Hans Op de Beeck : Paysages intranquilles

Hans Op de Beeck : Paysages intranquilles

Un village sur pilotis, une fête foraine désaffectée, un salon recouvert de poussière… Pour sa première exposition monographique en France, Hans Op de Beeck invite le spectateur dans ses mondes parallèles.

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Hans Op de Beeck – Caravan – 2015 – Installation sculpturale

S’immerger dans l’imaginaire de Hans Op de Beeck, c’est accepter d’appuyer sur pause. Au CentQuatre, après le brouhaha de la halle centrale, trois ateliers accueillent en cocons protecteurs les œuvres du Flamand, plongées dans l’obscurité. Une transition nécessaire pour le spectateur, qui entre ainsi progressivement dans cette mise en espace particulière. Ici, une quinzaine de maisons reliées entre elles surplombent un étang artificiel, encadré de barques, de filets de pêcheurs… Là, dans un entre-deux urbain, une caravane accompagne un manège fermé.  Dans un silence troublant, le spectateur fait face à ces tableaux en 3D, loin d’une maquette ou d’un décor de cinéma.  Passé le premier instant d’admiration devant ce spectacle poétique, le doute s’installe : ces places sont-elles abandonnées, désertées ? Le gris enveloppant semble frapper la scène d’inertie, la projeter hors du temps. Le regard revient alors sur la lueur des braises, l’éclairage aux fenêtres…  

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Hans Op de Beeck – Night Time – 2015 – Film animé 19’20 »

Très vite, on se prend à chercher une preuve d’habitation, une présence humaine… dans une démarche voulue par l’artiste : « Si dans  une installation, vous ne représentez pas les humains, vous créez un espace  dans lequel le spectateur peut se projeter. »  Alors, l’œil scrute, interroge, ce qui apparaît tour à tour comme une trace de précarité ou un indice de vie. La force de l’œuvre réside dans ce cheminement émotionnel parcouru par  le spectateur, dû à cette tension subtilement instaurée :  « Je joue avec les contradictions. Certains artistes comme Anish Kapoor travaillent le sublime, extraient la beauté des choses. Dans mon cas, j’aime utiliser  des éléments  proches de nous, du quotidien, voire des choses laides – pourquoi pas  indices de mauvais goût ! –  et les rendre belles en travaillant l’esthétique.»

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Hans Op de Beeck – Staging Silence – 2013 – Video 20’48 »

Il en est ainsi de son installation « Lounge » : dans un salon figé dans le temps, un canapé Chesterfield trône au coeur d’un amoncellement d’objets :  » J’ai souhaité m’inscrire dans l’esprit d’un memento mori, des vanités, en reprenant  des chandeliers,  mais aussi des cendriers, des portables… Cela me fait penser à Pompéi : ce que l’on a retrouvé, ce sont des objets banals, des bols, des assiettes, des chaussures… Là, aussi, imaginons que l’on trouve dans une centaine d’années des objets quotidiens.  Je voulais cette opposition entre le comique et le tragique, la vie et la mort. Un paquet de cigarettes fossilisé, c’est une tension entre le sérieux et le ridicule, cette contradiction donne quelque chose d’étrange, de remarquable. » Comme la cendre du volcan romain, la poussière recouvre les meubles et les objets dans ses œuvres sculpturales, la pluie, la neige, les paysages dans ses vidéos.

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Hans Op de Beeck -The Lounge – 2014 – Installation sculpturale

Car dans cette exposition de cet artiste pluridisciplinaire, parallèlement aux installations, deux films aussi mettent en scène des paysages, qui se construisent et se défont sous nos yeux. Dans le premier,  les compositions s’enchaînent  dans un mouvement gracieux mais étrangement perpétuel, rythmées par des mains qui posent, assemblent, détruisent les éléments de décor. Le second  invite  à un voyage nocturne, autour de aquarelles animées, où les scènes se succèdent elles aussi, la plupart urbaines, dans une rêverie nostalgique.  Ici des silhouettes apparaissent parfois, fugaces, rapidement  effacées. 

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Hans Op de Beeck – The Settlement- 2013 – Installation 13m x10m x 4m

En interrogeant de façon distanciée le monde, notre rapport au temps, de notre approche de l’humain, les œuvres de Hans Op de Beeck ont un  véritable pouvoir cathartique : avec pudeur, l’artiste raconte avoir reçu, dans ses présentations précédentes, de nombreux messages du public,  certains émus aux larmes, d’autres exprimant un sentiment de réconfort.  En sortant de ces installations baignées de silence, on se prend à observer plus attentivement au cœur du CentQuatre, les rappeurs, les danseurs de salsa, les groupes de théâtre amateur, les stands des commerce, ou tout simplement ces amis qui discutent tranquillement, assis sur un banc… La vie qui bat, tout simplement.

