Trois questions à Christine Leconte,  présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France

Christine Leconte a été élue présidente du Conseil de l’Ordre des architectes d’Île-de-France (CROAIF) le 24 octobre dernier. Elle nous livre lors d’un entretien les grands axes qui structureront ses trois ans de mandature à la tête de cet Ordre régional rassemblant près de 1/3 de la profession.

« Nous voulons mettre l’architecte au service des territoires »

 

Christine Leconte © Karine Smadja

CREE_Votre élection à l’Ordre, à la suite de Jean-Michel Daquin, s’inscrit dans une dynamique de continuité : vous êtes comme lui membre de « Mouvement », une liste réélue à la tête du CROAIF depuis 20 ans. Quel bilan tirer de cette double décennie ? Quelle impulsion souhaitez vous donner à ce poste, comment éviter une « usure du pouvoir » qui guette les longs mandats ?

Christine Leconte_Il me semble qu’après 20 ans d’action de « Mouvement », une liste qui avait été créée en 1996 par des architectes désireux d’insuffler une nouvelle dynamique à une institution qu’il jugeait poussiéreuse, le sempiternel reproche « mais que fait l’ordre ? » s’entend moins dans la profession. Au contraire, beaucoup d’architectes se disent prêts à soutenir nos actions et pas seulement en parole. Et nombre d’acteurs publics sont en attente de nos expertises. Les dernières élections ordinales tant régionales que nationales ont mis en lumière via les réseaux sociaux l’envie des architectes de davantage partager avec l’Institution. Une manière également de rompre l’isolement dans lequel plusieurs de nos consœurs et confrères se trouvent. Mon élection à la présidence témoigne d’une volonté d’élargir la représentation de la profession au-delà des architectes exerçant la maîtrise d’œuvre. La diversité de mon parcours — exercice en agence, missions de conseil dans un CAUE, enseignement, architecte conseil de l’État — montre qu’il est possible d’exercer notre métier sous diverses formes. Nous voulons tenir compte des mutations de la profession, ouvrir l’Ordre à une multiplicité d’architectes, qu’ils soient enseignants, journalistes, AMO — tous les champs sont ouverts tant que l’architecte n’est pas subordonné d’une entreprise. La finalité est de pouvoir mieux exercer notre mission, qui est celle d’un professionnel au service des territoires et non plus un architecte démiurge. Une vision de la profession très partagée, notamment par les jeunes générations.

Atelier kaplas lors des journées portes ouvertes 2016 © CROAIF

CREE_Le CROAIF mise aujourd’hui beaucoup sur le rapprochement avec les élus locaux. Nombre de communes petites et moyennes en quête d’habitants et d’emploi acceptent la création de lotissement ou de zones d’activités, favorisant l’étalement urbain. Et le constat qu’un maire dépense plus pour son feu d’artifice du 14 juillet que pour son plan d’urbanisme se vérifie toujours. Malgré cela, pensez-vous que les élus locaux restent les meilleurs alliés des architectes pour la défense de la qualité architecturale ? Quels rapports entretenez-vous avec les quelque 1200 maires que comporte la région Île-de-France ?

CL_Les architectes partagent avec les élus un projet de transformation du cadre de vie. Les élus locaux ont les outils et sont en contact avec une population de plus en plus concernée par la qualité de son environnement bâti — en témoigne l’écho suscité par les articles de Télérama sur la « France moche » et les interrogations autour des entrées de villes. Les documents d’urbanisme évoluent : grâce aux intercommunalités et aux PLUi, on peut espérer que le nombre de PLU qui ne sont que des POS déguisés diminue au profit de véritables outils de projet pour les territoires. La question est plutôt d’arriver à mobiliser les habitants autour des documents et souligner leur rôle de véritable projet de ville ou de territoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. J’ai en tête l’exemple d’Aurillac, ou seulement 60 habitants sur 26 000 se sont impliqués dans les réunions de concertation accompagnant les différentes phases de l’élaboration du PLU. Dans le même temps, 500 personnes visitaient l’exposition du projet Europan qui doit transformer la zone du cœur de ville. Il faut de notre côté développer un véritable service public de l’architecture, afin que l’habitant perçoive de l’urbanisme autre chose que des règles incompréhensibles le contraignant à clôturer sa parcelle quand il voudrait la laisser ouverte, ou imposant des nombres d’étages et des surfaces pleine terre sans qu’il sache bien pourquoi.

Logement : 10 mesures pour construire mieux. Un exemple des nombreux documents édités et diffusés par l’Ordre des architectes d’Île-de-France © CROAIF

CREE_Implanté sur une région qui rassemble près de 30 % des architectes français, l’Ordre en Ile-de-France est un cas à part dans le panorama des ordres régionaux. Cette taille vous donne-t-elle un rôle moteur ? Comment s’organisent vos relations avec les autres ordres régionaux et le Conseil national ? Quelles actions comptez-vous porter pour interpeller l’État, d’abord, et auprès du public d’Île-de-France, ensuite ?

CL_Nous représentons 1/3 des architectes français, mais tout comme les autres Ordres régionaux, notre action s’inscrit en faveur de l’intérêt public de l’architecture. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Ordre national, la situation géographique de l’Île-de-France impliquant souvent des connexions avec des problématiques ou des échelles nationales. À côté de nos missions régaliennes — la tenue du Tableau, la surveillance du respect de la déontologie, la formation —, nous nous impliquons sans corporatisme dans les questions qui touchent la société francilienne et nos concitoyens. C’est la mission institutionnelle de l’Ordre. Au niveau national et régional, l’Ordre des architectes a par exemple participé à la mise en œuvre de la loi LCAP.

Journée d’informations des lycéens sur les métiers et études d’architecture. Février 2017 © CROAIF

Aujourd’hui, il s’agit notamment sur le plan législatif d’interpeller l’État dans le cadre de la future loi Logement. Le sondage réalisé par la « République en Marche » dans le cadre de la stratégie logement affirme que la qualité du logement préoccupe 60 % de la population. La profession par son expertise se saisit du sujet : on ne peut se contenter de le traiter seulement sur un plan financier ou administratif, en fixant des objectifs chiffrés de construction déconnectés de la réalité. Il faut nous attacher à répondre aux besoins et attentes des habitants, des territoires. Nous faisons des propositions pour porter la qualité spatiale du logement, les enjeux de la réhabilitation, la question des copropriétés dégradées. Le maintien voire l’élargissement de la procédure de concours fait ainsi partie de nos exigences dans cette Loi. Nous développons également de nombreux partenariats : à l’échelle régionale comme nationale, nous nous sommes par exemple rapprochés de l’ADEME pour travailler sur les enjeux environnementaux. À d’autres échelles, nous nous engageons également en accompagnement de la MGP notamment pour une « métropole pour tous », où les technologies de la SMART CITY sont des outils mis au service des populations et ne répondent pas exclusivement à de nouveaux « besoins » créés par des opérateurs privés.
En parallèle, plusieurs de nos conseillers contribuent à enrichir animent des travaux extérieurs sur ces questions à partir des échanges des groupes de travail internes : commande privée ; commission des marchés publics, groupe architecture et particuliers, transition écologique… En 2018, comme les années précédentes, nous engageons de nombreuses actions et portons des propositions sur la métropole, l’aménagement raisonné du territoire, le logement… Ceux en y associant tous les acteurs volontaires et nos publics pour « faire la ville ensemble ».

Propos recueillis par Olivier Namias