presque impossible de le considérer comme une entité homogène; interventions modernes inabordables à l’époque soviétique, telles que les escaliers mécaniques, améliorer la circulation et rassembler les différents éléments autonomes du complexe muséal. « 

 

OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
Quatre secteurs. OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou

 

Enfin, ces nouveaux espaces à l’identité et au rôle clairement définis, seront reliés entre eux par un patio central découvert. Directement ouvertes sur la ville et reliées à une nouvelle voie piétonne longeant la rive de la Moskova, les entrées de la galerie laisseront entrevoir l’intérieur par un subtil jeu de découpage des façades.

 

OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou
Un musée ouvert sur la ville. OMA/ Rem Koolhaas : Tretyakov Moscou

 

Avec ses recherches pour le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et le Musée du Garage d’Art Contemporain à Moscou, OMA signe ici son troisième projet culturel en Russie.

 

Sol-refuge : un diplôme de l’école des Arts Décoratifs

« Le cyclone Mora frappe […] le Bangladesh, avec des vents jusqu’à 135 km/h, endommageant des milliers d’habitations et forçant l’évacuation de 450 000 personnes […] Le département météorologique a mis en garde contre une marée de tempête qui pourrait élever le niveau de la mer jusqu’à 1,7 mètres dans plusieurs districts côtiers du Bangladesh. » relève Lambert David, étudiant en architecture à l’école des Arts Décoratifs de Paris, dans un article publié le 30 mai 2017 par Télégramme. Un embryon d’histoire qui l’intéressait, et qui l’a poussait à se questionner sur les capacités de résilience du Bangladesh. Par le biais d’une narration fictionnelle, dans laquelle les bangladeshis vivraient sur un sol de sel dans 100 ans, le projet Sol-refuge élabore un concept architectural qui, face à l’avènement du Greenwashing, pousse les problématiques environnementales à leurs paroxysme jusqu’à inventer une infrastructure. Le sel, élément naturel corrosif, est mis à profit en tant que matériau constructif. « In corps machiné, hybride de nature et d’architecture » selon ses mots.

En voici le synopsis : « Dans un pays inondé par l’eau salée, les bangladeshis construisent un nouveau sol dur et stable avec le sel prélevé en mer. Capable de reconfigurer les techniques de dessalement de l’eau de mer, ils transforment la saumure (obtenue grâce à l’électrodialyse) en matériau de construction. Le chlorure de sodium présent dans l’eau passe d’un état liquide désordonné à un état rigide ordonné. Ainsi, le sel, autrefois responsable de la transformation biotique du Bangladesh et de la disparition du bon sol, est mise à profit dans l’élaboration d’une nature artificielle, hybride d’éléments d’architecture et d’une végétation de sel. »

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Sur une structure béton prend place une machine de production de saumure par dessalement de l’eau de mer. Une fois récoltée, la solution aqueuse saturée en sels minéraux est acheminée vers des plateformes hors de l’eau.
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En partie supérieure de la structure porteuse, un treillage métallique sur lequel la cristallogènese se développe, pousse pour former une roche évaporite (cristalline, faite de sel).
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Sur ce sol en sel la vie peut se développer hors de l’eau, ici, un groupe de pécheurs s’affairent.
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La cristallogenèse se développe progressivement, le treillage métallique agit comme un filtre et permet de fixer, contenir les sel minéraux pour faciliter la cristallisation et lui donner une forme.
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A terme se forme une roche dure. Le sol est cependant toujours alimenté en saumure de manière à ce que la formation de cristaux compense les dégradations possibles dues aux conditions métérologiques et activités anthropiques.
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Ce sol de sel, comme le support de la vie terrestre, se dégrade et s’enrichie d’apports «organiques». Ici, la saumure acheminée en continu au sein du corps rocheux permet au sol de résister aux intempéries.
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Le Bangladesh se reconstruit sur ce territoire sinistré et élabore de nouvelles formes de sociétés, une nouvelle forme d’urbanité lacustre.
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Une re-territorialisation qui s’oriente autour d’un axe majeur, celui de l’emploi de l’eau.
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Le littoral du golfe du Bengale se métamorphose. Ces groupements humains, constituant de micro-sociétés offshores, permettent à la vie de s’émanciper à l’abri des éléments naturels.

Diplôme de Lambert David

Equipe pédagogique : Marc Iseppi, Stéphane Degoutin, Véronique Massenet, Kévin Sourivong, Charlotte Lardinois

Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD), section architecture

 

De la métropole à la campagne : la revue de presse du 20 février 2018

Wakanda, une Métropolis africaine — Art à New York, Vessel à venir et 5Pointz disparus — L’effet Bilbao se mesure à l’architecture — Charleroi sans tours — Le conseiller, l’urbanisme et la page Facebook — Le Sneckdown, ou l’art de l’améneigement — Histoires de PLU — Corbu, obscurci et coulé — Les problèmes d’architecture de Theresa et Angela

Par Olivier Namias

La capitale de Wakanda, inspirée par Zaha Hadid © DR

Un tour à Wakanda

Au centre de l’Afrique, Wakanda, métropole-État, affiche des positions clairement isolationnistes. Oasis de végétation luxuriante au milieu d’un désert, Wakanda tire sa prospérité du Vibranium, métal indestructible apporté par une météorite trouvant des applications infinies dans les technologies de pointe. Dans le domaine, d’ailleurs, Wakanda passe pour avoir 20 à 25 ans d’avance sur le reste du monde, et possède déjà son système de transport par tube sous vide quand celui d’Elon Musk n’en est qu’au stade de prototype. Sa ville principale, Birnin Zana, (la Cité d’Or), est divisée en plusieurs quartiers. Ses souterrains sont occupés par la Cité des morts, une nécropole où sont enterrés les Wakandiens. Côté démocratie, on repassera : comme Monaco, Wakanda est gouverné par une dynastie. Au niveau architecture, « la Cité d’or est hautement développée, avec beaucoup de gratte-ciel. Malgré cela, la ville n’a pas oublié son héritage culturel, et ces édifices modernes côtoient les monuments et les temples présents depuis des siècles. Le style architectural wakandien est largement inspiré du travail de Zaha Hadid, connu pour ses projets fluides et expérimentaux, de même que par l’esthétique métropolitaine d’une large palette de ville africaine contemporaine, comme le Sénégal et le Nigeria ». Pour visiter ce mélange de Lagos et Tokyo, rendez-vous dans les salles obscures projetant Black Panther, et nulle part ailleurs.

