La villa la plus chère des USA à LA, la tour Agbar de Jean Nouvel revendue à Barcelone, les agents immobilier parisiens voient le bon coté du Brexit, un éco-village à Mirapolis, Paul Chemetov en lutte, un label pour les villes nouvelles, architecture mot passepartout, une campagne présidentielle sans design, Phyllis Lambert au CCA : la revue de presse du 24 janvier 2017, spécial, immobilier, patrimoine et sémantique
Chez l’Oncle Sam’Suffit
Look de motel abandonné avant l’achèvement des travaux, ou de garage macédonien dont la construction aurait été stoppée au R+1 faute de financement, voire d’ex-magasin de meubles en bordure de la RN20, et pourtant : c’est la villa la plus chère des États-Unis, et elle est à vendre pour 250 millions de dollars, nous apprend la rubrique évasion (fiscale ?) de l’Express. D’une surface de 3 530 m2, elle comporte « deux suites parentales, 10 chambres d’invités, 21 salles de bain luxueuses, 3 cuisines gastronomiques, 5 bars, soit le nécessaire pour accueillir les grandes – très grandes – familles » et bien d’autres choses encore, au 924 Bel Air Road à Los Angeles. Le nom de l’architecte n’est pas mentionné dans l’article, qui cite le maître d’ouvrage, le promoteur Bruce Makowsky, célèbre pour avoir précédemment vendu une maison à seulement 70 millions de dollars – le prix du Penthouse dans la 50 UN Plaza dessiné par Foster+Partners à New York. « Je voulais redéfinir la villa luxe super haut-de-gamme », a confié le brillant Bruce à la chaine CNBC. « Je voulais casser tous les moules. Le niveau de qualité et de détail de cette maison est du jamais-vu. Et je voulais offrir le sentiment de bien-être le plus fort que vous puissiez éprouver chez vous ». Inclus dans le prix, 30 millions d’US$ en voitures de luxe et des œuvres d’art pour un montant de plusieurs millions. Il faut déduire ces sommes pas toujours précises pour avoir une idée du prix de construction au m2 de la modeste bâtisse.

Revoila Agbar
À Barcelone, les investisseurs se repassent la tour Agbar telle une patate chaude. La compagnie Agua de Barcelona (abrégée en Agbar), commanditaire du projet de Jean Nouvel livré en 2005, avait vendu la tour non sans avoir tenté, sans succès, d’en louer une partie dont elle n’avait pas l’utilité. Un ancien employé décrit un bâtiment à l’usage compliqué « qui présente la particularité d’avoir les ascenseurs et les blocs de services au centre des étages (particularité qu’elle partage avec un nombre incalculable de tours, NDLR) qui sont comme un donut. Cela empêche de voir les collègues. (…) Il y a beaucoup de lumière, parfois trop, et quand le soleil t’éblouit tu ne peux pas fermer les stores. Et il n’y a pas de vue car les fenêtres sont trop petites » – ce qui n’empêchait pas des coûts d’entretien de façade conséquents, grevés par la mobilisation d’une équipe de six personnes à temps plein dévolue au nettoyage des 60 000 lames de verre de son enveloppe. Voilà trois ans, Agbar avait vendu la tour à Emin Capital et Westmont Hospitality Group. Les deux investisseurs voulaient la convertir en hôtel de 400 chambres. Un projet abandonné suite au rejet du changement de destination par la municipalité. Elle vient d’être rachetée par le groupe Merlin, qui saura surement mettre ses talents d’enchanteur à profit pour transformer au mieux cette icône barcelonaise.

Brexit Sweet Brexit
Jugé catastrophique par la majorité des éditorialistes, le Brexit réjouit les agents immobiliers parisiens spécialisés dans le haut de gamme « sur ce créneau (…), nous avons eu plus de Français que d’habitude : souvent installés à Londres et travaillant dans la finance, ils anticipent un éventuel retour dû au Brexit » explique le directeur de l’agence immobilière John Taylor à Paris. « Le nombre de transactions d’un montant supérieur à 2 millions d’euros a ainsi bondi de 31% – sur un volume de plus d’un milliard d’euros de ventes réalisé par 14 agences, à Paris, St-Cloud et Neuilly-sur-Seine. Les ventes d’appartements et hôtels particuliers à plus de 15 000 euros le m2, ont grimpé de 32%. Il s’agit d’un marché de niche : les ventes supérieures à 2 millions d’euros représentent moins de 1% des transactions parisiennes, celles au-delà d’un million, environ 5% ». Bénéficiant d’un ensemble de facteurs favorables – prix “bas”, taux attractifs – ces compatriotes cruellement exilés outre-manche arrivent à point nommé pour remplacer la clientèle américaine qui a fui la capitale depuis les attentats, ou la clientèle russe évanouie avec l’effondrement du rouble. « Beaucoup de Français installés à Londres, Genève ou Bruxelles, ont acheté à Paris pour investir, pas forcément revenir » remarque un autre agent immobilier. Nous voilà rassurés : on craignait déjà l’affolement à la piscine Molitor.