Nathalie Degardin

«  Saisir le silence », Hans Op de Beeck, jusqu’au 31 décembre, CentQuatre, 5 rue Curial, 75019 Paris

Jean Nouvel dans ses meubles

Jean Nouvel dans ses meubles

L’exposition Jean Nouvel, mes meubles d’architectes. Sens et essence est née d’une rencontre : celle de Jean Nouvel et d’Olivier Gabet, directeur du musée des Arts Décoratifs, durant la conception du Louvre à Abu Dhabi. Ensemble, ils évoquent l’idée de réunir pour la première fois la centaine d’objets édités par l’architecte, depuis une série de cinq meubles en aluminium réalisée à l’occasion d’une « carte blanche » du VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement) en 1987, jusqu’à la collection de meubles en  « cuir ligné » créée pour le Louvre des Émirats. L’occasion pour « l’assassin de revenir sur les lieux de son crime », les salles dédiées aux arts graphiques dont il avait conçu l’aménagement en 1998.

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LAD Line, collection de sièges en cuir conçus pour le Louvre Abu Dhabi, Poltrona Frau, 2016

Manifeste

« Je ne suis pas un designer, mais un architecte qui fait du design », martèle Jean Nouvel. Très rapidement, l’exposition semble s’imposer comme le justificatif d’une pratique, celle de l’architecte qui s’adonne au design. « J’ai toujours considéré les meubles et les objets comme de petites architectures (…) des architectures de poche. Cependant, pour la petite et la grande architecture, l’obsession conceptuelle reste la même : faire du sens et du sensible. Et pourtant c’est vrai, la dimension change tout. Je veux clarifier cette différence pour vous mais aussi pour moi. C’est un sujet sensible, presque tabou, qui, de platitudes en certitudes infondées, encombre souvent les conversations dans les diners en ville… » pose l’architecte dans son texte introductif du catalogue d’exposition Du sens à l’essence.

Pour justifier sa pratique, l’architecte introduit une réponse contextuelle. A la question « que met-on comme meuble, monsieur l’architecte ? », ce dernier se retrouvait toujours devant le même problème : « je concevais des bâtiments dans les années 80 et je me retrouvais devant du mobilier des années 30. J’avais l’impression d’une sorte de collage, de citation qui n’avait rien à faire là. Et je me dis, je vais inventer un système qui va contextualiser le meuble, de façon à ce que je n’ai pas à le redessiner à chaque fois ». Si tant est que le défi soit relevé, il serait intéressant de recenser les bâtiments de l’architecte qui les contiennent.

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Table au kilomètre, table chêne charme, 800×80, édition Gagosian Gallery et Galerie Patrick Seguin, pièce unique, édition spéciale : 3/6, 2011 © Thierry Depagne

Une deuxième réponse serait celle de la transposition d’obsession architecturale à l’objet. L’architecte considère les meubles comme des petites architectures, établissant des correspondances entre ceux qu’ils nomment « architecture mobilière » et « architecture immobilière », à tel point que certains de ces mobiliers semblent résulter d’un système constructif : « J’ai rêvé de cette table… ce n’est pas une table normale… Elle est construite comme un pont, avec un système de précontrainte et des pièces métalliques en tension cachées à l’intérieur… Si vous appuyez très fort sur la table, elle vibre un peu, mais très peu. On peut sauter, on peut danser dessus… La table au kilomètre pourrait battre des records de longueur … Elle se construit par assemblage de traverses de bois massif d’essences différentes, du chêne et du charme, avec, invisible dans son épaisseur, le secret de son principe constructif… » explique-t-il à propos de la Table au kilomètre (édition Gagosian Gallery et Galerie Patrick Seguin, 2011).

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Graduate, étagère, Edition Molteni, 2003

 

 

Obsessions

Pour Jean Nouvel, seuls les mobiliers d’architectes semblent résister à l’épreuve des années, les designers étant sujet aux tendances : « L’histoire l’a déjà prouvé. La démarche architecturale par rapport au meuble est souvent celle qui passe le plus facilement les étapes du temps, qui marque de façon beaucoup plus nette cette temporalité et l’histoire de l’architecture. Ce sont souvent des déclinaisons ou des réinterprétations de grands thèmes qui ont obsédé les architectes, qui les ont amené à faire de l’architecture mobilière, via des correspondances entre l’architecture mobilière et immobilière » précise-t-il.

Les obsessions de Nouvel ont déjà été approchées en architecture. D’une part, l’élémentarité. Nouvel – qui en 1995 créé la société Jean Nouvel Design – va jusqu’à parler « d’anti-design », s’emparant des typologies déjà existantes, réfutant le meuble « bavard », trop conceptuel, au profit d’un vocabulaire minimaliste. Une obsession qui vire à la stratégie, selon Olivier Gabet : « s’il existe une méthode Nouvel à l’aune de l’objet et du design, elle est itérative et progressive. On commence quelque chose puis on y revient, on le laisse on le reprend, on y travail et on le simplifie toujours jusqu’à atteindre le degré 0 ». En témoigne la gamme Élémentaires (Matteo Grassi, 1991) à la poursuite de l’archétype du fauteuil, hors du temps et des styles.

