Un village sur pilotis, une fête foraine désaffectée, un salon recouvert de poussière… Pour sa première exposition monographique en France, Hans Op de Beeck invite le spectateur dans ses mondes parallèles.

S’immerger dans l’imaginaire de Hans Op de Beeck, c’est accepter d’appuyer sur pause. Au CentQuatre, après le brouhaha de la halle centrale, trois ateliers accueillent en cocons protecteurs les œuvres du Flamand, plongées dans l’obscurité. Une transition nécessaire pour le spectateur, qui entre ainsi progressivement dans cette mise en espace particulière. Ici, une quinzaine de maisons reliées entre elles surplombent un étang artificiel, encadré de barques, de filets de pêcheurs… Là, dans un entre-deux urbain, une caravane accompagne un manège fermé. Dans un silence troublant, le spectateur fait face à ces tableaux en 3D, loin d’une maquette ou d’un décor de cinéma. Passé le premier instant d’admiration devant ce spectacle poétique, le doute s’installe : ces places sont-elles abandonnées, désertées ? Le gris enveloppant semble frapper la scène d’inertie, la projeter hors du temps. Le regard revient alors sur la lueur des braises, l’éclairage aux fenêtres…

Très vite, on se prend à chercher une preuve d’habitation, une présence humaine… dans une démarche voulue par l’artiste : « Si dans une installation, vous ne représentez pas les humains, vous créez un espace dans lequel le spectateur peut se projeter. » Alors, l’œil scrute, interroge, ce qui apparaît tour à tour comme une trace de précarité ou un indice de vie. La force de l’œuvre réside dans ce cheminement émotionnel parcouru par le spectateur, dû à cette tension subtilement instaurée : « Je joue avec les contradictions. Certains artistes comme Anish Kapoor travaillent le sublime, extraient la beauté des choses. Dans mon cas, j’aime utiliser des éléments proches de nous, du quotidien, voire des choses laides – pourquoi pas indices de mauvais goût ! – et les rendre belles en travaillant l’esthétique.»

Il en est ainsi de son installation « Lounge » : dans un salon figé dans le temps, un canapé Chesterfield trône au coeur d’un amoncellement d’objets : » J’ai souhaité m’inscrire dans l’esprit d’un memento mori, des vanités, en reprenant des chandeliers, mais aussi des cendriers, des portables… Cela me fait penser à Pompéi : ce que l’on a retrouvé, ce sont des objets banals, des bols, des assiettes, des chaussures… Là, aussi, imaginons que l’on trouve dans une centaine d’années des objets quotidiens. Je voulais cette opposition entre le comique et le tragique, la vie et la mort. Un paquet de cigarettes fossilisé, c’est une tension entre le sérieux et le ridicule, cette contradiction donne quelque chose d’étrange, de remarquable. » Comme la cendre du volcan romain, la poussière recouvre les meubles et les objets dans ses œuvres sculpturales, la pluie, la neige, les paysages dans ses vidéos.

Car dans cette exposition de cet artiste pluridisciplinaire, parallèlement aux installations, deux films aussi mettent en scène des paysages, qui se construisent et se défont sous nos yeux. Dans le premier, les compositions s’enchaînent dans un mouvement gracieux mais étrangement perpétuel, rythmées par des mains qui posent, assemblent, détruisent les éléments de décor. Le second invite à un voyage nocturne, autour de aquarelles animées, où les scènes se succèdent elles aussi, la plupart urbaines, dans une rêverie nostalgique. Ici des silhouettes apparaissent parfois, fugaces, rapidement effacées.

En interrogeant de façon distanciée le monde, notre rapport au temps, de notre approche de l’humain, les œuvres de Hans Op de Beeck ont un véritable pouvoir cathartique : avec pudeur, l’artiste raconte avoir reçu, dans ses présentations précédentes, de nombreux messages du public, certains émus aux larmes, d’autres exprimant un sentiment de réconfort. En sortant de ces installations baignées de silence, on se prend à observer plus attentivement au cœur du CentQuatre, les rappeurs, les danseurs de salsa, les groupes de théâtre amateur, les stands des commerce, ou tout simplement ces amis qui discutent tranquillement, assis sur un banc… La vie qui bat, tout simplement.
Nathalie Degardin
« Saisir le silence », Hans Op de Beeck, jusqu’au 31 décembre, CentQuatre, 5 rue Curial, 75019 Paris