Via Overmental

 

« Vessel », oeuvre de Thomas Heatherwick entièrement financée par le promoteur réaménageant le Hudson Yard, un projet immobilier de 45 hectares à Manhattan © Heatherwick

Un vaisseau pour New York

Mieux qu’au cinéma, l’imposant projet de réaménagement de l’Hudson Yard suit son cours. Sur 45 ha de terrains dans l’ancien Hell’s Kitchen, le promoteur privé Stephen Ross (Related Companies) a prévu la construction de 1,7 million de m2 de plancher, avec 4000 logements, hôtels 200 chambres, plus de 100 commerces, le tout bien sûr de très haut luxe. D’après le magazine Fortune, il s’agit là de la plus grande opération de promotion privée de tous les États-Unis depuis la construction du Rockfeller Center. Coté animation, Ross a doté le quartier d’un équipement culturel, The Shed, conçu par Diller+Scofidio, et surtout d’une œuvre publique, le Vessel, une sorte de pomme de pin à 150 millions de dollars dessinée par le Britannique Thomas Heatherwick. Comportant 80 paliers, le Vessel sera ouvert au public en 2019 et ambitionne d’être une sorte de tour Eiffel du XXIe siècle. Ils manquent un bouquet de tulipes de Jeff Koons pour agrémenter cet aménagement urbain, mais cette œuvre majeure est prévue pour Paris, qui ne la cédera jamais à personne.

Via Art Tribune

Détruire les graffitis qui faisaient l’identité de l’immeuble 5Pointz coutera plus de 5 millions d’euros à son propriétaire. ©Ullstein bild via El Pais

Les 5Pointz du graffiti moderne

L’art arrive à l’Hudson Yard et quitte Long Island City, un quartier du Queens où se tenait 5Pointz, un vieil entrepôt recouvert de peintures en spray avec la bénédiction de son propriétaire, Jerry Wolkoff, qui avait laissé les street artists faire de l’immeuble abandonné leur terrain de jeu. Mais tout à une fin, et Wolkoff a fini par détruire le bâtiment pour réaliser un projet immobilier de luxe il y a quatre ans de cela. Les artistes pensaient racheter l’entrepôt, qui, valorisé à 200 millions de dollars, était un peu trop cher pour eux. À la place, ils se sont prévalus d’une loi de 1990 protégeant les artistes visuels de la destruction d’œuvre pour attaquer le propriétaire, qui vient d’être condamné à 6,7 millions de dollars de dédommagement pour la destruction des 36 œuvres du site, nombre que le juge Frederic Block a porté à 45. Block a considéré « que la collection artistique exposée sur les murs était de grande qualité […] « et qu’elle aurait mérité d’être exposée dans des musées prestigieux « sous réserve, bien sûr, que l’on ait pu y transporter les murs. « [Block] a aussi justifié sa décision par le fait que les parois de 5Puntz furent peintes par des artistes arrivant de Londres et que d’autres furent produites de prestigieuses écoles d’art ». On sait enfin à quoi servent les diplômes d’art, et gare aux street artist juste passés par l’école de la rue. Enfin, Block a fait valoir que cette collection avait fait baisser le crime. Pour les artistes concernés, le message est clair « l’art protégé par la loi fédérale doit être préservé et non détruit ». Pour les opérateurs de transports publics et les maîtres d’ouvrages aussi : pas touche au graffiti, même s’il recouvre une rame de métro ou un immeuble en passe d’être démoli. Et quid de celui qui graffite sur l’œuvre d’un autre ?

Via El Pais

Les faits Bilbao

Vessel ou 5Pointz, deux noms pour des objets urbains emblématiques dont bien des villes en quête de notoriété aimeraient se doter pour s’inscrire sur la carte du monde. Mais l’« Effet Bilbao », attractivité qu’elles espèrent obtenir par la construction d’un bâtiment iconique est-il une réalité ou un mythe ? « L’impact de ces projets [emblématiques] sur les petites villes et les villes de taille moyenne ou demeure sous-étudié », explique Alain Thierstein, professeur à l’Université technique de Munich (TUM) qui a conduit une recherche sur le sujet en s’appuyant sur trois exemples : la Kunsthaus de Graz (Peter Cook et Colin Fournier arch.), le Phæno Science Center de Wolfsburg (Zaha Hadid arch.) et le Palais de la culture et des congrès de Lucerne (Jean Nouvel arch.). « Des liens de causalité entre les effets économiques des projets et les évolutions socio-économiques sur le marché du travail ou de l’industrie touristique n’ont pu être identifiés », souligne Nadia Alaily Mattar, chercheuse associée au TUM. Toutes les répercussions économiques ne sont pas immédiatement quantifiables, poursuit la chercheuse « “À Wolfsburg, la réalisation du centre Phæno a influé positivement sur l’estime de soi des politiciens ou des autorités administratives locales ‘. Ces effets induits pourraient aussi avoir un impact positif sur l’économie à long terme ». Dans les trois cas, les chercheurs ont observé une évolution des relations spatiales dans la ville. « Le désir des urbanistes et des politiciens d’augmenter leur visibilité grâce à l’architecture iconique ne doit pas négliger la contribution de l’architecture elle-même. En plus des effets économiques et sociaux-culturel, l’influence de l’architecture iconique sur la ville est aussi spatiale ». En deux mots, c’est d’abord sur le plan architectural que se mesure l’effet Bilbao…

Via phys.org

Les River Towers, un ensemble immobilier qui peine à voir le jour à Charleroi – Piron architectes et ingénieurs + Bogdan & Van Broeck