 

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Li-Da, table chinoise bicolore, laque Daquacryl, Roche Bobois, 2016

Autre préoccupation majeure, la lumière : « Je me souviens d’émotions profondes, liées au fait de me promener dans les musées le soir, quand n’y a plus personnes, quand les lumières sont baissées… Et je trouve que dans le musée, comme dans la ville aujourd’hui, on est dans l’époque de la sur-lumière. » Rien d’étonnant à ce que l’architecte se livre à quelques exercices d’illuminations au sein de l’exposition, sous-exposant par ici, sur-exposant par là, révélant la poésie des objets mis en abyme avec les collections des Arts Décoratifs.

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Les arts décoratifs, exposition : « Jean Nouvel, mes meubles d’architectes. Sens et essence », 2016 © Luc Boegly

Pour Nouvel, les meubles doivent être compris au travers de l’espace qui les entoure : « Les triptyques et miroirs sur lesquels je travaille sont pour moi une façon de relire l’espace, le basculer et effectivement de capter ce qu’il y a dans le miroir. Le miroir est moins  intéressant que ce qu’il reflète, bien souvent. Le triptyque permet de multiplier la même image, de choisir les angles en fonction de l’endroit où l’on rentre, de l’endroit où l’on vit, et de ramener à soi des angles inattendus, ou des lumières » précise Jean Nouvel. D’où la nécessité pour lui de créer des interférences avec les collections Moyen Age, Renaissance, XVIIe et XVIIe siècle. De facto, la sensation d’infini de la Table au kilomètre veut faire écho aux retables et aux Pietà de la collection du musée, tandis que les tapis de marbre (286 millions d’années, édition Citco, 2016) cherchent à entrer en résonnance avec les intagli de la Renaissance italienne. Un tout qui donne à l’exposition des airs de rêverie romantique (surlignés par les abus de point de suspension dans les cartels).

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Les arts décoratifs, exposition : « Jean Nouvel, mes meubles d’architectes. Sens et essence », 2016 © Luc Boegly
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146 millions d’années, tapis de marbre, édition Citco, pièces uniques, 2016
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Les arts décoratifs, exposition : « Jean Nouvel, mes meubles d’architectes. Sens et essence », 2016 © Luc Boegly

Les meubles de Jean Nouvel semblent s’imposer là comme des pistes de réflexions architecturales, réinterrogeant des potentiels projectuels à la petite échelle. « Je crois toujours à l’éternelle qualité qui doit être liée à une dimension artistique et l’architecture est un art ; c’est la dimension de l’interrogation, du mystère, de la profondeur. Une œuvre d’art, on n’en fait jamais le tour, on est en permanence dans l’interrogation. Je cherche ce niveau interrogatif, avec mes petits moyens pour faire des petits meubles », pourrait conclure le concepteur.

 

Amélie Luquain

 

Jean Nouvel, mes meubles d’architectes. Sens et essence aux Arts Décoratifs de Paris du 27 octobre au 12 février 2017.

Courtesy Les Arts Décoratifs 

HouseLife, le design au quotidien

HouseLife, le design au quotidien

Les collections de design du Centre national des arts plastiques (CNAP) s’exposent au musée des Arts décoratifs et du Design (MAAD) de Bordeaux et à la Maison Lemoine sous le titre HouseLife ; une manière d’offrir à du mobilier et à des objets le contexte qui, originairement, est le leur : un univers domestique.

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Alessandro Mendini, Cafetière Oggetto banale, 1980, Autoédition
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François Bauchet, Méridienne Yang, 2001, Cinna

HouseLife, du 24 septembre au 29 janvier 2017, constitue une exposition de design insolite qui investit deux habitats exceptionnels : l’hôtel de Lalande, construit au XVIIIe siècle au centre de Bordeaux, et qui a conservé ses boiseries et ses parquets d’origine, un joyau du patrimoine mondial de l’Unesco qui accueille le musée des Arts décoratifs et du Design ; l’autre, la Maison Lemoine, une architecture contemporaine et privée, emblématique d’un habitat moderne, érigée par Rem Koolhass/OMA en 1997 sur les hauteurs de Floirac. Une exposition menée de concert par Juliette Pollet, conservatrice du patrimoine et responsable de la collection design et arts décoratifs du Centre national des arts plastiques depuis 2013 et Constance Rubini, historienne du design, qui a rejoint le musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux en janvier 2013.

S’intégrer plutôt que se confronter

Le parti-pris des commissaires de l’exposition fut de s’installer dans des univers domestiques, où a été préféré une mise en scène, celle du quotidien, à la sacralisation des objets de design sur un socle et une toile de fond blanche. Ce n’est pas une première pour le Cnap qui avait déjà réalisé, en 2009, l’exposition Design à la cour, au château de Fontainebleau, questionnant sous l’angle de la série les objets contemporains confrontés à ceux du XIXe siècle. Ici, la volonté est contraire : les pièces s’intègrent tout simplement dans leur nouvel écrin, sans choquer, retrouvant leur usage. Elles recréent un lieu de vie, les objets récents se mariant au mobilier hérité d’une époque antérieure, comme dans toutes les maisons familiales. Odeurs et sons conçus pour l’exposition viennent se mêler aux objets pour mettre en scène les espaces du musée.