Via BFM business
Mirapolis, le retour
C’est un projet que les moins de trente ans ne peuvent pas connaitre : celui du Parc Mirapolis, construit sur la commune de Courdimanche, dans le Val d’Oise. « Ouvert en 1987, le parc de loisirs de 50 hectares sur le thème de la littérature française comptait une soixantaine d’attractions – dont un grand huit, des rapides ou encore un bateau à balancier, 13 boutiques, 8 restaurants et 12 kiosques de restauration rapide. Capable d’accueillir jusqu’à 28 000 visiteurs par jour, l’aîné des grands parcs d’attractions français n’est jamais parvenu à l’équilibre financier et a été contraint de fermer ses portes cinq ans après son ouverture, en 1991. « Trop visionnaire, sans doute », suggère le quotidien Les Echos qui annonce le prochain réaménagement du site. Après avoir été « sporadiquement utilisé depuis pour accueillir les manœuvres des gendarmes mobiles, du GIGN ou des cours de moto-école » les 110 ha où se dressait autrefois un Gargantua géant vont être convertis à l’éco-tourisme. Le promoteur Immo Vauban et la Caisse des Dépôts veulent implanter « 700 à 750 cabanes en bois, perchées dans les arbres, sur pilotis ou nichées en pleine nature. Toute équipées de cheminées », détaille la Gazette du Val d’Oise. « Ça va renforcer l’idée que notre agglo est une agglo verte. On va créer une très belle entrée d’agglomération et un poumon vert », s’enthousiasme (la maire PS de Courdimanche, Elvira Jaouën). Un poumon vert durable, aux antipodes de la mini-ville et de ses 2 000 logements qui furent un jour imaginés au cœur de ce Mirapolis, longtemps endormi et aujourd’hui tout près de se réveiller ». « Que grands tu as… les espoirs », aurait pu dire feu Gargantua à la description de cette cité, qui a déjà des allures de Miragepolis.
Via Les echos et La Gazette du Val d’Oise

Cergy sans mépris
« Je ne suis pas anti-travaux, mais Cergy est l’une des villes nouvelles qui a le mieux fonctionné, et là on n’y fait pas attention » s’alarme Armelle Barret, une jeune diplômée en histoire de l’architecture contemporaine, qui a entrepris de dessiner tous les éléments particuliers de cette « ancienne ville nouvelle » : escaliers, colonnes, plaques d’égouts avec logo, éléments de signalétiques, pavés, souvent retirés sans précautions, tels ces candélabres apparaissant dans le film de Rohmer, « l’amie de mon amie », tourné en 1987. « Pour le moment, Armelle n’a pas obtenu l’écoute qu’elle souhaitait auprès des élus locaux », relate Le Parisien, qui explique que la jeune fille songe à un label pour protéger les villes nouvelles.
Via Le Parisien
Combatif
Armelle pourra trouver de l’aide auprès de Paul Chemetov, qui va se battre pour préserver l’architecture moderne, nous apprend Batiactu. La Cour d’appel de Paris a confirmé le 2 décembre dernier l’autorisation de démolir les locaux de la CPAM de Vigneux-sur-Seine, pourtant labellisé « Patrimoine du XXe siècle ». « Les bras m’en tombent », explique l’architecte « mais je tiens avant tout à rappeler qu’au-delà de mon bâtiment, c’est tout un quartier qui est menacé, celui de l’ensemble des Briques rouges. Cette démolition s’inscrit dans le cadre d’une convention ANRU et concerne, certes, les locaux de la CPAM mais aussi un monument aux morts, le foyer des anciens ainsi que des logements HML. Tout cela parce que les logements seraient mal habités. On revient à des attitudes du XIXe siècle ». « Chem » a rendez-vous le 26 janvier prochain à la direction de l’architecture du ministère de la Culture pour discuter de cette affaire, dans laquelle il aimerait que l’ordre des architectes intervienne au titre de partie civile. « La question que je me pose aujourd’hui c’est : est-ce que l’architecture contemporaine est un mouchoir jetable ? ». Pour l’ANRU, c’est visiblement un mouchoir dont elle se tamponne.