Recalé

Deux tours sont en projet à Charleroi. La Ville les veut, leur maître d’ouvrage aussi, mais le ministre de l’Économie Wallon vient de recaler une nouvelle fois le projet. L’intégration de 2 500 mètres carrés de commerce au programme justifiait l’intervention du ministère. Pour la plus grande joie du directeur à l’urbanisme pour la Région wallonne, convaincu que le projet de River Tower ne convient pas à la ville : « d’abord pour des raisons d’architecture : je doute que la concentration de 256 logements de faible qualité dans deux tours de 27 étages hautes de près de 100 mètres réponde positivement à la question première de l’attractivité du logement. Ensuite par rapport à la priorisation du développement urbain, c’est dans les deux quartiers de remembrement urbain de la ville basse en pleine mutation – et pas ailleurs — que nous devons concentrer les moyens : celui de Rive Gauche et celui du Left Side Business Park ». Pour le fonctionnaire « c’est un signal clair pour élever la qualité du développement urbain et du logement dans le centre-ville ». Raser le sol et ne pas être vu : c’est peut-être l’effet Charleroi, antonyme de l’effet Bilbao.

Via Le Soir

 

Jérôme Christen (à droite), l’élu qui aime trop Facebook. ©Laurent Gillieron/Keystone via 20 Minutes CH

Vie de cité

Empoignade au conseil municipal de Vevey non à propos bottes d’oignons, mais de réseaux sociaux. Une partie du conseil communal accuse Jérôme Christen, un élu, d’utiliser le fil Facebook des services de l’urbanisme pour faire sa publicité, et prendre parti contre un projet en cours. « Mais entre les pages personnelles de Jérôme Christen, celle de son service et celle de la Ville, certains jugent difficile de distinguer ce qui ressort du privé et de l’institutionnel. « Elles sont pourtant bien différentes « commente l’élu. Elles ont surtout beaucoup de succès. « Construire Vevey, avec vous et pour vous « compte par exemple 6700 abonnés, soit exactement autant que le compte officiel de la Ville. « Ce sont toujours les mêmes détracteurs qui se plaignent de ce lien que j’entretiens avec de nombreux habitants. Mes publications démontrent que je distingue bien mon rôle de municipal, de député, et de citoyen “assure-t-il ». Le fait que les contenus soient sponsorisés par l’élu ajoute au malaise. Nonobstant, rappelle 20 minutes, ‘L’hyperprésence sur Facebook, pourtant, n’est pas forcément un gage de succès électoral. Son collègue de parti Michel Agnant a aussi été élu à l’exécutif alors qu’il n’a ni compte Facebook ni téléphone portable’. La vie municipale, c’est ‘compliqué’ comme on dit sur… Facebook.

Via 20 minutes Suisse

Sneckdown, ou quand les traces révèlent l’occupation de l’espace

Sneckdowns ou l’améneigement urbain

Les traces laissées par les automobiles sur les sols enneigés de l’Ile-de-France ont mis en lumière le phénomène du Sneckdown. Traduit par ‘améneigement’, ce néologisme formé des mots anglais pour enneigé (snowy) et saillie de trottoir (neckdowns) ‘correspond à l’étendue révélée par l’enneigement, qui permet d’observer l’espace véritable qu’occupent les piétons’. La technique venue d’Amérique du Nord ‘met en lumière, de manière évidente, une mauvaise gestion de l’espace. Trottoirs trop étroits, rétrécissements de la chaussée et îlots de neige esseulés sont ainsi exposés. De fait, de nombreux appels ont été lancés aux urbanistes, en charge de l’aménagement des rues. À l’hiver 2014 déjà, L’Obs, les invitait à jeter leurs ordis et observer la neige’. Le sneckdown peut-il aider à repenser l’espace public en France ? ‘Interrogé par Les Inrocks, Jean-Jacques Terrin, architecte-urbaniste, professeur émérite à l’école d’architecture de Versailles, explique : ‘Nous n’avons pas besoin de la neige pour savoir que les voitures prennent beaucoup de place, et que les piétons sont des parties congrues en ville. L’utilité des sneckdown, en France, est relative, notamment dans une ville comme Paris où il neige tous les 5 ans ‘.’ À Paris, oui, mais ailleurs ? ‘Pour imaginer le schéma de mobilité adapté à Krasnogvardeyski, une banlieue de Saint-Pétersbourg forte de 300 000 habitants, le climat facilite l’observation des usages : ‘‘Comme autrefois dans nos régions, les empreintes de pas dans la neige donnent une vision exacte des cheminements les plus pratiqués ‘’ témoigne l’urbaniste Alfred Peter. Le ‘chemin de neige’, expression plus élégante pour désigner ce que Le Corbusier appelait ‘le chemin des ânes’.

Via Les Inrocks et Le Moniteur

Daniel Cimerelli, maire de Rédange (57), n’a plus de PLU © le républicain lorrain

Quand il n’y en a PLU…

Rédange, commune mosellane de 1000 habitants, n’a plus de PLU. Un entrepreneur a réussi à le casser pour retirer le classement en ZNIEF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) des 500 hectares de mines à ciel ouvert qu’il comptait transformer en centre d’enfouissement des déchets inertes. Daniel Cimarelli, maire de Rédange, s’alarme. En absence de PLU, ne risque-t-on pas de voir la commune se couvrir de construction anarchique «  Ses craintes se portent sur les nouveaux quartiers, comme Nouvelle Cité. Ici, rien n’empêche un propriétaire de modifier sa maison, d’y accoler une tour, ou de construire une annexe dans le jardin, excepté un refus de permis de construire’. Heureusement, le RNU (règlement d’urbanisme national) va prendre le relais, protégeant la commune d’une urbanisation anarchique. À Thenay, dans le Loir-et-Cher, le maire Daniel Roinsolle peste contre le PLUi. A-t-on encore le droit d’habiter à la campagne ? — la commune, ‘qui compte 900 habitants, espérait parvenir à mille, de quoi assurer le maintien de ses nombreux commerces et services, dont l’école. Son dernier lotissement de dix-sept parcelles, à peine viabilisé, est déjà vendu aux trois quarts. La commune a réalisé une station de traitement écologique des eaux usées, fonctionnant sans énergie et calibrée pour 1.100 habitants. ‘On veut notre mort ‘soupire le maire. ‘Après avoir décentralisé, l’État reprend les commandes dans tous les domaines ‘’. Le PLUi limite le nombre d’habitant, mais, encore plus inadmissible pour le maire, insère des secteurs NGV et AGV, soit ‘Zone naturelle gens du voyage’ et ‘Zone agricole gens du voyage’ que les élus disent découvrir lors de la finalisation de ces documents d’urbanisme. Une chose est sûre : l’intercommunalité ne risque pas d’être classée ZAO (Zone accueillante de ouf), même à l’insu des élus.

