Les cent formes de la folie architecturale : la revue de presse du 5 décembre 2017

La LC4, chaise longue ou star du porno ? — Archisutra, le Kama Sutra pour architectes — Un dôme et un tore pour Dubaï — Dubaï : sauver le patrimoine grâce à l’énergie — Comment Vincent Callebaut reconstruirait Mossoul — Quand « Guitare » rime avec « Canard » — 5 raisons de supporter Calatrava — Tour en cours à Toulouse — Mr. Bean chez Richard Meier. La revue de presse du 5 décembre 2017 

 

 

Du X pour la LC4

C’est un versant de la Corbumania peu connu, ou que ceux qui connaissent prétendront ignorer : l’utilisation du mobilier du Corbu dans le cinéma porno, en particulier de la LC4. La chaise longue où se reposait Charlotte Perriand, sa co-conceptrice, a été rebaptisée candidement « la chaise à baise » dans un film dont on ignore le nom. « Elle fait partie de ces objets qui ont été tellement utilisés dans les films X qu’ils sont devenus un peu comme des amis pour les chefs déco. J’aurais rêvé d’avoir cette pièce de Le Corbusier dans mon arsenal », confie Christopher Norris qui a longtemps été en charge de la décoration sur les tournages du site kink.com. Augustine et Josephine Rockebrune (de Cap Martin) on consacré un ouvrage à cette pièce de mobilier, qu’elles ont recherché dans 800 films disponibles sur le web « Nous avons trouvé nous-mêmes les cent premières scènes. Pour effectuer le reste des recherches, nous avons embauché sur le web de la main-d’œuvre basée à Chandigarh. C’était notre façon de rendre hommage à Le Corbusier, mais aussi à l’Inde qui est l’un des plus gros consommateurs de porno en ligne. » Un travail sans nul doute harassant, au terme duquel on peut avancer deux hypothèses quant à l’omniprésence de la LC4 sur les plateaux pornos : le tournage dans une poignée de maisons louées dans la vallée de San Fernando, et la versatilité de l’objet « Il suffit que les chefs décorateurs équipent ces propriétés de quelques (fausses) chaises Le Corbusier pour que l’objet finisse par apparaître partout à l’image. (…) Dans le milieu du X, avec le rythme effréné des tournages, le décorateur doit pouvoir créer un nouvel espace en réagençant différemment les éléments qu’il possède », explique Christopher Norris. L’historienne du design Alexandra Midal prophétise «  Maintenant, ce fauteuil incarne certainement pour une génération entière quelque chose de l’ordre de la pornographie. C’est formidable d’emmener par exemple des étudiants au MoMA pour voir ce fauteuil. Car ils diront : “Ah je l’ai vu dans un porno !” ». Utiliser le porno pour promouvoir l’archi moderne : une tactique déjà employée par Hugh Heffner, qui se servait de son magazine Play Boy pour faire la propagande du mobilier design.

Via Slate 

Photos DR via Slate

 

Sex and the archi

Ne dites plus « je regarde des livres de “boules” », mais « j’approfondis ma connaissance de l’architecture ». Les sœurs Rockebrune ont rassemblé les ébats des acteurs du X sur chaise longue LC4 dans un ouvrage intitulé « We don’t embroider Cushions here* » — commentaire que Le Corbusier avait lancé à la jeune Charlotte Perriand qui venait lui présenter son portfolio. Miguel Bolivar, un architecte installé à Londres, vient de publier Archisutra, version architecturale du Kamasutra. Oubliez la vague, le grand pont ou le derviche à grand braquet : l’art d’aimer rejoint ici l’art de bâtir, et les positions se réfèrent à l’architecture, prenant le nom de Eames it in, the Petronas, Truss me. Elles sont illustrées par des personnages normalisés tracés au normographe – détourné ici en pornographe – avec indication des angles à respecter façon Neufert. Après le Modulor, de Le Corbusier, le Copulor, manuel orthonormé de l’amour en bâtiment ?

* Ici, on ne brode pas des coussins

Via Dezeen 

Match Dubaï/Abu Dhabi : bientôt 1 dôme partout

Après les folies du corps dans l’architecture, place aux folies architecturales tout court. Cap sur les Émirats Arabes Unis, ou le vent du délire bâtisseur souffle plus fort qu’ailleurs. Dubaï, sans doute jaloux du dôme du Louvre d’Abu Dhabi, annonce qu’il construira un dôme de 67,5 m de haut et large de 130 mètres à l’occasion de l’Expo 2020, suivant des plans de Adrian Smith + Gordon Gill Architecture. Quand Abu Dhabi exprime le poids du dôme de Nouvel en équivalent tour Eiffel, Dubaï préfère utiliser des unités plus locales : son ouvrage, utilisant 13 600 mètres d’acier, pèsera le poids de 500 éléphants, soit 2 265 tonnes. « Je suis très impatient de voir ce dôme s’élever et prendre forme, déclare Ahmed Al Khatib, Vice président de l’immobilier à l’Expo 2020. à l’occasion de l’attribution du marché à la société Cimolai Rimond. “Les dimensions de la structure sont impressionnantes — assez grande pour héberger un Airbus A380 d’Emirates, avec une surface au sol équivalent à pratiquement cinq terrains de football” ». Autant d’idées pour la reconversion du site quand l’expo aura fermé ses portes.

