À l’instar des groupes U2 ou B-52’s, les Éditions B2 ont pris le nom d’un aéronef iconique de l’armée de l’air américaine. La silhouette du bombardier le plus cher de l’histoire orne chaque publication de cet éditeur, qui a consacré aux architectures étranges 75 titres en huit années d’existence. Nikola Jankovic, créateur et animateur (et parfois crypto-auteur) de B2, revient sur cette aventure éditoriale pensée comme un cabinet de curiosité, et la vision architecturale qu’elle s’efforce de propager en forgeant sa propre constellation.

CREE_Fondées en 2011, les éditions B2 ont surgi comme une sorte d’OVNI dans un paysage éditorial moribond : l’éditeur historique, le Moniteur, se concentrait sur la littérature technique, rayon auquel était de plus en plus cantonné l’édition architecturale. Architecture qui ne semblait plus intéresser que des éditeurs spécialisés dans ce champ technique – on pense à Dunod, par exemple. Hormis des éditeurs revendiquant une certaine forme de marginalité – Alternatives, promouvant comme son nom l’indique, des alternatives à l’architecture officielle, voire à l’architecture d’architecte — seuls les Suisses d’Infolio, depuis beaucoup plus discrets dans le paysage, présentaient une ouverture d’esprit comparable à B2. Pourrais-tu nous expliquer la genèse des éditions, et le manque que tu as voulu combler, ou pressenti, en créant cette maison d’édition ?
Nikola Jankovic_Tout d’abord, il faut relativiser la taille de l’entreprise et procéder à rebours : au début, je n’ai pas voulu « combler de manque » dans le « paysage éditorial » de l’architecture, même moribond. Je pense encore moins porter ou incarner cette relève ! Non, plus prosaïquement, B2 est né d’une convergence de facteurs : des humanités sans fin, Bac+18, mais +20 si l’on compte des doubles inscriptions en archi, esthétique, philo, géographie et études curatoriales. Ensuite, quinze ans de galères, de piges et vacations dans des écoles et des revues d’art, d’archi, design et arts déco ont forgé un esprit de révolte, mépris et indépendance. Enfin, après quelques bourses d’études aux États-Unis, au Japon, le déclic né d’un séjour de recherche au Centre Canadien d’Architecture mi-2008 et de la sortie du premier iPad au printemps 2010. En extrapolant la technologie disponible, l’avenir de l’édition spécialisée et les projections lisibles dans la presse économique, B2 avait d’abord été pensé pour amorcer une transition vers ce que seraient les phablets, les liseuses et les tablettes, bien plus qu’un « positionnement » entre la vulgarité publirédactionnelle des uns et la nanoédition de livres des autres, de très bonne qualité de contenu, mais d’un contenant souvent triste.
“En extrapolant la technologie disponible,
l’avenir de l’édition spécialisée et les projections lisibles
dans la presse économique, B2 avait d’abord été pensé
pour amorcer une transition vers ce que seraient
les phablets, les liseuses et les tablettes”
CREE_donc, une entreprise totalement autonome, qui ne veut pas tant en remontrer aux autres, mais ouvrir sa propre voie ?
NJ_Au départ, mon ambition artisanale ne visait à combler aucun « segment » : je voulais simplement faire mes livres à partir d’une feuille blanche. Le temps et la qualité de lecture s’érodaient, les modèles économiques de la presse changeaient, la starchitecture s’essoufflait, des trésors entiers ne demandaient plus qu’à ressurgir de fonds oubliés : pour qui en avait les moyens, la culture et la passion, tout un Nouveau Monde s’ouvrait au possible ! Plus personne ne peut et/ou ne veut prendre le temps de faire de « bons » livres. Les nôtres ne sont pas parfaits, mais le rythme de parution, l’éclectisme des sujets, l’ergonomie des objets et leur inscription dans un système au long cours ont façonné un ovni éditorial – ou plutôt une flottille, sans réel équivalent dans le champ de l’architecture.

CREE_Tu as défini B2 comme un cabinet de curiosité. Pourrais-tu, en quelques titres, nous donner un aperçu de la déclinaison de ce concept lorsqu’il est appliqué à l’architecture ? Quelle est la signification des différentes couleurs – bleu, rouge, jaune, vert, violet – de chaque collection, identifiable à sa teinte vive appliquée en bichromie sur un fond noir ?