Via Le Républicain Lorrain et La Nouvelle République

La mue du refuge d’Ortu di Piobbu attendra la révision du PLU © M-S.A-V. via Corse Matin

 

… Il y en a encore

Rien n’est simple en matière de PLU. En Charente, la mise au point de ce document révèle des villages sclérosés par les vignobles. ‘Les vignes ne se remplacent pas facilement, elles sont plantées pour plusieurs décennies, contrairement aux régions céréalières qui se renouvellent chaque année. L’arrivée massive de nouvelles vignes, liées aux droits de plantation accordés aux viticulteurs, n’arrange rien. Résultat : pas de terrains constructibles pour accueillir de nouvelles familles et leurs enfants qui seront scolarisés, et donc un problème d’effectifs dans les écoles rurales’. En Corse, le PLU bloque l’extension du refuge d’Ortu di Piobbu, sur le GR20. ‘Sur ce site, le PLU précise qu’une extension ne peut excéder 30 % de la surface existante. Le projet prévoyant un nouveau refuge couvrant près de 300 m2, la commune de Calenzana a donné un avis défavorable, au début de l’année, au certificat d’urbanisme déposé par le Parc naturel régional de Corse’. L’issue est dans le dialogue ‘la planche de salut va peut-être venir de la concertation qui s’engage entre le Parc, la commune de Calenzana, son intercommunalité et les services préfectoraux, dans le contexte plutôt favorable de la révision du plan local d’urbanisme de Calenzana’. Est-ce à dire que sans le PLU, tous ces gens ne se parleraient plus ?

Via France Bleu et Corse Matin

La Villa le Lac, œuvre de Le Corbusier inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, outrageusement défigurée par un lampadaire illégalement installé. L’objet du délit a été démonté fin janvier. © 24 Heures CH

Corbu : obscurci à Corseaux…

Planté devant la Villa Le Lac, que Le Corbusier avait construit au bord du Léman pour sa chère maman, ce candélabre n’était pas à sa place ‘ni les services techniques de Corseaux ni ses autorités politiques n’avaient remarqué que cet éclairage est illégal. Monument historique national et bien d’importance internationale, la Villa Le Lac est en effet protégée en elle-même, mais aussi son environnement direct (y compris les végétaux du jardin)’. Le lampadaire portant atteinte à l’intégrité du monument, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, devait être déplacé, mais restait insolemment en place pour d’obscures raisons juridico-administratives. ‘Franck Rolland, ingénieur spécialisé de la sécurité routière à la Direction générale de la mobilité et des routes, indiquait que l’éclairage est du ressort de la Commune, même sur une route cantonale. ‘Il n’y a pas d’obligation – hormis des cas spécifiques comme des passages piétons ou des giratoires en localité –, mais lorsque la Commune décide d’éclairer, alors elle doit le faire selon les règles de l’art ‘.’ C’est finalement la tenue de l’assemblée générale annuelle de l’Association des sites Le Corbusier qui a coûté sa place au lampadaire ‘Une cinquantaine de spécialistes, essentiellement de France, mais également du Japon, sont attendus. Il fallait donc éviter à tout prix que tous ces défenseurs de l’œuvre du grand architecte ne découvrent le couac de Corseaux : un lampadaire installé pile devant la Villa Le Lac, pourtant Patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette verrue sera donc démontée ce mardi ou ce mercredi’. Envoyer un comité UNESCO pour venir à bout d’une verrue stradale : une astuce dermatologique que l’on ne connaissait pas encore.

Via 24 heures Suisse

La péniche Louise-Catherine avant son naufrage © Pierre Verdy AFP via FranceInfo TV

… coulé à Paris

Elle s’appelait Louise-Catherine, et repose désormais au fond de la Seine. Plus connue sous le nom de ‘Péniche de l’Armée du Salut’, cette barge en ciment armé de 70 mètres conçu pour le transport du charbon avait été transformée par Le Corbusier en logement pour sans-abri, ce qui lui avait valu le statut de monument historique. C’est lors de la remise à l’eau du navire, qui s’était déplacé avec la crue de la Seine, qu’est apparu le trou dans la coque causant le naufrage. Depuis longtemps désaffectée, la barge allait être transformée en lieu culturel, explique sa propriétaire, Alice Kertekian. ‘Le but est de la sauver, il existe des techniques pour la sortir de l’eau. Mais tant qu’il y a la crue, les plongeurs ne peuvent aller explorer et voir l’ampleur exacte de l’avarie’, a déclaré Kertekian ». Nous allons créer un compte sur KissKissBankBank pour trouver de l’argent et payer la grue pour la sortir de là’ a expliqué un autre propriétaire au Parisien ». Pour ne pas dire Bye Bye à cette œuvre négligée du Corbu, il fallait bien un Kisskissbankbank

Via Le Figaro

Theresa May, premier ministre du Royaume-Uni, n’aurait pas selon certains blogger l’architecture intellectuel qui sied à un bon Brexit. ©DR

L’architecture par Theresa et Angela

On ne sait pas ce que Theresa May pense de l’architecture, mais le blogger du labour Peter Edwards pense qu’elle n’a pas ‘l’architecture intellectuelle’ pour conduire le pays à un Brexit avantageux. Quant à Angela Merkel, elle ferait mieux de passer chez son maître d’œuvre, car l’architecture constitutionnelle de la République fédérale rend le pays fragile… Vous étiez bien dans notre rubrique ‘architecture partout, bâtiment nulle part’.

