Manuelle Gautrand reconstruit le cinéma Alésia (Paris 14e), projetant le spectacle en ville.

Vide sculptural
Créé en 1921, le Montrouge-Palace comportait une salle unique de 2800 places, morcelées en 4 salles en 1973, alors qu’il passe sous l’enseigne Gaumont, qui deviennent 7 salles en 1986. Sous l’impulsion du groupe Gaumont-Pathé, il renouvelle son image urbaine. Proche de la place Victor et Helene Basch, sa façade principale orientée plein ouest s’ouvre sur le boulevard du Général Leclerc tandis que la seconde est située sur la rue d’Alésia. L’architecte Manuelle Gautrand profite de cette double orientation pour fabriquer un hall d’accueil traversant, sculpté en creux par la salle qui le surplombe ; le concept est perturbé par le plan Vigipirate, condamnant l’entrée sud. Derrière la façade principale, les circulations sont scénarisées, entrecoupées de vide. Les doubles hauteurs sont scindées de gradins, espaces intermédiaires libres offrant des pauses dans le mouvement continu vers les salles. Le public peut y assister à des projections en off, une façon de démultiplier les écrans. Pour l’instant dévolues à la projection de bandes-annonces et de publicité, ces salles ouvertes transforment le cinéma en lieu de projection totale. S’ajoute à la générosité du dispositif, rare dans une architecture commerciale, un parti-pris sculptural jouant sur la prolongation/inversion des gradins. Le gradinage devient un thème décliné dans tous les espaces servants du complexe, des halls aux circulations. Il est généré par une contrainte particulière de Gaumont, qui se distingue des autres exploitants par l’échappé de tête de 15 à 18 cm entre chaque rang, valeur élevée qui a produit des salles particulièrement inclinées. À l’intérieur des salles de projection, les interventions restent limitées par les codes Gaumont-Pathe, imposant les sièges rouges sur fonds noirs.



Mitoyenneté
Le cinéma est inséré entre deux mitoyens de nature différente. L’un est un immeuble de logements sur 7 niveaux et l’autre un bâtiment mixte sur 2 niveaux. Pour assurer le maintien des ouvrages, les spectaculaires arches en béton de l’ancien cinéma vouées à la démolition ont été préservées pour maintenir les murs durant une bonne partie du chantier. Concernant l’acoustique, les concepteurs ont limité autant que possible les points d’appui structurels, pour isoler les salles de projection entre elles et vis-à-vis du voisinage. Les problématiques acoustiques usuelles des cinémas ont été accrues du fait d’une mitoyenneté directe et d’une structure mixte béton/charpente métallique. Il a fallu limiter les points d’appui et mettre en place des principes de doublages isolants et autoportants sur les parois des salles, en plafond (faux plafonds isolants sur suspentes à ressorts) et en plancher (faux planchers et gradins désolidarisés sur plot anivibratiles).
Plan du RDC, coupe longitudinale et maquettes conceptuelles © Manuelle Gautrand Architectured
Écran lumineux
La mitoyenneté fut également difficile à appréhender en façade, les bâtiments adjacents ne pouvant accepter de nuisances, qu’elles soient sonores ou visuelles. Or, dans une référence à Blade Runner, l’architecte qui se dit volontiers cinéphile projette les films directement sur la façade, support de multiples animations. Haute de 21 mètres et large de 25, elle supporte douze grands rubans verticaux vitrés aux plans inclinés, se terminant en marquise accueillante et protectrice en partie basse, en débords d’environ 3 m sur le trottoir. Y sont disposées 3730 barrettes de LED, formant une grande résille animée. À mi-chemin entre l’installation et la peau numérique, 229 500 points LED sont contrôlés indépendamment, permettant la diffusion d’images et d’ambiances lumineuses sur l’avenue du Général-Leclerc. La largeur de l’avenue libère cette façade média des problématiques de nuisances visuelles en vis-à-vis, mais pas des nuisances latérales, à tel point que les extrémités de la façade n’ont pu être habillées de LED, définissant un cadre noir. Quant à la façade arrière, le principe de rubans plissés s’y décline timidement, mais abandonne l’éclairage artificiel.



Le cinéma Alésia n’est pas le seul à avoir fait peau neuve. La politique du groupe Gaumont-Pathe s’est appliquée à d’autres salles, reconstruites elles aussi par des architectes choisis à l’issue d’une étude de faisabilité. Le cinéma Gobelins (Paris 13e) reprend son nom historique, Les fauvettes. Là encore, le temps des affiches semble bien révolu, l’agence d’architecture Loci Anima de Françoise Raynaud optant pour un mur pixelisé conçu avec l’artiste Miguel Chevalier. Au Gaumont-Convention (Paris 15e) pas d’affiches bariolées, ni de néons qui clignotent pour Jean-Pierre Buffi mais une façade « lanterne » qui signale sa présence derrière sa peau de verre. Tout est bon pour renouer l’esprit de la Ville lumière et le spectacle du cinéma dans la ville !
Amélie Luquain
Fiche technique
Reconstruction du cinéma « Alésia ». Maîtrise d’ouvrage : Gaumont-Pathe Maîtrise d’œuvre : Manuelle Gautrand Architecture BET : ON concepteur lumière. TESS ingénierie façades. KHEPHREN INGENIERE ingénierie structure. INEX ingénierie fluides et ascenseurs. PEUTZ : ingénierie acoustique. GETRAP maitrise d’œuvre d’exécution. Localisation : 73 avenue du Général Leclerc Paris 14e. Programme : 8 salles de cinéma avec 1380 places au total, hall d’accueil, espace atrium, bureaux Surface SDP : 3600 m² Montant des travaux : 12 M HT Dates : études 2011 chantier 2014 livraison 2016
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