NJ_C’est le mot « constellation » qui explique tout le « système ». Au départ, avec des moyens infimes et une notoriété nulle, le principe général de ma « galaxie Gutenberg » postulait un fractionnement de petits livres, moins risqués à publier qu’un unique gros livre écoulable en quinze ans, ouvrage qui coulerait la boîte dès sa naissance. Dispersion et éclectisme devaient façonner de l’édition dite « de niche », c’est-à-dire tout le contraire d’un mainstream fait de blockbusters. Le dispositif en forme de « cabinet de curiosités architecturales » fonctionne selon un graphe avec abscisse et ordonnée : de la naissance de l’architecture intentionnelle au néolithique aux smart cities en x, et leur répartition géographique sur toute la planète (et au-delà) en y. S’ajoutent à cela des codes-couleur : rouge pour le « design » (au sens large et générique du terme), puis orange/actualités, jaune/territoires, vert/société, bleu/contre-cultures, rose/patrimoine, violet/fac-similé et cuivre/flash-back. D’autres collections rassemblent des évènements (coll. « Expositions ») ou des doctorants (coll. « Laboratoires ») sous une bannière-caméléon reprenant au cas par cas les différents codes-couleur susnommés. Idem pour un format plus grand (coll. « Documents », 14×21), que j’évoquerai plus tard…
“Le temps et la qualité de lecture s’érodaient,
les modèles économiques de la presse changeaient,
la starchitecture s’essoufflait, des trésors entiers
ne demandaient qu’à ressurgir de fonds oubliés :
pour qui en avait les moyens, la culture et la passion,
tout un Nouveau Monde s’ouvrait au possible !”
CREE_Pour emprunter une métaphore de l’industrie de l’armement, auquel le nom même de la maison d’édition renvoie inévitablement, les livres B2 seraient à l’édition ce que la bombe à sous-munition est à la bombe H. Cette dernière est dissuasive, mais sert heureusement rarement, tandis que la première permet d’atteindre une multitude de cibles. Est-ce bien la stratégie B2 ?
NJ_En nous détournant d’une logique historique globale ramenant l’odyssée architecturale à un manuel scolaire balisé arpentage généraliste assez bien connu de tous (l’Antiquité, la Renaissance, le Mouvement moderne), ce sont au contraire toutes les anfractuosités de la microhistoire et tous les chemins de traverse qui nous semblent ajouter au « paysage » éditorial auquel nous avions décidé de « répondre ». Interconnectées, ces microhistoires peuvent façonner des assemblages plus ou moins originaux, des clusters surréalistes, des molécules psychogéographiques, des constellations rhizomatiques. À l’occasion du Centenaire de la Révolution de 1917, la numérotation de nos titres « B2-x » s’est lancée dans une improbable arborescence où le « point de contact » d’un titre d’Élisabeth Essaïan sur le contingent des architectes de Staline en visite dans la Rome de Mussolini (B2-14) a bourgeonné en une ramification dérivée de monographies « à la suite » (« B2-66 a, b, c, d, e, f, h ») : sur Glass House, un film non réalisé de ce fils d’architecte qu’était Sergueï Eisenstein ; sur Tatline et sa Tour monument ; et, plus récemment, sur les « villes fermées » d’Union soviétique et de Russie, une monographie sur un Foyer-monument dans un pays-satellite (la Bulgarie). Bientôt, cette branche se prolongera par quatre étonnantes monographies sur le goulag puis la ville de Norilsk, grand gisement sibérien de platine et de nickel ; sur le pavillon brejnévien à l’Exposition de Montréal’ 67 ; sur la conception ergonomique des modules spatiaux soviétiques ; et sur l’admirable conception de la classe « Typhoon », les huit plus gros sous-marins nucléaires jamais construits (de la jauge environ de la Tour Montparnasse), et d’une architecture très élégante… Vous le voyez, il s’agit d’un exemple typique d’ouvrages de niche, introuvables ailleurs, avec ici beaucoup d’« angles morts » oubliés de cette culture soviétique née d’un espoir perverti et que nous ne connaissons pas vraiment…

CREE_Architecte de formation, tu ne t’es finalement pas tourné vers la maîtrise d’œuvre, abandonnant les agences pour devenir « architecte des livres ». À l’instar d’un projet d’architecture, la première collection de B2 résulte d’un compromis entre parti pris graphique radical et optimisation des coûts. Peux-tu expliquer comment la forme des premiers B2 t’as permis de résoudre cette équation difficile ?