Via Talk Radio et Settimana News

Le théâtre Theodore Gouvy  : un cœur rouge à Freyming-Merlebach

A Freyming-Merlebach (57), une ancienne ville minière de Moselle, l’agence Dominique Coulon & Associés livre un théâtre à la géométrie sculpturale, symbole d’une espérance de revitalisation par la culture.

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Florissante au XIXe siècle, Freyming-Merlebach (57), ville minière du bassin houiller Lorrain, est aujourd’hui une ville en déshérence. Elle fut frappée de plein fouet dans les années 90 par la fermeture des mines de charbon entrainant la récession économique. Pourtant, face à ce traumatisme, cette commune étonne, car elle espère, encore. Son théâtre historique – la Maison des Cultures Frontières conçue en 1984, réhabillée en partie pour devenir médiathèque – s’est dégradé et des fissures sont apparues suite aux effondrements des galeries souterraines désaffectées. Il était nécessaire de remplacer l’ancienne salle de spectacle de 500 places, de surcroît trop petite. Place des Alliés, à proximité de la nouvelle mairie et du centre commercial, l’agence Dominique Coulon & associés investit le parvis d’un volume sculptural blanc immaculé. Posé là, dans un paysage urbain hétéroclite habité de pavillons maussades, il s’adresse à la ville depuis un point haut, tel un mémorial étincelant, en contraste avec celle-ci. Les niveaux s’empilent, pivotent, les blocs se scindent, se divisent. Sous un porche, les grandes baies vitrées attirent le visiteur dans l’entrée.

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Un foyer scultptural

A l’intérieur, le hall se déploie verticalement sur trois niveaux dans un parcours théâtral, sans jeu de mots. Les espaces se dilatent pour donner une grande impression d’espace, les obliques se toisent, les escaliers s’enchevêtrent, derrière de hautes balustrades. En partie supérieure, le foyer se déhanche. Derrière une grande baie vitrée de 8 mètres de haut, il s’avance en promontoire vers la ville. L’atmosphère y est calme, feutrée, bien que le plâtre laissé brut et l’absence de traitement acoustique laisse imaginer un joyeux brouhaha avant les représentations. Un choix pertinent de la maîtrise d’œuvre, confrontée à un budget serré : « nous avons réinterrogé les normes avec la maitrise d’ouvrage car elles ont des coûts », témoigne Dominique Coulon, qui avait déjà expérimenté, auparavant par accident, le plâtre projeté laissé à nu, qui donne de belles nuances de beige en séchant. Structurellement, les coûts ont aussi été amoindris. Les architectes, assistés de leur cabinet d’ingénierie Batiserf, ont opté pour une structure mixte majoritairement métallique, moins chère que le béton coulé en place.

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Une salle de théâtre flamboyante

Ainsi, le budget a pu être placé dans la salle de spectacle qui, plastiquement, est en totale rupture avec le foyer. Dans un effet inattendu, le passage de l’un à l’autre touche directement nos sens, le regard est perturbé, l’œil et l’oreille ont besoin d’un temps pour s’habituer. Les formes sculpturales associées à une colorimétrie rouge, rose et orange donnent une densité à l’espace. Des contrastes coutumiers à la pratique de l’agence. Comme dans toute salle de représentation, le traitement acoustique y est prépondérant. L’inclinaison des parois participe de la propagation acoustique, le plafond est réverbérant, les murs sont absorbants. Les balcons sont d’une forme particulièrement ramassée, les gradins glissent en avalanche. « L’élaboration de la coupe fut fondamentale », explique l’architecte. Le spectateur le plus éloigné n’est qu’à vingt mètres de la scène, la distance avec le nez de scène est réduite au maximum pour offrir aux 700 places assises une belle visibilité sur les acteurs. Dont le jeu sera d’ailleurs varié, entre théâtre classique, contemporain, musical, lyrique, voir même dansé. Ils pourront se préparer dans des loges chaleureuses en béton brut et parois rouge, ou trône le fauteuil UP de Gaetano Pesce, modèle surnommé La Mama.

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Ce théâtre manifeste une géométrie singulière à l’agence Dominique Coulon & Associés, qui n’en est pas à son premier équipement scénique. Citons pour mémoire le Centre dramatique National de Montreuil livré en 2007, le pôle culturel à Mons-en-Barœul, près de Lille, livré en 2017, où la salle de musique actuelle qui s’installera à Rennes courant 2019. Adepte des relations dichotomiques et d’une géométrie rectiligne euclidienne, les collisions génèrent une complexité de rapport et de proximité, proposant une lecture de l’espace non univoque._ Amélie Luquain

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R+2

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Fiche technique  Salle de spectacle Théodore Gouvy, Place des Alliés à Freyming-Merlebach (57)  Maitrise d’ouvrage : Communauté de Communes de Freyming-Merlebach Maîtrise d’œuvre : Dominique Coulon & associés Structure : Batiserf Ingénierie Electricité : BET Gilbert Jost Fluides + HQE : Solares Bauen Economiste : E3 économie Acoustique : Euro Sound Project Scénographe : Changement à vue VRD : Lollier Ingénierie Livraison : Avril 2017 Coût de la construction 7,7 M€HT Surface : 2850 m2

Photographie : © Eugeni Pons

 

 

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7/7 – SOS Brutalism : devenir gris en beauté

Page instagram de SOS Brutalism, un des outils créé par le Musée Allemand d’Architecture pour prolonger l’exposition sur les réseaux sociaux. Cliquez sur l’image pour avoir accès à la page web

La redécouverte du Brutalisme s’accompagne d’expositions. Brutal and Beautiful, à Londres, en 2012, s’attachait à faire redécouvrir le volet britannique du mouvement. Inaugurée le 8 novembre dernier, l’exposition SOS Brutalism affiche des ambitions plus vastes, en défendant l’hypothèse d’une architecture brutaliste internationale. Nous avons interrogé Oliver Elser, commissaire de cet évènement proposant simultanément découverte d’une histoire architecturale et l’inventaire d’un patrimoine à sauvegarder. L’exposition est visible au DAM (Musée Allemand d’Architecture) de Francfort-sur-le-Main jusqu’au 2 avril, et sera par la suite présentée à l’ Architekturzentrum de Vienne du 3 mai au 6 aout 2018, puis dans d’autres villes encore à définir.

