L’agence CAB conçoit l’ENSAE ParisTech sur le plateau de Saclay, un contexte évanescent appelant l’instauration de règles strictes. 

Le plateau de Saclay à Gif-sur-Yvette (91) est surtout remarquable pour la planéité de sa topographie, voire sa platitude. Sur ce grand plan horizontal, le site alloué à l’ENSAE Paris Tech confine à la tabula rasa, sans constructions avoisinantes, sans aspérités auxquelles raccorder le projet. À quoi raccrocher la conception architecturale quand la faiblesse des contraintes ouvre un champ des possibles si vaste qu’il se mue en handicap ? Un contexte libre à l’excès auquel ont répondu Jean-Patrice Calori, Bita Azimi et Marc Botineaux, architectes associés de l’agence CAB, par la définition de règles strictes.

 

Fond et figure

L’acte fondateur du projet de l’ENSAE fut la détermination d’une figure géométrique simple, une forme finie, non orientée, qui déterminerait une emprise au sol maximale tout en s’accordant aux particularités de la parcelle, délimitée par les avenues Le Chatelier et Fresnel à l’angle nord-ouest, et par la lisière de la forêt au sud. Les architectes ont décidé d’inscrire l’établissement dans un carré de 80 m de côté. Il est bordé d’une galerie couverte à colonnes métalliques encadrant une cour intérieure. Évocation du cloître. Une figure qui, pour CAB, correspond bien à ce programme d’école pour ingénieurs statisticiens. La méditation des moines se prolonge dans les cogitations des étudiants. Figure dont les architectes s’éloignent dans le même temps, puisque le bâtiment est ici autonome, sans constructions attenantes, le préau ne ceinture pas la totalité du volume et la cour centrale est pour moitié un plein. L’espace quadrangulaire de 50 m de côté se divise en deux. L’un reste vide pour accueillir un patio planté, assurant la porosité de l’établissement vers le monde extérieur. L’autre est plein, superposant amphithéâtre et bibliothèque jusqu’à offrir une ultime terrasse au dernier niveau qui échappe au paysage pour ne regarder que le ciel.

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Les colonnes métalliques du péristyle sont espacées de 2.10 m, multiple de la coudée perse d’une valeur de 52.5 cm.

9 grandes portes s’ouvrent lors d’évènements exceptionnels, instaurant des continuités entre le volume de l’amphithéâtre et le patio planté, allant jusqu’à chercher la lisière du bois.

L’amphithéâtre se divise en deux auditoriums disposés en miroir autour d’une double cloison acoustique.
Le mobilier de l’amphithéâtre et de la bibliothèque est réalisé sur mesure, là aussi en filière sèche (multiplis et acier) © Olivier Rigal
Au troisième niveau, les rayonnages de la bibliothèque donnent sur une terrasse. Pleins et vides de valeur équivalente se répondent.
Une ultime terrasse au dernier niveau échappe au paysage pour ne regarder que le ciel.

 

La cellule

Si ces espaces communs peuvent se targuer d’être les réfectoires ou salles à manger du monastère, alors les bureaux et salles de cours seraient assimilés aux cellules. Posées sur l’infrastructure de la galerie, elles règlent son épaisseur de 15 m. Au troisième niveau, les salles de cours sont disposées de part et d’autre d’un couloir prenant le statut d’allée centrale. Cette circulation s’élargit dans les étages supérieurs, les bureaux nécessitant une profondeur moindre. L’élargissement des allées dégage une surface où les architectes sont venus « plugger » des alvéoles, des espaces de travail complémentaire ouvert sur la « rue » comme de petites échoppes à l’intensité particulière offrant une granulométrie autre. Les deux derniers niveaux sont complétés de quatre grandes loggias en double hauteur, loggias dites « urbaines » par les architectes ; lieux de convivialité extérieurs au droit du retournement des poutres de l’ossature métallique.

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Les placards sont revêtus de plaques de bois perforées pour l’acoustique.
Des alvéoles, espaces de travail complémentaire ouvert sur la « rue »
Les poutres transversales sont reliées aux poteaux par des connecteurs. Allégeant visuellement l’arrivée du second œuvre sur la façade, les embouts verticaux sous les connecteurs sont vitrés.
Les façades extérieures sont pourvues de vantelles de verre motorisées insérées dans l’exostructure.

Loggias dites « urbaines » par les architectes ; lieux de convivialité extérieurs au droit du retournement des poutres de l’ossature métallique.

 

Filière sèche

Laissée apparente en façade comme dans les intérieurs, la structure métallique de l’établissement a servi d’échafaudage durant le chantier. Les architectes ont fait l’exercice de recourir uniquement à la filière sèche, jusque dans le second œuvre. Prenons l’exemple des salles de classes et bureaux : ils sont constitués de prédalles béton à la sous-face métallique, sur lesquelles sont posées des cloisons en plaque de gypse et fibre de bois. Les réseaux se cachent à peine, derrière des plaques acoustiques suspendues, chauffantes et lumineuses, parti pris qui a nécessité une grande rationalité technique pour organiser et calepiner les cheminements des fluides. Les gaines ne sont d’ailleurs pas dans les circulations, ce qui affecterait leur hauteur sous plafond et donc la sensation d’espace, mais elles sont disposées à l’entrée des grandes salles de cours. Leurs façades sur cours intérieures sont équipées de volets roulants, tandis que les façades extérieures sont pourvues de vantelles de verre motorisées insérées dans l’exostructure.

Escalier à double révolution

 

La trame

Subdivisant les volumes et régulant l’ossature, la trame se fait stratège. Basée sur la valeur d’un ancien système métrique – la coudée perse d’une valeur de 52.5 cm, référence aux origines de Bita Azimi – ce pas, en se fractionnant (15, 2.10…), définit l’organisation du bâtiment depuis la façade extérieure jusqu’au calepinage intérieur. En employant un système générique et des règles de constructions strictes, l’agence CAB a su faire la démonstration d’une synthèse spatiale. Ici, d’aucuns estimeront que cet univers sans concession est aussi aride que le monastère auquel il se réfère, d’autres penseront que la rationalisation s’impose comme économie, que l’assemblage ne cherche pas le raffinement, mais affirme son brutalisme, et que la matière brute donne la couleur.

 

© Renaud Chassaigne

 

Amélie Luquain

Courtesy CAB / Aldo Amoretti (sauf mention contraire)