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Ettore Sottsass, Coupe à fruit Mourmansk, 1982, Memphis
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Ettore Sottsass, Théière Lapislazulli, collection « Indian Memory », 1987, Anthologie Quartett

 

 

 

 

 

 

De l’hôtel particulier XVIIIe à la maison contemporaine

Si le mariage des pièces semble être si naturel, la sélection n’a pas été simple, bien que les commissaires affirment le contraire, « une sélection intuitive », nous disent-elle. En effet, il a fallu choisir 300 pièces du Fonds national d’art contemporain, collection enrichie et conservée par le Cnap, sur 9000 objets. Un choix qui s’est construit en réponse au contexte précis dans lesquels les objets s’insèrent. Plutôt que des cartels, muséifiant l’exposition, un ouvrage recensant les pièces exposées guide le visiteur.

Concernant l’hôtel particulier XVIIIe, en centre ville, les objets exposés conservent l’atmosphère domestique. Dans l’antichambre, le canapé Alcove Highback Sofa de Ronan & Erwan Bourroullec installe une alcôve intimiste face à la cheminée, tandis que celui de François Bauchet, le canapé Yang exposé dans le salon de compagnie, offre liberté d’appropriation par l’assemblage de ses 4 modules. Dans le boudoir, on apprécie l’ambiance légère et oisive au parfum féminin, aménagé de la chaise longue Antibodi de Patricia Urquiola pour un moment de délassement, ou d’une armoire lingère style Louis XVI ouverte.

A la Maison Lemoine, toujours lieu habité, Houselife prend place à l’étage, dans la pièce principale cristallisée le temps de l’exposition. Ici, c’est l’architecture, par sa prestance, qui a imposé le choix des pièces. Ainsi, transparence, superposition, mobilité, légèreté, acier, sont des concepts empruntés à la maison que l’on retrouve dans le mobilier exposé. Le fauteuil Bulle d’Eero Aarnio est suspendu dans l’espace, juste en face de l’occuli dessiné dans le rideau en plastique blanc de Petra Blaisse ; les tabourets Kubus d’Herbert Jakob Weinand déploie une assise d’acier sur roulette ; des vases, en verre et métal, sont disposés sur l’emblématique monte-charge mué en socle pour l’occasion.

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Maarten Baas, Ventilateur Floorfan, 2006, Baas & den Herder
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Marcel Wanders, Chauffeuse Knotted Chair, 1996, Cappellini

L’exposition emprunte son titre au film réalisé par Ila Bêka & Louise Lemoine, Koolhaas HouseLife. Ce film, qui a récemment rejoint la collection du Cnap, sera projeté au MAAD, dans le parcours de l’exposition. En emboîtant le pas de la gardienne, Guadalupe Acedo, dans ses tâches et inspections quotidiennes, il révèle avec humour et tendresse les charmes, les travers et les fragilités de l’iconique maison-machine.

Amélie Luquain

Plus d’information sur Bordeaux  et CNAP 

Yona Friedman, le gai construire

Yona Friedman, le gai construire

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Space Chains, vers 1960 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot

Après des années d’amnésie, la France sort ses architectes radicaux du purgatoire. Un intérêt renouvelé se porte sur ces figures historiques, dont l’importance ne tient pas tant à la production bâtie qu’à leurs partis pris théoriques et leur capacité à perturber le cours tranquille d’une architecture souvent accaparée par ses agendas politiques, industriels ou financiers. Exprimés sous formes d’écrits, d’installations ou de maquettes semblant avoir affaire avec la sculpture, leur œuvre reste bel et bien un travail d’architecture, développant des concepts ressortissant de cette discipline. Né en 1923 comme Claude Parent, dont il croisa régulièrement la route, Yona Friedman a encore moins construit que son confrère récemment disparu. Son œuvre bâtie se résume à un lycée à Angers. Son oblique à lui, c’est la mobilité, paradoxe architectural venant bousculer un monde jusqu’alors fait d’immeubles : par étymologiquement, des objets immobiles. Avant d’être un trait conceptuel, la mobilité fut d’abord pour l’architecte une réalité biographique : d’origine hongroise, il se réfugie en Roumanie en 1945, pays qu’il quitte l’année suivante pour Israël. Il s’installe à Paris en 1957, afin de développer avec Prouvé des abris cylindriques. Etabli définitivement à Paris, il travaille sur des structures mobiles, dans un esprit proche à celui des anglais d’Archigram ou des italiens de Superstudio.