Vue de l’exposition SOS Brutalism, au Deutsches Architekturmuseum de Francfort/Main. © Moritz Bernoully

Architectures CREE/Le catalogue comme l’exposition SOS Brutalism présentent une vision étendue du Brutalisme, mouvement ou style que l’on associe traditionnellement à l’Angleterre. Quels étaient les critères de sélection permettant d’intégrer plus d’exemples qu’en retient habituellement l’historiographie?

Oliver Elser /Nous avons recherché un équilibre entre différents critères : importance de la scène ou des discours brutalistes dans le pays, typologies propres à une région, prise en compte des projets précoces ou tardifs — donc conçus dès les années 60 et jusqu’aux années 80. Un autre point important était le degré de conservation du bâtiment : nous avons porté un intérêt particulier aux immeubles demeurant proches de leur état d’origine. Ensuite, nous avons composé une sélection où figureraient à la fois les « usuals suspects », les icônes du brutalisme, et des exemples beaucoup moins connus, pour ménager des découvertes.

Architectures CREE/Vous avez divisé ce corpus en douze régions. Pourquoi ce choix? Pourquoi avoir placé la Grande-Bretagne et l’Allemagne à part?

Oliver Elser /Ce parti pris mérite une explication. Autant que possible, nous avons considéré les aires culturelles qui maintenaient des échanges et des relations. Ensuite, des régions particulières ont émergé lorsqu’elles présentaient des objets très particuliers.

La Grande-Bretagne et l’Allemagne sont traitées comme des régions à part entière. Berceau du brutalisme, le Royaume-Uni occupe une place particulièrement importante. Si nous l’avions fondu dans l’Europe occidentale, nous aurions dû éliminer de nombreux bâtiments phares. On peut légitimement se demander si l’Allemagne possède un paysage brutaliste plus riche et varié que la France ou la Suisse, par exemple. Pourtant l’Allemagne (l’ex RFA) a aussi eu le droit à son propre chapitre. La raison tient au fait que notre musée, le Deutsches Architekturmuseum, et la Wüstenrot Foundation se place dans une perspective internationale, sans oublier pour autant de s’adresser à un public national. 

Vue de l’exposition SOS Brutalism, au Deutsches Architekturmuseum de Francfort/Main. © Moritz Bernoully

Architectures CREE /Quel est le profil type de l’architecte brutaliste? D’où vient-il? Voyageur international? Homme ou femme?

Oliver Elser /Les architectes dont nous présentons les projets résidaient principalement dans les régions où les bâtiments furent construits. Malheureusement, la part des architectes femmes est très faible durant ces décennies. Nous avons intégré des projets de Krystyna Tołłoczko-Różyska (Pologne), Högna Sigurðardóttir (1) (Islande), and Yasmeen Lari (Pakistan). À cette époque, seuls l’Europe de l’Est et Israël nommaient des femmes architectes aux positions importantes.

Architectures CREE /En préparant l’exposition, avez-vous découvert des projets dont vous ignoriez l’existence?

Oliver Elser /Nous avons découvert énormément de bâtiments que nous ne connaissions pas. On peut citer par exemple la Jooste House, à Pretoria (Karl J. Jooste arch., cat. p. 90), le musée National d’Éthiopie à Addis-Abeba (Gashaw Beza, cat. p.115), La cour de justice et l’Hôtel de Ville de Brantford, au Canada (Michael Kopsa, cat. p. 141), et bien d’autres encore (2).

Vue de l’exposition SOS Brutalism, au Deutsches Architekturmuseum de Francfort/Main. © Moritz Bernoully

Architectures CREE /Sur internet, le Brutalisme touche un public qui s’étend bien au-delà des cercles d’initiés à l’architecture. Présenté sous forme d’exposition, attire-t-il autant hors des cercles de spécialistes?

Oliver Elser /Avec 10 000 visiteurs par mois, la fréquentation de novembre à janvier a été supérieure de 80 % à la moyenne habituelle. Beaucoup de visiteurs ont acheté leur ticket au prix fort, ce qui veut dire qu’ils ne font pas partie du public traditionnel des musées possédant des laissez-passer annuels, mais bien un public de curieux pas forcément intéressé à l’architecture.

Architectures CREE /Un des aspects novateurs de l’exposition tient à son prolongement sur internet. La base de données SOS brutalism, produite pour l’événement, continuera d’être alimentée après le démontage des panneaux et des maquettes. Était-ce la première fois que vous utilisez les réseaux sociaux en complément de l’exposition physique? Est-ce satisfaisant

Oliver Elser /Oui, c’est une première sous cette forme. Notre contribution pour le Pavillon de l’Allemagne à la biennale d’architecture de 2016 s’accompagnait d’une forte campagne sur les réseaux sociaux (à travers le hashtag #MakingHeimat), utilisés plutôt pour les besoins des relations publiques, pas comme projet participatif. Grâce aux réseaux sociaux, la couverture presse de l’exposition SOS Brutalism avant son inauguration a été incroyable : beaucoup de blogs, de magazines ou de journaux généralistes ont rendu compte de l’évènement, dont ils avaient eu connaissance par les réseaux sociaux. Et sur les 1100 bâtiments que compte aujourd’hui notre base de données, 600 ont été apportés par ce biais. Les 500 restants ont été intégrés par nos équipes. Le hashtag #SOSBrutalism vit sa propre vie, ce qui nous convient très bien.