Via Albawaba

 

Match Dubaï/Abu Dhabi : 1 tore à 0

Le dôme n’est que la première cartouche de la riposte architecturale Dubaïote. L’Émirat a dans ses cartons un autre projet, le musée du Futur, qui remporte déjà un prix alors qu’il n’est même pas sorti de terre. L’Autodesk University 2017 a attribué son trophée AEC (Architecture, Engineering and Construction) à ce projet conçu en BIM, catégorie Édification : « Le musée sera implanté à côté des tours Emirates, à Dubaï, et aura la forme d’un tore déformé, avec une façade de verre et d’acier inoxydable sérigraphié d’une calligraphie arabe rétroéclairée ». Selon le jury, « alors que l’intérieur de bien des musées regarde vers le passé, dans ses sept étages, le musée du Futur présentera des expositions d’innovation et d’incubation de nouvelles idées, et de plus sera équipé d’un laboratoire et d’un auditorium pour 400 personnes ». Nous voilà rassurés : la forme du lieu laissait penser que le musée serait dédié à Spirou, personnage de BD évoluant dans un univers peuplé de bâtiments virgulomorphes (soit en forme de virgules).

Via Clarin

impact. La forme torique du futur musée de Dubaï via Clarin

 

Derby dubaïote : passé contre présent

L’architecture spectacle n’est que le versant médiatique d’une fièvre constructive toujours haute à Dubaï « Nous voyons, dans notre quotidien d’ingénieurs structures, beaucoup de bâtiments anciens, historiques et culturels être démoli pour laisser la place à de nouveaux bâtiments, explique Mohamad Khodr Al-Dah. Nous démolissons une villa pour construire un immeuble de quatre étages. Puis, avant que l’on s’en rende compte, on détruit l’immeuble de quatre étages pour construire une tour de 20 niveaux », poursuit l’ingénieur, conscient des conflits d’intérêts générés par sa position. La construction d’une tour donne du travail et fait tourner les bureaux d’études, mais la destruction continue risque de faire perdre le patrimoine architectural de l’Émirat. Le performance based contracting — contrat avec résultat — pourrait peut-être favoriser la réhabilitation plutôt que la destruction. Avec ce système, c’est l’entreprise qui finance les travaux et la modernisation des équipements fluides : elle se paie sur les économies d’énergie réalisées. Les propriétaires ne déboursent pas un sou. Ceux qui voudraient faire valoir un manque à gagner (un immeuble de trois étages rapporterait 54 451 US $, contre 544 514 US $ pour un bâtiment qui en compterait dix) pourraient se voir accorder une subvention ou faire racheter leur immeuble par le gouvernement. Il est des lieux ou rester bas coûte de l’argent…

Via Construction Week On Line 

 

Ruches saoules à Mossoul

Mossoul libérée, mais Mossoul dévastée. « La vieille ville a été laminée, ses immeubles écroulés, ses ruelles anéanties. Les quartiers de la rive ouest n’existent pratiquement plus et la mosquée Al-Nouri et son minaret ont été dynamités par Daech. Au total, entre 50 et 75 % de la ville ont été rayés de la carte, ne laissant que des millions de tonnes de gravats. Selon le gouvernement irakien, il faudra plus d’un milliard de dollars pour réhabiliter les services de base à Mossoul. Près de 700 000 habitants ont fui la cité et ne sont pas rentrés », relate l’édition belge de Paris-Match. Vincent Callebaut, connu pour ses visions futuristes, a un plan pour reconstruire la ville martyre « Fasciné par les villes vertes, cet architecte souhaite non pas reconstruire la ville à neuf vers sa périphérie, mais la recycler depuis son cœur. ‘Les pelleteuses commencent à déblayer les gravats… Dans une logique d’économie circulaire et d’upcycling, tout ce qui peut être réutilisé, recyclé et transformé doit être inventorié et valorisé’, explique-t-il. Il a donc imaginé ‘Les 5 ponts agricoles’, un projet qui vise à reconstruire les cinq ponts de Mossoul qui reliaient les quartiers ouest et Est avant d’être détruits par l’armée irakienne pour encercler Daech ». L’ensemble évoque un avatar d’Habitat 67 en version orientale, rappelant l’architecture indienne et le croisement d’une ruche avec les jardins de Babylone. Mais comment construire cette opération de 55 000 logements possédant potagers sur le toit ? Vincent a un plan : il « souhaite s’appuyer, une nouvelle fois, sur la technologie et cinq imprimantes 3D en forme d’araignées articulées. Des drones autonomes leur apporteraient, en continu, des matériaux de construction provenant des quartiers en ruines, préalablement broyés et transformés dans des recycleries. Grâce à ces ressources, les araignées robotisées pourraient ainsi imprimer les modules d’habitation ‘en dirigeant n’importe quelle buse de construction comme celles utilisées pour verser le béton et les matériaux isolants ou encore en utilisant une tête de fraisage ». C’est comme si c’était fait…