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Yona Friedman dans le salon de son appartement du boulevard Pasteur, Paris, 1968 (c) Manuel Bidermanas

Concise mais riche, l’exposition présentée jusqu’au 7 novembre à la Cité de l’architecture explore l’univers de l’architecte en remontant aux sources : le goût pour les sciences sociales, l’anthropologie, la sociologie, la mythologie, enseignée par son maitre Károly Kerény. La scénographie valorise et ordonne une production hétéroclite, constituée de maquettes qu’on jureraient issues d’une collection d’esquisse de Frank O. Gehry, de dessins didactiques façon manuel de construction pour les grands débutants. La présence du Frac Centre parmi les organisateurs de l’exposition rappelle que c’est d’abord aux milieux de l’art contemporain que l’on doit la remise en lumière de ces architectures. Faut-il y voir un dérivé de Duchamp, ainsi que le suggère la commissaire de l’exposition Caroline Cros ? Proposant de remettre l’utilisateur au cœur de l’acte constructif, Friedman ne cherche pas à changer les critères esthétiques de l’architecture, mais bien à dynamiter des cadres de productions aussi rigides que puissants pour bâtir un environnement plus libre. Les germes d’un univers à explorer sans le prendre au pied de la lettre, certaines idées gagnant surtout à ne jamais être construites, à l’instar de ses Villes spatiales, mégastructures suspendues voleuses de ciel et de lumière, menaçant de leur présence les pauvres humains restés au sol. Il n’empêche : la question pendante de la participation redonne une belle vigueur au travail de Friedman. L’actualité la plus tragique remet ses propositions en selle. Durant la visite inaugurale de l’exposition, une dame a demandé à l’architecte s’il serait d’accord pour appliquer ses dispositifs structurels à la construction d’un camp de réfugiés syriens près de Beyrouth. Yona Friedman a répondu par l’affirmative d’une voix rendue faible par l’âge, l’œil brillant d’une énergie intacte à l’idée de ce nouveau chantier…

Olivier Namias

 

Yona Friedman – Architecture Mobile=architecture vivante. Commissariat Caroline Cros et Florence Allorent, Scénographie Myriam Feuchot, Conception graphique Serge Barto, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 7 novembre 2017. Accès par les collections permanentes. Plein tarif 8€, réduit 6€.

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The City above your Head, 2001, (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Ville Spatiale, vers 1960 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Extrait de la série « Le monde en trompe l’oeil », 1975 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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We cannot understand the universe, 2005 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Appartement de l’architecte, boulevard Garibaldi, Paris 2003 (c) Pierre Leguillon
Les universalistes, 50 ans d’architecture portugaise

Les universalistes, 50 ans d’architecture portugaise

L’exposition Les universalistes, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, sous le commissariat de Nuno Grande, offre un regard prospectif sur les cinquante dernières années d’architecture portugaise, qui ont vu naître deux Pritzker, Alvaro Siza et Eduardo Souto de Moura, ainsi que bon nombre d’architectes portugais talentueux.

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Les mémoires de ma Samaritaine

Les mémoires de ma Samaritaine

Ma Samaritaine, une exposition qui livre un dernier regard photographique sur le bâtiment en l’état actuel, au moment où le chantier commence enfin à prendre de l’ampleur.

Ma Samaritaine, mémoire photographique

Depuis 3 ans déjà, la Samaritaine encourage les talents photographiques émergents tout en sollicitant de « grandes signatures » pour constituer une mémoire contemporaine de ce lieu mythique. Après avoir invité cinq jeunes français et cinq jeunes étrangers à donner leur vision du bâtiment en 2013, ce sont dix étudiants et anciens élèves de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts qui ont décliné une lecture photographique du lieu.

Pierre-OlivierDeschamps
Courtesy Ma Samaritaine 2015 / Pierre-Olivier Deschamps « pour les Grands Magasins de la Samaritaine – juin 2013 »
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Courtesy Ma Samaritaine 2015 / Sarah Moon « pour les Grands Magasins de la Samaritaine – juin 2015 »
MichaelAckerman
Courtesy Ma Samaritaine 2015 / Michael Ackerman « pour les Grands Magasins de la Samaritaine – juin 2015 »
YvesMarchandRomainMeffre
Courtesy Ma Samaritaine 2015 / Yves Marchand et Romain Meffre « pour les Grands Magasins de la Samaritaine – juin 2015 »

Pour cette troisième édition, au moment où le chantier prend enfin toute son ampleur, ce sont six grands noms de la photographie qui livrent leur interprétation des lieux, la dernière en l’état actuel. Ma Samaritaine, l’événement photo annuel rue de Rivoli, regroupe, dans un premier temps, le travail de Pierre-Olivier Deschamps qui a documenté le lieu au travers d’images questionnant la fonction de la couleur et de la composition dans l’approche de l’espace. Viennent les photographies de Sarah Moon qui plongent le visiteur dans l’immensité du lieu par le biais des détails. Georges Rousse, quant à lui, intervient in situ pour transformer radicalement la perception de l’espace. JH Engström, lui, voit en noir et blanc Paris à partir de l’édifice. Michael Ackerman retrouve des échos aux sentiments qui traversent son œuvre en découvrant avec fascination ce lieu inconnu. Enfin, Yves Marchand et Romain Meffre prennent le bâtiment à bras le corps avec leur chambre grand format.

La Samaritaine, enfin en chantier

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Courtesy La Samaritaine

L’exposition est l’occasion de revenir sur un projet qui fait débat depuis 10 ans et qui a finalement obtenu son permis de construire définitif en juin 2015. Dès lors, sont prévus 36 mois de chantier à partir de septembre pour une livraison simultanée en 2018 de tous les programmes.