NJ_Lorsque j’ai commencé de (courtes) études de math-physique, mon père architecte (son fait d’armes a été le suivi d’exécution du musée du Havre, la première MJC, avec Guy Lagneau et Jean Prouvé) m’avait dissuadé de me destiner à ce métier, ce que je ne regrette vraiment pas. Pour autant je ne suis ni un « architecte de papier » radical ni un « architecte du livre », en dépit de ma très grande admiration pour l’architecte et typographe Pierre Faucheux, que j’admire beaucoup. Alors disons que mon travail sur le fond et la forme demeure celui d’un designer, avec une prédilection économique et sérielle pour un design « industriel » éventé, conçu pour « charter » — au sens de charte graphique — et « imprimer » par dizaines de milliers d’exemplaires des ouvrages conçus quasiment comme des périodiques (12 titres/an), dont le coût, l’abonnement et l’esprit « club » auraient égalé ceux du Club Français du Livre, le Livre de Poche, des tristes Que Sais-je ? ou des petits Allia de Gérard Berrebi,. La réalité est un peu différente : les contingences nous font depuis six ans côtoyer des « sommets » de tirage culminant le plus souvent à 800 exemplaires de long seller s’écoulant sur 5-10 ans – c’est affligeant.
“C’est le mot « constellation » qui explique tout le système.
Au départ, avec des moyens infimes et une notoriété nulle,
le principe général de ma « galaxie Gutenberg » postulait
un fractionnement de petits livres, moins risqués à publier
qu’un unique gros livre écoulable en quinze ans”
CREE_Ton expérience ne confirme pas la logique de « longue traîne » qu’est censée apporter internet. Quelle place à la nécessité de vendre dans la construction de ton catalogue ?
NJ_La formalisation de cette aventure et de son catalogue dépend de plusieurs facteurs. Elle est d’abord indissociable de son fonds d’auteurs et d’affinités relationnelles. Au départ, le catalogue, qui comptait 5-15 titres, était réparti en trois tiers complémentaires : des titres du domaine public, gratuits, mais très difficiles à réactiver de nos jours ; des titres étrangers, très risqués à autofinancer en raison des rachats de droits, mais avant tout du coût disproportionné des traductions rapporté à l’étroitesse du lectorat, la durée décennale de l’écoulement. Le dernier tiers visait les auteurs francophones, à commencer par ceux que je connaissais et qui étaient partants pour l’aventure !

CREE_Le projet de B2 est aussi original qu’inhabituel, il comble un vide dans le savoir architectural. Les pouvoirs publics encouragent-ils ce type de démarche qui ne cadre pas bien avec les logiques commerciales ? Pour le dire plus directement, vis-tu grassement d’aides et de subventions publiques, pour reprendre un cliché qu’on associe parfois aux activités non lucratives ?
NJ_Non, car un autre paramètre à prendre en compte est la totale inadéquation des dispositifs d’aides en commissions semestrielles à de petits ouvrages en grand nombre. En bientôt sept ans, pas un centime d’aide ni du Bureau à la Recherche architecturale, urbaine et paysagère (BRAUP), ce qui est totalement contre-intuitif au regard de notre production, et pas un centime de plus du Centre National du Livre (CNL) à ce jour. Bref, des véritables organismes de « soutien » de l’édition et de l’architecture, sur lesquelles nos désillusions doivent vite apprendre à… ne surtout pas compter ! Au même titre d’ailleurs que les « stratèges » et « décideurs » de la Cité de l’Architecture, assujettis à des marchés publics de « coéditions » mises en péril par des fréquentations d’exposition généralement médiocres ! Non, une aventure telle que B2 ne peut être qu’indépendante, à perte et soumise à d’incessants bâtons dans les roues.

CREE_Au-delà de ces considérations matérielles, la forme du livre induit aussi des façons de penser le contenu – Qu’avais-tu imaginé pour B2 ? Comment travailles-tu avec les graphistes ? Il m’a souvent semblé que tu avais inventé une forme permettant d’atteindre un « graphisme sans graphiste », un peu comme Rudofsky avait identifié une « architecture sans architectes »
NJ_À l’ère où le livre-papier doit contrer ce que deviendront un jour d’autres supports de savoir et d’images, le graphic design est central – et rien n’aurait été possible sans « les graphistes » et les tracas infinis qu’ils provoquent, un objet de design s’adressant à des designers. Je m’explique : si je dis « les », c’est que, malgré seulement trois stagiaires en six ans, j’ai toujours travaillé avec au moins trois jeunes graphistes, parfois jusqu’à six à la fois. Payés chaque fois – peu, mais souvent et, surtout, régulièrement –, une sorte de régie où les graphistes sont payés à la page. Cela permettait de mutualiser une grille commune à tous, d’adapter les emplois du temps de chacun, d’amalgamer jusqu’à huit livres imprimés en offset simultanément pour optimiser les coûts d’impression.
