Enfin libérés de leurs fils à la patte (téléphonie, informatique, …) grâce à la technologie mais aussi à de nouvelles pratiques managériales, les fourmis laborieuses d’hier se sont métamorphosées en abeilles n’hésitant plus à partir butiner à l’extérieur avant de revenir faire leur miel dans l’entreprise. Désormais mué en ruche, l’espace de travail s’interdit le bourdon via d’innovants concepts mobiliers !
En matière d’évolution du cadre de travail, les industriels du meuble tertiaire ont su se montrer bien plus réactifs et créatifs que les professionnels de l’immobilier dont nombre de réalisations à peine livrées sont déjà obsolètes. Pourtant, selon Philippe Starck concevoir une chaise moulée serait plus ardu que de construire un immeuble ! Il est vrai que l’industrie a toujours veillé à consacrer du temps et de l’argent à la recherche et au développement et le secteur du mobilier de bureau ne s’y est pas soustrait.
Living Office
Pour chacun de ses nouveaux produits ou systèmes, l’américain Herman Miller investit massivement en matière grise. Ainsi, en est-il pour les deux collections lancées cette année dans le cadre d’un programme intitulé Living Office. Elles résultent d’une étude menée durant 2 ans – sur les 5 continents – auprès de 14 multinationales. Au regard des 2900 situations de travail analysées, elle conclut que “le monde de l’entreprise concentre une multitude de personnalités et de cultures, mais ce patchwork d’individualités révèle un principe intangible… l’activité au bureau est la même partout ! Seul l’aménagement peut donc se différencier selon des spécificités identifiées”. L’étude constate aussi que “nombre d’entreprises sous-estiment combien leurs locaux sont inoccupés. Tous secteurs confondus, les postes de travail sont vacants 60% du temps (sans compter les nuits, ndlr), jusqu’à 77% pour les bureaux privatifs, et que les salles de réunion sont rarement utilisées à pleine capacité”.
La sécurité, l’autonomie, l’appartenance, la réalisation, le statut et l’objectif ont ainsi été identifiés comme les motivations caractérisant le bien-être au travail par Herman Miller. Ce dernier relève 10 activités effectuées sur le lieu de travail partout dans le monde : bavarder, dialoguer, diviser et conquérir, se rassembler, montrer et dire, briefer et débriefer, traiter et répondre, contempler et enfin créer !
Conçu par Sam Hecht et Kim Colin, le programme Locale (photo ci-dessus) permet de passer – rapidement et à portée de main – d’un travail individuel à une activité de groupe. Public Office Landscape (1ère photo de l’article), designé par Yves Béhar, transforme chaque espace de bureau – poste individuel inclus – en lieu de collaboration en juxtaposant à volonté plans de travail, pôles partagés et circulations, une sorte de mobilier public !
Qui va piano va lontano
Originellement édité par l’industriel américain, l’Aluminium Chair de Charles & Ray Eames fut fabriquée durant des décennies en Italie par ICF. Longuement réfléchie, elle fut sans doute l’une des premières assises à apporter une réponse tout à la fois ergonomique et moderne à nos postures au bureau. Son succès commercial – porté dans le long terme grâce à sa convaincante déclinaison – ne pouvait qu’inciter la firme milanaise à développer autant d’intelligence dans la mise au point de chacun de ses futurs produits. Volontairement limités en nombre, ses modèles de fauteuils multiplient progressivement les versions afin de répondre subtilement à la variété d’usages au sein des entreprises. Ainsi en est-il de sa dernière chaise Pyla (photo ci-dessus) qui incarne l’idée de légèreté : dans le design, la recherche des matériaux et la réalisation des éléments structurels. C’est justement cette légèreté qui en fait un produit passe-partout, doté de tout le nécessaire pour le rendre fonctionnel et confortable – sans éléments superflus – idéal pour s’insérer dans l’espace bureau sans s’imposer. Cette approche a permis d’en maîtriser les coûts, tout en maintenant un standard qualitatif élevé.
ICF porte le même soin prospectif à ses bureaux. Voulant réaliser un produit de très grande qualité, solide et capable de durer dans le temps, qui associe impact esthétique et équilibre des formes, le choix des matériaux a été fondamental mais a surtout engendré deux références Groove et Bevel Tables. En effet, si les pieds de la première sont en acier tréfilé de grande épaisseur et ceux de la seconde en bois massif, juste poncé, les deux modèles utilisent les mêmes plateaux de dimensions, formes et finitions diverses !
Les sièges visiteurs et de réunion répondent à des contraintes moindres mais bien réelles, à commencer par les possibilités de transport et de stockage des dernières. Il est néanmoins fréquent qu’elles ne soient pas exclusivement destinées à l’univers du bureau, nombreuses sont des transfuges (souvent améliorés) du mobilier hôtelier quand ce n’est pas résidentiel.
Attirer, stimuler et retenir les talents
A l’heure où les plus grandes et rapides réussites entrepreneuriales de la nouvelle économie ont vu le jour au fond d’une chambre d’étudiant, d’un garage, ou d’une squatt, les relations entretenues par les jeunes générations envers leur cadre physique de travail ont en grande partie changé. L’espace spécifiquement dédié à un seul et unique utilisateur est en voie de disparition. Au même titre que les start up se désintéressent des tours ou des campus pour privilégier les pépinières d’entreprises et les tiers lieux, le travail dans une entreprise tertiaire ne s’effectue plus scotché derrière un bureau. Les espaces servants ont acquis au moins autant d’importance que ceux qu’ils servent ! En fait le travail s’est nomadisé au sein et en-dehors de l’entreprise.
Steelcase a très vite saisi qu’une part croissante du marché s’inventait au-delà du poste de travail, assise et rangements compris, intrinsèque. L’entreprise strasbourgeoise a ainsi développé de multiples produits alternatifs destinés à rendre « productifs » des lieux « informels » (circulations, cafétéria, … ) et à imaginer les interfaces nécessaires à ces changements de mentalités, mais aussi technologiques, en perpétuelle évolution.
Il est intéressant d’observer l’inventivité mise en œuvre par les designers – y compris textiles – et industriels pour satisfaire au confort acoustique, critère désormais placé en tête des attentes des employés.
Dès lors que la connectivité et l’ergonomie sont garanties, tout n’est plus qu’une question de goûts et de couleurs pour que les miels ainsi récoltés offrent une multitude de saveurs !
Lionel Blaisse