Via batiactu

A toutes les sauces
C’est d’abord « la commune nouvelle (qui) ne crée pas tant une alternative qu’elle inaugure une architecture, apportant une solution à l’épineuse question de la gouvernance intercommunale. L’EPCI devient son utile complément pour exercer les compétences stratégiques et réaliser des économies d’échelle » rapporte le Courrier des Maires, parlant « d’une nouvelle architecture locale » à propos de la réforme communale. C’est ensuite l’architecture mafieuse de Publifin, « un système qui a été mis en place par Stéphane Moreau et André Gilles pour étendre l’emprise du parti socialiste liégeois sur différents secteurs économiques et industriels de la vie liégeoise», pointe François Gemenne. « C’est un système de nature mafieuse car il fait la loi lui-même, il distribue de l’argent à tout le monde pour que personne ne pose de questions». Il s’agit, on l’aura compris, d’une société fantoche ayant pour vocation la distribution de pots-de-vins. C’est enfin l’obscur « nouvelle architecture d’exécution pour la plateforme de sécurité container Twistlock 1.7 », un système informatique de protection des données. Nouvelle, mafieuse, sécuritaire, le mot architecture envahit le langage à mesure qu’il déserte les villes. Mais que fait l’Ordre (des architectes) pour lutter contre ces abus de lexique ? Voilà une idée de chantier donquichottesque pour occuper le CNOA durant l’année 2017.
Via le Courrier des Maires, Métrotime belgique et PRnewswire
Le mot tabou
Vaincu à la primaire de la gauche, Montebourg avait aux yeux de Christian Guellerin, directeur de l’école du Design Nantes Atlantique, une qualité rarement rappelée par les exégètes de la vie politique française : « il faut reconnaître à Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Industrie, le fait d’avoir parlé du design. Pas celui qui magnifie un produit pour en fait une œuvre d’art, pas celui qui ne ferait que se limiter aux belles tables, aux belles chaises, aux belles lampes… Non, celui qui fait gagner les entreprises, celui qui permet de créer des points de valeur ajoutée, de rendre les entreprises plus compétitives… Celui qui fait d’une cocotte-minute, LA cocotte-minute. Pour la cocotte-minute, la plus belle courbe design, c’est « la courbe des ventes » – sa version à lui de « la laideur se vend mal » de Raymond Loewy. Signalant que l’Université de Tongji à Shanghai, déjà pourvu d’un conséquent département d’architecture, vient de se doter d’un département de design, Guellerin enfonce le clou « Il est dommage que les candidats à la présidentielle fassent campagne sur la promotion, l’adaptation, la compensation des recettes du passé, là où il s’agit de prévoir demain. Il conviendrait qu’ils parlent un peu de design et du formidable potentiel offert par les établissements d’enseignement supérieur français qui font du design un atout au service du développement économique ». Pas un mot sur le design dans la campagne présidentielle, déplore Guellerin. Qu’il se rassure : le terme architecture n’était pas plus employé, hormis dans les contextes baroques décrits ci-dessus.
Via Les Echos
Phyllis en ses murs
Mettons un terme à ces troubles sémantiques :« l’architecture, ce n’est pas un bâtiment. Il faut se sortir [de la tête] le mot bâtiment. Tout édifice s’insère d’abord dans un environnement. Ce n’est pas juste d’une dent, dont il s’agit. L’architecture […], c’est un grand îlot, un quartier, un paysage » tranche Phyllis Lambert, fondatrice du CCA (Centre canadien d’architecture) qui consacre une expo à ses « 75 ans au travail ». Héritière de la famille Bronfman, Lambert avait convaincu son père de confier à Ludwig Mies Van der Rohe la conception du siège de sa société, abrité dans un bâtiment passé à la postérité, le Seagram Building. Parfois surnommée Citizen Lambert ou encore Jeanne d’Architecture, Phyllis Lambert continue, à presque 90 ans, d’encourager les opérations de guérilla urbaine, affirmant « que la ville ne doit pas être l’affaire de bureaucrates » et salue les opérations citoyennes qui visent à faire des potagers clandestins, des jardins spontanés. « Les gens vivent la ville et la comprennent, c’est pour ça que les consultations sont importantes. C’est le noyau des bonnes idées et la façon de faire la ville ». Parlant du CCA, elle explique « Nous ne sommes pas un musée qui expose des objets et déclare “ceci est l’architecture”. Nous essayons de faire réfléchir les gens ». On mesure l’ampleur de la tâche.
Via Le Devoir
Olivier Namias