“Je reste donc globalement pessimiste et exerce un « métier »
me faisant travailler 340 jours/an sans aucun revenus :
qui, hormis un nanti idiot, accepterait cela ?”
CREE_Une vraie gymnastique qui n’a pas l’air finalement si simple que ça…
NJ_Pour l’homme-orchestre que je suis devenu, cela signifie partitionner son disque dur cérébral sur les spécificités de fond et de forme de chaque titre, rester attentif aux distractions et vigilants aux permanentes étourderies de tout ce travail collectif. Mais à l’arrivée, en dépit de beaucoup de désillusions sur certains (dont un procès et une rupture amicale), ce dispositif ni totalement souple ni totalement rigide a accouché d’un darwinisme formel où les objets co-évoluent aussi en fonction des erreurs qui y sont commises, des désynchronisations des versions de grille utilisées par chaque « réalisateur graphique », et enfin des ajustements techniques des chemins de fer de chacun des titres. C’est du départ de trois graphistes en 2013 qu’est née une refonte en profondeur de beaucoup de détails qui ne fonctionnaient pas ; c’est de variantes de la même grille de départ que sont nées depuis 2015 plusieurs versions mutantes. Cette lourdeur, incroyable au regard de livres aussi petits, a quasiment induit la mise en place d’un « made in France » fait d’interlocuteurs de confiance, de protocoles fidèles, d’habitudes en flux semi-tendu – bref, de dépenses infiniment plus coûteuses, généralement pas plus rapides, mais ingérables autrement à distance, dans une imprimerie lointaine et dans une langue étrangère…

CREE_La curiosité du cabinet B2 semble sans limites : elle part dans tous les azimuts, mais reste pourtant centrée sur l’architecture. Comment arrives -tu à maintenir le lien à la discipline architecturale, comment est reçu cette hétérogénéité par son public cible, apparemment les architectes plus portés sur les ouvrages décrivant des projets, ou les ouvrages monographiques ? Sais-tu quel public tu as mis à la portée des B2, avions furtifs qui sont le symbole de ta maison d’édition ?
NJ_ De nos jours, la définition vitruvienne de l’architecture, l’art de bâtir des édifices, aurait à s’enrichir d’une compréhension « constructiviste » extensive, intégrant dans ces édifications des dispositifs épistémiques plus foucaldiens : une histoire plus culturelle, une philosophie plus politique, une technologie plus environnementale. Notre taxinomie B2 des mots et des choses de l’« architecture » relève donc moins d’une grille carcérale et contraignante, que d’une classification souple et dynamique d’espèces d’espaces, nés dans certaines conditions naturelles et culturelles contingentes – d’un bouquet ikebana à un « croiseur sous-marin » nucléaire de 180 m. Nous délaissons les gros chapitres « universels » de l’architecture au profit d’histoires, avec de petites haches. Après, sur le plan pratique et commercial, impossible de ne pas instaurer une politique encyclopédique de « quotas » dans nos curiosités : une trop grande rafale de titres roses ou bleus déstabiliserait la juste répartition avec les titres verts ou violets, etc. !
En définitive, il n’y a pas un lectorat B2, mais plusieurs lectorats plus ou moins cloisonnés ou enclins à découvrir les marges de leurs propres savoirs, le penchant naturel étant toujours d’aller vers ce que l’on croit déjà connaître (un peu). Toutefois, l’ergonomie très compacte et de petits tirages illustrés accentue leur impression de cherté. Même si nous demeurons déficitaires et que je ne touche aucun salaire depuis notre création ! Pour ce que je connais de notre public, sous le prisme déformant des fans venant à notre rencontre ou se croisés pendant les salons, les résultats très « CSP++ » ou surdiplômés ne surprendra pas ; inversement, certains ouvrages sont désormais prescrits, achetés par des étudiants (ma cible initiale), et Amazon a détrôné tous les autres points de vente « physiques »…

CREE_Faisons-nous un instant les avocats du diable : à l’heure d’internet, la forme livre attire-t-elle encore un public ? A-t-elle un avenir ? Au sein du magazine, nous sommes souvent confrontés à une certaine usure de nos lecteurs, qui disent ne plus avoir le temps de lire, ou rêvent de revues pouvant toucher un « grand public » assimilant souvent l’architecture à la décoration. Les hétérotopies de B2 pourraient-elles devenir ce terrain d’entente entre la population et l’architecture ?
