Apprendre l’architecture grâce au MOOC : vices et vertus d’un modèle d’enseignement low cost

Alors que le 28 février dernier l’université d’Harvard mettait à disposition de tous ses modules d’architecture sur la plateforme de cours en ligne ouvert et massif (MOOC*) edX, des universitaires français questionnent ce modèle d’enseignement.

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Harvard pour tous

« Dans ce cours, vous apprendrez à « lire » l’architecture aussi bien comme expression culturelle que comme réalisation technique » promet le descriptif de l’université d’Harvard, qui a récemment mis en ligne ses modules d’architecture. La plateforme de MOOC edX diffuse depuis le 28 février dix modules théoriques sur l’histoire de l’architecture rassemblés sous le titre The Architectural Imagination. Sont proposés des analyses de bâtiments issus de contextes historiques variés, associés à des exercices pratiques de dessin et de modélisation. La première partie du cours aborde l’idée d’imagination architecturale comme « faculté qui sert de médiateur à l’expérience sensorielle et à la compréhension conceptuelle » et s’appuie sur les dessins en perspective et les typologies d’Hegel et Aldo Rossi. Le deuxième ensemble traite des procédés techniques et constructifs, comme « agents essentiels du changement » au travers des exemples du Crystal Palace et des machines à habiter de Le Corbusier. Le dernier groupe de modules confronte l’architecture au contexte social, avec entre autre l’exemple du Centre Pompidou. Ces cours sont dispensés en visio-conférence sous titrée. Ils sont suivis de questions qui permettent l’obtention de crédit. Une carte interactive situe les bâtiments présentés pendant le cours, à partir de photos, vidéos, résumés et mots clés qui renvoient à des articles Wikipedia. Un forum est mis à disposition pour que chacun puisse débattre du sujet et l’enrichir, en interagissant en ligne avec d’autres membres de la communauté. Le temps pour suivre une leçon complète est d’environ deux à trois heures. Des tableaux de progression offrent un suivi personnalisé aux fils des exercices.

 

Les MOOC, un menu complet ?

Un cursus complet donc, délivré à tous sur la plateforme d’apprentissage en ligne a but non lucratif edX, fondée par l’université d’Harvard et le MIT en 2012. Du point de vue du financement, selon Annie Vinokur, Professeur de sciences économique à l’Université de Paris-Ouest-Nanterre, les MOOC suivent un modèle économique à deux versants : « d’un côté la gratuité du produit d’appel et de l’autre la promesse de ressources qui proviendraient des premiums (comme la certification payante ou des services annexes), des contrats avec les fournisseurs de manuels en ligne, de la publicité, de la vente aux entreprises d’information sur les participants, du placement des étudiants, etc.). Pour les universités qui souhaitent confier leurs cours à une plate-forme le coût d’entrée est élevé (le coût moyen d’hébergement sur une plate-forme for profit américaine était en 2012 de 50 000 $ par cours), contre la promesse d’une fraction des revenus nets (20 % en moyenne chez Coursera à la même date). » En effet, ces cours officiels, s’ils ne dispensent pas d’un enseignement «réel», permettent l’obtention (si elle est souhaitée et payée à hauteur de 99 dollars) d’un certificat signé par un enseignant avec le logo de l’établissement pour vérifier la réussite de l’apprenant. Ajouté sur le curriculum vitae ou publié directement sur des réseaux professionnels tels que LinkedIn, ce certificat, selon un sondage auprès des apprenants edX, permettrait d’augmenter ses perspectives d’emploi : 43% ont déclaré que les cours ont contribué à faire progresser leur carrière. Pour autant une étude du MIT – Harvard indique que seulement 5% des inscrits vont jusqu’au bout de la formation et la valide, et que 9% suivent plus de la moitié du cursus. En chiffre, la plateforme se vante de 10 millions d’apprenants, de plus de 1265 cours, de plus de 110 institutions prestigieuses dans le monde, de 34 millions d’inscriptions aux cours, avec un âge moyen de 28 ans. En pourcentage, 25% des apprenants seraient d’USA (une réponse au coût élevé des universités américaines), 11 % d’Inde, 4% du Royaume Uni, 4% du Brésil, 3% de Chine.

 

Les MOOC, l’enseignement low cost ?

De ce point de vue, les MOOC semblent avoir trouvé un système économique non lucratif mais autonome pour démocratiser et ré-imaginer l’éducation. Destinées aux étudiants et professionnels qui souhaitent acquérir des connaissances en libre accès n’importe où et n’importe quand, elles semblent donner des chances supplémentaires à un plus grand nombre d’élèves.

Mais les détracteurs du MOOC ne sont pas du même avis. Annie Vinokur, dans « La normalisation de l’université » soutien que le développement des MOOC dans les années 2010 est concomitant de la hausse des frais de scolarité dans les universités américaines, et qu’in fine, elles banaliseraient l’enseignement et donc les métiers auxquels elles préparent. Selon le sociologue Jérôme Valluy, dans l’entretien « Un ersatz de prestations pédagogiques… », les MOOC tiendraient plus du marketing académique que de la pédagogie numérique, et ne seraient qu’une version low cost de l’enseignement : « Le danger est de créer des illusions : faire croire aux étudiants qu’ils accèdent par les Mooc à des universités prestigieuses. C’est du marketing qui confine à la tromperie. Ils n’accèdent qu’à un ersatz de prestations pédagogiques de ces universités et les certifications qu’elles délivrent ne valent pas, au regard des employeurs, les diplômes délivrés sur la base de formations principales ». Ainsi, les opposants au MOOC craignent que la réduction de coûts par la diffusion en ligne se fasse au détriment de la qualité des contenus et que la généralisation des cours en ligne aboutisse à une mise en concurrence des facultés dans un contexte de restriction budgétaire. Ils se méfient de l’accès différencié à l’équipement informatique ainsi qu’au risque d’isolement des étudiants.

 

 

Si les plateformes de cours en ligne ouvert et massif telle qu’edX, fondées et gouvernées par des universités telle qu’Harvard, n’ont pas encore vocation à remplacer les écoles physiques mais a compléter leurs formations, elles questionnent les méthodes et la qualité de l’enseignement à l’heure de la révolution numérique et de la crise économique. Dans le numéro 380 d’ Architectures CREE, Peter Zellner présente son projet d’école libre d’architecture, un projet d’établissement gratuit créé pour enrayer les dommages produits sur l’architecture par la hausse des coûts de scolarité. Arrivants hyper endettés sur le marché du travail, les jeunes délaissent les agences expérimentales aux profits de structures garantissant des revenus stables. Un problème que ne règlera pas la montée en puissance des MOOC et leur esprit low-cost.

*MOOC : massive open online course

 

Amélie Luquain