Chantier d’envergure, rappelons que le projet de rénovation de la Samaritaine regroupe cinq agences d’architecture : l’agence SANAA, architecte de conception, le cabinet Lagneau, architecte du patrimoine, SRA, architecte des opérations de bureaux et commerces, Edouard François, architecte pour la conception de l’hôtel, Brugel, architecte en charge de l’opération logements et crèche. Le chantier est finalement pris en charge par Vinci Construction.

La Samaritaine_photo de chantier
Courtesy La Samaritaine

Actuellement, les ouvriers procèdent à l’opération de nettoyage et de dépose des ouvrages à caractère historique de ce bâtiment art nouveau / art déco ; verrière, escaliers, fresques, ferronneries seront rénovés et réinstallés in situ.

Entre identité patrimoniale et création architecturale, le bâtiment de Jourdain reprend son cours, SANAA s’inscrivant dans le sens de l’histoire pour innover et proposer un renouvellement de l’image de la Samaritaine.

Amélie Luquain

La méthode Piano

La méthode Piano

La méthode Piano, exposition-atelier présentée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, révèle les processus de conception de Renzo Piano au travers de 15 projets récents.

« Une méthode sans discours »*

0 - Early Works
Structure constituée d’éléments pyramidaux en polyester renforcée, 1964-1965 – Studio Piano © Fondazione Renzo Piano

Expérimentation

2 - Musée des sciences à San Francisco
Académie des Sciences de Californie, San Francisco, Californie, États-unis, 2000 – 2008 © RPBW
5 - Fondation Pathé à Paris
Fondation Jérôme Seydoux -Pathé, Paris, France, 2006-2014, RPBW © RPBW / Michel Denance

Renzo Piano, aux antipodes de l’architecte artiste, privilégie le savoir-faire au conceptuel, le processus au geste. Issu d’une famille de bâtisseur, il porte un intérêt certain à la technique, avec pour premières expériences de construction des structures légères dans les années 1960. Appliquant les leçons de Jean Prouvé et influencé par Louis Kahn, le maître mot de l’architecte est l’expérimentation. Ayant commencé par la technique, il expérimente l’espace et la ville, avec pour fil conducteur la lévitation plutôt que la pesanteur.

Collaboration

6 - Whitney museum à New York
Musée Whitney d’art américain, Gansevoort, New-York, États-Unis, 2007-2015, RPBW © RPBW / Karin Jobst
7 - Citadelle d'Amiens
Campus universitaire, Citadelle d’Amiens, Amiens, France, 2010-en cours, RPBW © RPBW

Renzo Piano formule des hypothèses qu’il inscrit dans un dialogue critique. Pour l’architecte, le singulier se conçoit au pluriel. Commençant par des premiers échanges avec son frère ingénieur Ermanno, sa pratique a réellement débuté lors de sa collaboration avec Richard Rogers, qui a donnée naissance au très controversé et néanmoins emblématique Centre Pompidou en 1971. Puis il s’associe avec Peter Rice « poète des structures » avant de fonder en 1981 Renzo Piano Building Workshop, dont le nom indique clairement l’inscription de la pratique architecturale dans un processus collectif.

Immersion

8 - Astrup Fearnley Museum of Modern Art d'Oslo
Musée d’art contemporain Astrup Fearnley, Oslo, Norvège, 2006- 2012, RPBW © RPBW / Nic Lehoux
9 - Campus de Columbia à New York
Université Columbia, New- York, États-Unis, 2007-en cours, RPBW © RPBW

Mettant à l’honneur 50 ans de pratique, l’exposition-atelier est construite autour de 15 tables de même échelle, exposant 15 projets récents tous très différents. De plus, la table préhistoire expose la genèse de la méthode Piano. Cette scénographie propose au visiteur de rentrer dans l’agence d’architecture, de s’asseoir autour de la table et d’explorer. Dessins, photos et maquettes donnent à voir le processus de conception, depuis l’esquisse à la réalisation.

11 - Quartier Le Albere à Trento
Quartier et musée Le Albere, façade des résidences, Trente, Italie, 2002-en cours, RPBW © RPBW
13 - The Shard London Bridge Tower
Croquis de Renzo Piano, The Shard, Londres, Royaume-Uni, 2000-2012, RPBW © RPBW

Les lieux parlent, nous dit Renzo Piano, et l’architecture est un art de l’écoute. Ecouter les lieux, et écouter les gens. L’exposition n’a pas l’ambition de donner la bonne formule de production, mais expose celle de celui qui à 9h est architecte, à 10h ingénieur, à 11h artiste…

14 - Parlement de Malte à La Vallette
Parlement de Malte, détail, La Vallette, Malte, 2009-2015, RPBW © RPBW / Michel Denance

* Francis Rambert, co-commissaire et directeur de l’Institut Français d’Architecture

Amélie Luquain

 

Exposition du 11 novembre 2015 au 29 février 2016

Courtesy Cité de l’Architecture et du Patrimoine et RPBW

Chandigarh, le devenir indien d’une ville moderne

Chandigarh, le devenir indien d’une ville moderne

L’exposition Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier, présentée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, interroge le devenir d’une ville moderne en pleine croissance.