NJ_ Oui, les hétérotopies de B2, ces « espaces autres » dont parlait Foucault, pourraient devenir ce terrain d’entente entre l’architecture et certaines populations. Le Grand Retournement, qui a inversé ce qui faisait règle et exception, donne l’avantage à de nouvelles mythologies ou inventions du quotidien. Aucun réel choc de simplification dans le mille-feuille administratif, mais ces cinq dernières années, presque tout le monde s’est mis à pratiquer les réseaux sociaux, détenir un smartphone (sauf moi), télédéclarer ses impôts ou payer sans contact. Le « monde réel » et ses livres d’architecture (surtout s’ils restent disponibles en français) doivent faire face à de nouveaux « postes de dépenses » plus prioritaires, à un « temps de cerveau disponible » en berne – y compris ses futures versions électroniques qui, même sur un téléphone, seront concurrencées par d’autres « passe-temps » : des mini-séries, des jeux vidéo, du e-commerce, etc. Je reste donc globalement pessimiste et exerce un « métier » me faisant travailler 340 jours/an sans aucun revenus : qui, hormis un nanti idiot, accepterait cela ? Bon, maintenant, il y a plus à plaindre que moi parmi les SDF parisiens ou les populations civiles bombardées ! Et en plus de la clientèle « captive » des bibliophiles, des graphistes et des amateurs d’architectures, le salut face au numérique ne pourra venir que de livres-papier smart, beaux et intelligents – à forte valeur ajoutée, dans la forme comme dans le fond. Mais à moyen terme seulement ; quand le système tend vers plus l’infini, je ne peux plus répondre de rien !

CREE_En 2016, tu as lancé des ouvrages d’un plus grand format, sans renoncer aux lignes colorées qui font la base des éditions. Pourquoi ce changement ? N’est-ce pas là aussi le constat de certaines limites du format initial ?
NJ_Oui, il nous a semblé devoir étendre notre « gamme » par un format « B2+ », homothétiquement plus grand (14×21), la collection « Documents », avec un rehaut en vernis glossy, qui autorise désormais de plus amples investigations textuelles ou iconographiques… Elle n’est pas l’aveu des « limites » du « format » des petits « B2 » 10×15 – très pratiques au lit, dans les transports urbains ou régionaux ou en vols moyens courriers –, mais vraiment l’essor d’une gamme, avec d’ailleurs d’autres formats en préparation. Certains industriels déclinent leurs productions en série par des « entrées de gamme », d’autres par des « hauts de gamme ». Nous ne pouvions nous offrir un tel luxe qu’après avoir installé la marque et gagné en visibilité. Notre « indépendance éditoriale nous rend très vulnérable face à des confrères ou concurrents dont la ligne éditoriale et les modèles économiques largement financés (publirédactionnel) ou subventionnés (institutions étatiques, mécénats privés) fragilisent notre propre segment. Certes, notre lectorat ne trouvera quasiment jamais ailleurs le type d’ouvrages que nous essayons de faire exister. L’académie d’architecture ne s’y est d’ailleurs pas trompée lorsqu’en 2016 elle nous prima non pas tant pour tel ou tel livre en particulier, mais pour l’ensemble de notre catalogue. Mais nos grands formats illustrent à eux seuls toute la fragilité de l’édifice économique : bien plus coûteux, ils ne pardonnent pas la contre-performance. Toute mévente fragilise et sanctionne l’activité de la maison bien davantage que nos petits œufs B2 mis dans des paniers différents…
“Dans les deux ans à venir,
notre odyssée devrait pouvoir passer sur le néolithique,
les architectures spatiale et nazie, le vêtement et
d’autres cultures, lointaines et/ou anciennes
– bref, presque que de l’invendable !”
CREE_En 2017, tu as rompu avec le « dogma » de B2 en introduisant les images couleur. Pourquoi ?
NJ_« B2, combien de divisions ? » aurait pu dire Staline en lieu et place du Saint-Siège !!! La parabole du bombardier furtif B2 – monstre de 72 tonnes plus cher que son propre poids en or, auquel