Vue de l’exposition SOS Brutalism, au Deutsches Architekturmuseum de Francfort/Main. © Moritz Bernoully

Architectures CREE /Malgré son succès, le Brutalisme est menacé, et des bâtiments majeurs comme le Hall of Nation à New Delhi, ou l’école de Pimlico, sans parler du Robin Hood Garden ont été détruits. Pourriez-vous citer quelques bâtiments majeurs récemment démolis ou menacés?

Oliver Elser /La bibliothèque centrale de Birmingham, projet de John Madin construit entre 1969 et 1973, a été détruite en 2016, comme le Cho-no-Ya du temple d’Izumo (3), un projet de Kikutake construit en 1963, ou le Hall du Nuclear Reactor Building de l’Université de Washington (4). Des rénovations défigurent aussi les bâtiments : nous l’avons constaté lors de la transformation de l’Orange County Governement, projet de Rudolph partiellement démoli en 2015 (5).

 Propos recueillis par Olivier Namias

Pour retrouver SOS brutalism sur les réseaux sociaux

Facebook / Twitter / Tumblr / Instagram

 

(1) En 1949, Högna Sigurðardóttir est devenue la première femme islandaise à intégrer la section architecture de l’École des Beaux-Arts de Paris. 

(2) Les numéros de pages renvoient au catalogue de l’exposition SOS Brutalism.

(3) http://sosbrutalism.org/cms/15889529

(4) The Architect Artist Group (TAAG) / Wendell Lovett / Daniel Streissguth / Gene Zema: Nuclear Reactor Building (Moore Hall Annex), University of Washington, 1961

http://sosbrutalism.org/cms/16863051

(5) http://sosbrutalism.org/cms/15891639

6/7 : Brutalisme à lire

6/7 : Brutalisme à lire

Entré dans l’histoire de l’architecture avec un livre — le nouveau Brutalisme, de Banham — aujourd’hui épuisé, le nouveau nouveau Brutalisme s’expose et se découvre dans les pages imprimées. Des ouvrages qui n’ont rien d’une littérature grise, que nous présenterons dans cette page régulièrement mise à jour en fonction des parutions.

 

La bible du Brutalisme contemporain

SOS Brutalism, A Global Survey

Reyner Banham et les Smithsons ont beau se disputer la paternité du terme « brutalisme », leur rejeton s’est émancipé au point de demander aujourd’hui une définition plus large et plus ouverte, dans temps comme dans l’espace. Retracer les contours de l’architecture brutaliste est bien la mission de cet ouvrage, qui sert de catalogue à l’exposition du DAM. Aux trois critères définis par Banham — une lisibilité formelle du plan, une claire exposition de la structure et une mise en valeur des matériaux à partir de leurs qualités intrinsèques, tels qu’ils sont trouvés — SOS Brutalism ajoute une dimension locale, imposant le Brutalisme comme une forme de régionalisme moderniste. La caractérisation du Brutalisme comme architecture de la construction des nations élargit l’inventaire du patrimoine brutaliste, qui n’est plus limité à l’Angleterre de l’après-guerre, mais s’étend désormais à l’ensemble du monde. Ce faisant, l’ouvrage impose une nouvelle lecture de l’histoire de l’architecture, plus transversale, mettant en lumière des bâtiments et des figures encore méconnues : Vann Molyvann au Cambodge, Igor Vasilevskii en Ukraine, Cezar Lazarescu au Soudan. Grande est la tentation de pointer les manques, et les architectes de l’Hexagone pourront se sentir frustrés du peu d’œuvres brutalistes en territoire français. Pourquoi n’avoir pas fait figurer l’auditorium Maurice Ravel de Lyon (Delfante et Pottier architectes), ou Le Brasilia à Marseille (Fernand Boukobza arch.), le musée de Nemours de Roland Simounet? Les architectes italiens pourraient aussi se plaindre de manques, nombreux, touchant la botte. Toutefois, l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité, d’une part car il couvre une aire géographique trop vaste pour cela, et traite d’un objet dont la redécouverte est en cour. Un site internet prolonge sur la toile l’inventaire de ce brutalisme 2.0.
En complément au catalogue, organisé en zones géographiques décryptées par des experts, SOS Brutalism est vendu avec les actes d’un symposium international réuni à Berlin en 2012. Les six années qui séparent l’évènement de sa publication pourraient laisser craindre une péremption d’une partie des textes, que les avancées du débat historiographique auraient rendus obsolètes. La variété des contributions et des auteurs offre matière à réflexion, du débat sémantique autour du terme à la résurgence d’épisodes historiques oubliés, comme la construction de mairies au Japon ou la construction de l’ambassade de Tchécoslovaquie à Berlin-Est. Un système de pastille indiquant l’état du bâtiment — protégé, occupé, menacé ou détruit — rappelle la vulnérabilité de ce patrimoine, fragile en dépit de sa force brute_ON

SOS Brutalism — A Global Survey Catalogue de l’exposition éponyme du Deutsches Architekturmuseum Dir. Oliver Elser, Philip Kurz, Peter Cachola Schmal Ed. Deutsches Architekturmuseum/Wüstenrot Foundation/Park Books 716 pages, 686 illustrations couleurs et 411 noir & blanc 22.5 x 27.5 cm ISBN 978-3-03860-075-6 (ed. anglaise) ISBN 978-3-03860-074-9 (ed. allemande)


 

Une Ode lyrique au béton

Simon Phipps : Finding Brutalism

A Photographic Survey of Post-War British Architecture

Fils d’architectes, élevé dans la ville nouvelle de Milton Keynes, Simon Phipps pouvait difficilement échapper au Brutalisme. Inscrit au Royal College of Art en section sculpture, produisant des œuvres conjuguant l’influence de la sculpture anglaise à la Tony Cragg aux volumes inspirés des ensembles de logements et autres bâtiments de la reconstruction britannique post deuxième guerre mondiale. Il s’est finalement dirigé vers la photographie, aux services des architectes puis en tant qu’auteur à part entière, centrant son travail sur l’architecture brutaliste. Les images en noir et blanc, fortes et denses, évoquent les reportages d’un Chris Killip, les gens en moins. C’est radicalement que Phipps photographie l’architecture britannique de l’après-guerre, ne cherchant pas a minorer les masses des bâtiments, n’évitant pas les confrontations ni les détails qui exaltent la matérialité du béton, présent au mur, au sol sur les planchers, ou celle de la brique.