Le devenir indien d’une ville moderne

Chandigarh College of Architecture
Chandigarh College of Architecture

L’exposition Chandigarh, s’inscrivant dans le contexte du cinquantenaire de la mort de Le Corbusier, fait suite à une véritable émotion lors de la découverte de cette ville par les commissaires d’exposition. Enrico Chapel, Thierry Mandoul, Remi Papillault, associés au vidéaste Christian Barani et musicien Bertrand Gauguet, viennent rendre compte de leur dérive dans celle que l’on nomme la « Suisse de l’Inde ».

Densification

Fête religieuse
Fête religieuse

Capitale du Pendjab, la construction de Chandigarh décidée par le premier ministre Nehru, fait suite à l’indépendance de l’Inde en 1947. Bien loin de la tabula rasa, cet unique projet urbain de grande ampleur du Corbusier est conçu à partir de 1951, en collaboration avec notamment Pierre Jeanneret qui resta sur place une quinzaine d’année. Prévue à l’origine pour 150 000 habitants, cette ville modèle, symbole et figure optimiste de la démocratie indienne, accueille aujourd’hui 1 200 000 habitants. Après avoir revêtue un costume trop grand, elle atteint son apogée en 2015, sa faible densité originelle permettant un véritable potentiel de densification.

Projection

Palais de Justice, Le Capitole
Palais de Justice, Le Capitole

A travers sa redécouverte est interrogé le devenir de Chandigarh, entre modernité et culture indienne. Penchant entre une double réalité, historique et contemporaine, l’exposition met en regard des documents d’archives de la Fondation Le Corbusier – dont pour la première fois réunis une quinzaine de ses carnets – des maquettes et documents d’interprétation, des films documentaires tournés entre 2014 et 2015. A noter, des copies du mobilier de Pierre Jeanneret permettent aux spectateurs d’être confortablement installé pour visionner les vidéos. Transversalement, la ville est regardée au travers de 7 thématiques + 1 : vie domestique, nature, être mobile, secteur, informel, polis, héritage et le capitole.

Immersion

Secteur 17
Secteur 17

Pour parcourir cette exposition, deux possibilités. La première consiste à la découvrir de la même manière que Christian Barani pour la réalisation de ses films, par la dérive. Théorisée pour la première fois par le situationniste Guy Debord en 1956, la dérive urbaine, vue par le prisme de la psychogéographie, est une démarche qui consiste à flâner dans un lieu en se laissant guider par ses effets, permettant à l’individu de comprendre l’organisation d’un espace par sa propre expérience. La deuxième manière de visiter l’exposition consiste à prendre une carte et à planifier son trajet au préalable. Deux manières d’appréhender l’exposition comme on pourrait appréhender la ville. Une installation donc immersive, qui plonge le visiteur dans la vie urbaine de Chandigarh.

Joueuse de sitar
Joueuse de sitar
Joueur de cricket devant la main ouverte
Joueur de cricket devant la main ouverte
Vendeur de baies rouges
Vendeur de baies rouges

Amélie Luquain

Exposition du 11 novembre 2015 au 29 février 2016

Courtesy Cité de l’Architecture et du Patrimoine / Christian Barani / FLC Adagp, Paris, 2015

Aires Mateus, un style architectural atypique

Aires Mateus, un style architectural atypique

L’architecture des frères Aires Mateus est à la fois minimaliste, épurée et se distingue par sa non-conformité et son atemporalité.

 

Relations environnantes et dichotomies

Elke Mittmann*, docteur en histoire de l’architecture, lit à travers la lecture globale d’une soixantaine de projets des architectes « un lexique d’espaces », souligné dans deux concepts forts. D’une part, se traduit un rapport évident à l’espace environnant matériel (topographie, géologie) et aux valeurs immatérielles (mémoires, archétypes) du site d’intervention. L’interprétation du lieu devient l’essence du projet architectural. Parce que fondée sur des strates historiques, l’architecture se fait atemporelle, hors du temps.

Aires MATEUS

« Références matérielles et immatérielles » au lieu

D’autre part, dans une « dialectique des antinomies », constituée d’opposition et d’interaction, sont générés les projets des deux frères. Plein et vide, positif et négatif, compression et dilatation, continu et discontinu, régularité géométrique et décomposition… tout est dichotomie.

Aires MATEUS

 « Dialectique des antinomies »

 

« Lexique d’espaces »

Dans son lexique, Elke définit la notion d’espace « entre-deux », des espaces vides et interstitiels générateurs de tensions spatiales, à la fois irréguliers et imprévisibles. Elle définit également l’espace sculptural, qui marque l’interface entre l’art et l’architecture, inspiré de la sculpture minimaliste des années 60, qui en plus de prendre en compte l’espace environnant, utilise la stratégie de l’évidement. Les volumes semblent creusés par le vide et la lumière, révélatrice d’espace. De plus, la géométrie est un apport important pour les architectes. Si le carré se définit comme un contenant neutre, il enveloppe une figure seconde, elle-même composée de formes complexes diffractées, juxtaposées, emboîtées. Entre un volume monolithique extérieur aux formes élémentaires et un espace intérieur fragmenté, il semble que la complexité ne soit compréhensible qu’à partir du parcours des espaces.