Phipps réalise ses images en tournant autour des bâtiments, jusqu’à trouver l’angle qui lui convient. En préalable, des recherches en archives lui ont permis de mieux comprendre l’objet de travail, et de rencontrer, par le biais archivistique, ses prédécesseurs. Roger Mayne, John Maltby, Tony Ray Jones, qui ont photographié ces ensembles au moment heureux de leur livraison. Quelques images reproduites dans le livre restituent cette ambiance heureuse, cette époque où, comme on le dirait pour la France, les HLM étaient blanches, et peuplées d’enfants. Phipps ne s’est pas interdit d’effectuer quelques similis reconductions, prises de vue depuis un point de vue quasi identique qui permettent de mesurer le passage du temps. Une vue d’Alton West montre un site pratiquement inchangé, à 55 ans d’intervalle.

Ces reconductions sont rares, car la démarche de Phipps n’est pas documentaire. En soulignant les textures, en accentuant la matérialité des surfaces grâce aux outils de la photographie, Phipps se place dans la lignée des photographes d’architectures comme Lucien Hervé, développant un langage propre à partir d’un corpus existant. Si Phipps rend justice à l’époque et aux utopies sociales qui firent germer ces ensembles, c’est en exaltant leur force et leur bruit granulométrique, vecteur d’un sentiment d’étrangeté qui font que ces œuvres oubliées nous interpellent de nouveau, d’autant qu’une impression de qualité leur redonne une troublante profondeur._ON

Simon Phipps : Finding Brutalism — A Photographic Survey of Post-War British Architecture par Hilar Stadler, Andreas Hertach (dir.) Ed. Museum im Bellpark/Park Books, 2017 258 pages, 10 illustrations couleur, 192 duotone, et 28 en noir & blanc 20 x 25.5 cm ISBN 978-3-03860-063-3 (ed. anglaise) ISBN 978-3-03860-064-0 (ed. allemande)


 

Une hypergéométrie pour l’architecture moderne

Space Packed : The architecture of Alfred Neumann

« Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » la maxime attribuée à Platon aurait pu être inscrite à l’entrée de l’agence d’Alfred Neumann (1900-1968), figure méconnue de l’architecture moderne à qui cette monographie rend justice. Le parcours de cet architecte né avec le 20e siècle dans une famille juive à Vienne suit les soubresauts de l’histoire européenne. Neumann grandit dans une famille de fabricant de meubles. Après des études d’architecture dans un établissement allemand (la Deutsche Baugewerbschule) à Brno, ville tchèque alors intégrée à l’Empire austro-hongrois puis à la nouvelle Tchécoslovaquie, Neumann retourna à Vienne pour suivre l’enseignement de Peter Behrens. L’architecte de l’AEG considérait Neumann comme l’un de ses éléments les plus brillants. A l’époque, la mobilité ne s’embarrassait pas de programmes Erasmus. De 1925 à 1938, il va se déplacer constamment à travers l’Europe. D’abord Paris, où il rejoint l’atelier d’Auguste Perret après un détour chez Charles Siclis, avant son départ pour Berlin pour travailler chez Behrens, puis divers aller-retour entre Brno et Paris, ou il officiera chez différents architectes : Jacques Guiauchain et Pierre Forestier, qu’il assistera sur le projet de Palais de l’agriculture d’Alger, Perret de nouveau et Jean Ginsberg. À partir de 1938, il vit caché à Brno et à Prague, où il est arrêté au printemps 1945 et déporté à Thieresienstadt. Voilà pour la part de traumatisme qu’on prête à nombre d’architectes brutalistes. En 1949, suite au coup d’état communiste, il quitte la Tchécoslovaquie pour Israël.

Behrens et Perret : Neumann partage ce patronage avec Le Corbusier, qu’il rencontrera en tant que correspondant des CIAM. Comme Corbu, Neumann va développer dans les années 50 un système de régulation géométrique des proportions dans l’architecture, baptisé EM_PHI car basé sur le système métrique et la valeur du nombre d’or φ.

C’est par l’enseignement qu’il accède à ses premières commandes d’importance en Israël. Zvi Hecker et Eldar Sharon, ses étudiants, l’associent au projet d’Hotel de Ville et centre civique qu’ils viennent de remporter à Bat Yam, dans la banlieue de Tel-Aviv. Neumann enrichira le projet en appliquant à la pyramide inversée dessinée par Hecker et Sharon son système géométrique. Il proposera l’inscription du bâtiment dans un espace public monumental qui ne sera jamais réalisé. Neumann mettra par la suite ses géométries au service des programmes les plus divers, le projet le plus insolite restant celui du club Méditerranée d’Achziv, où, toujours avec Sharon et Hecker, il développera un modèle de huttes aux faces hexagonales mobiles. Neumann tentera lors de nombreux concours de mettre en œuvre son système géométrique, mais construira peu. Les laboratoires du département d’ingénierie mécanique du Technion Institute of Technology à Haifa (1966), la synagogue de Mitzpeh Ramon (1969) et l’immeuble Dubiner de Ramat Gan(1964), constituent la partie la plus marquante de son œuvre (1). _ON

(1) Projets réalisés en collaboration avec Zvi Hecker et parfois Eldar Sharon

Space Packed -The Architecture of Alfred Neumann par Rafi Segal Ed. Park Books, 2017 376 pages, 49 illustrations couleur et 373 noir & blanc 18.5 x 24.5 cm ISBN 978-3-03860-055-8