Aires MATEUS

 « Relation entre une forme claire et simple définie comme une super-structure qui enveloppe une figure seconde, elle-même constituée de formes superposées, juxtaposées ou emboîtées »

 

La perception, guide de la conception

Le tout est uniformisé de manière neutre par la couleur blanche, rendant l’idée d’espace abstraite. Les maquettes de l’exposition monographique des frères portugais au CCCOD sont elles-mêmes présentées blanches, tout comme les photos de projet dont le noir et blanc soulignent la sacralisation du vide. Ces images dénuées de vie viennent offrir des possibles. Ainsi, aux deux principes régulateurs de l’architecture des frères Aires Mateus – qui s’inscrivent dans la continuité historique de l’architecture portugaise, portée notamment par Alvaro Siza, entre régionalisme et modernisme – s’ajoute l’expérimentation. Leur architecture est contemplation ; la perception précède l’espace, l’espace est la résultante de la perception.

Aires MATEUS

« Espaces d’exposition vs expérience de l’espace »

Amélie Luquain

 

*Catalogue monographique de l’exposition au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (CCCOD), préface par Elke Mittmann, « L’architecture d’Aires Mateus – un lexique d’espaces », 2015

Courtesy CCCOD / François Fernandez

Voir aussi : Aires Mateus, un centre d’art contemporain à Tours et Aires Mateus, exposition

 

L’architecture paramoderne vue par Endo Shuhei

L’architecture paramoderne vue par Endo Shuhei

Endo Shuhei : architecture paramoderne 25/25 est la première exposition de l’architecte japonais au Royaume-Uni. Elle présente 25 modèles architecturaux sélectionnés par Endo et célèbre le 25ème anniversaire de la création du studio Endo Shuhei Architect Institut basé à Osaka.

Quand l’architecture s’enroule

Théoricien de l’architecture paramoderne, Endo Shuhei explore de nouvelles possibilités, cherchant à dépasser les limites que le modernisme s’est auto-imposé : la poursuite de l’uniformité, l’efficacité de la mesure, la décomposition de l’ensemble architectural en éléments (mur, toit, façade). Il interroge les prémisses fondamentales de l’architecture, à savoir la séparation entre intérieur et extérieur. Les espaces architecturaux d’Endo sont alors créés avec un seul élément : une bande continue de tôle d’acier englobe à la fois le toit et le mur offrant une interaction entre le dedans et le dehors.

endo shuhei

L’architecture d’Endo Shuhei est extrêmement poétique, mais elle exprime aussi une certaine gravité. Ayant vécu le grand tremblement de terre de Hanshin en 1997, il est conscient que les bâtiments au Japon doivent être robuste et servir à se protéger des catastrophes naturelles. Ainsi la feuille de tôle ondulée est choisie notamment pour sa résistance structurelle, en plus d’être un matériau durable et recyclable en raison de sa surface galvanisée.

endo shuhei

La « peau » ondulante d’acier, habilement courbée, roulée et pliée corrobore de la singularité de l’œuvre de l’architecte japonais. Dans la nomination de ces projets, l’utilisation du suffixe « -tecture » comme Bublletecture, Halftecture, Rofftecture… témoigne d’une approche systématique, miroir de la rigueur de l’architecte.

Les bâtiments d’Endo développent donc des possibles de l’architecture paramoderne.

En 1998, il réalise des toilettes publiques nommés Springtecture H. La structure sous forme de spirale marque la liaison entre l’ouverture (basée sur la commodité) et la clôture (découlant de la sécurité) dans la continuité des tôles ondulées.

endo shuhei

Plus tard, en 2010, il conçoit Looptecture F. En bordure de littoral, ce bâtiment de 300 m² a pour fonction d’assurer la sécurité et le contrôle des vannes du port de Fukura et d’être un lieu de refuge en cas d’alerte aux tsunamis. Il a donc fallu assurer des points de vue sur le pourtour de la spirale d’acier et préserver des espaces d’abri.

endo shuhei

Si ces concepts de l’architecture paramoderne ont été réalisés dans un premier temps à petites échelles, aujourd’hui le travail de l’architecte s’étend à des projets résidentiels, des centres culturels, des bâtiments scolaires, jusqu’à des stades de sport et des infrastructures. L’architecte, également enseignant à l’université de Kobe, a de nombreux prix internationaux à son palmarès, dont dernièrement le Japan Institute of Architecture Award 2012.

Après Stuttgart, Milan et Paris, Endo Shuhei présente aujourd’hui ces modèles architecturaux à Londres à l’occasion du festival d’architecture.

Amélie Luquain

 

Courtesy Endo Shuhei Architect Institut / Tsuyoshi Ono

Programmation de l’exposition