Via Paris-Match

Le projet est intitulé « Les 5 ponts agricoles » | © Vincent Callebaut Architecture via Paris Match

 

Guitarchitecture

L’information était presque passée inaperçue, et pourtant, comme le dit justement Charles Trainor, journaliste du Miami Herald « Hard Rock n’a pas donné dans la finesse sur ce coup ». La chaine aux 168 cafés, 23 hôtels et 11 casinos célébrait fin octobre le lancement du chantier de son nouvel hôtel. Au son de la batterie de Nicko McBrain, batteur d’Iron Maiden, les dignitaires des tribus indiennes Seminole, nouveaux propriétaires de la chaîne, et les pontes du Hard Rock, brisaient en cœur une guitare acoustique sur une guitare électrique pour annoncer la construction de leur tour hôtelière… en forme de guitare ! James Allen, Directeur général du groupe, se rappelle avoir eu l’idée d’un hôtel guitaromorphe en 2007. « À l’époque, même les architectes chargés du projet ne comprenaient pas ma vision. Leur premier projet accolait un bloc rectangulaire à une façade de verre en forme de guitare. (…) J’ai dit, nous parlons bien d’un bâtiment qui prend effectivement la forme d’une guitare », a dit Allen lors de l’inauguration « C’est un autre moment de ma vie où les gens ont vraiment pensé que j’étais totalement dingue ». Ses architectes auraient-il mieux compris s’il avait demandé un canard architectural prenant en l’espèce la silhouette de l’instrument roi du rock ? Peu importe, Allen jubile « il n’y a vraiment, sans aucune exagération, rien de comparable au monde ». Dommage que sa guitare soit privée de manche avec restaurant panoramique. McBrain a également exprimé ses regrets à la presse « où est l’hôtel en forme de batterie ? ». Heureusement qu’Hard Rock est peu versé dans la musique symphonique : son complexe hôtelier s’étendrait de Miami à New York.

Via Miami Herald 

http://www.miamiherald.com/news/business/article180878501.html

 

Valence : apprivoiser Calatrava

Une fois la folie construite, il faut vivre avec. Les Valenciens souffrant des projets de Calatrava l’ont bien réalisé, et tentent de trouver des raisons de vivre avec leur cité des sciences calatravesques disproportionnées, ou leur opéra qui perd son revêtement de carrelage. Un article envisage sous l’angle ironique la réconciliation de la ville avec le « divin de Benimàmet », commune de la métropole de Valence, grâce à cinq axes stratégiques. Profiter de la célébrité de l’architecte, s’approprier ses ‘produits’, l’utiliser comme cheval de Troie touristique, le séparer de la classe politique qui l’a promu, et laisser faire le temps, en comptant sur un retournement critique spectaculaire. « Des œuvres comme la sienne demandent du recul, explique le président du syndicat des acteurs valenciens (…). Il peut se passer la même chose qu’avec Gaudi : à son époque, tous les barcelonais voulaient le tuer, mais dès que c’est devenu un produit commercial tous se sont mis à l’aimer. Nous préférerions sans doute que Valence soit connue pour la Lonja (bourse du commerce du XVe siècle), mais elle est réputée pour Calatrava. Si tu n’en fais pas ton icône, Abu Dhabi le fera »— si l’icône vient à manquer aux Emiratis.

Via Valencia Plaza

 

Au haut Toulouse

À propos d’icônes, où en est la Tour Occitanie ? se demande La dépêche du Midi. La compagnie de Phalsbourg a chargé Libedskind de concevoir une centaine d’appartement et de chambres d’hôtel, 10 000 m2 de bureau et deux restaurants sur un terrain bordant le canal du Midi, à Toulouse. Haute de 150 mètres, la tour sera le premier IGH de la Ville Rose. « (La) demande de permis de construire doit être présentée à la fin du 1er trimestre 2018. Après environ cinq mois d’instruction, le permis doit être déposé par la Métropole. ‘’Nous travaillons déjà à son instruction, afin qu’il entre dans les règles d’urbanisme’’, précise Annette Laigneau, vice-présidente de Toulouse métropole. Et le chantier pourrait commencer au premier semestre 2019. Si tout va bien. (…) «Il faut prendre en compte d’éventuels recours, et peut-être miser davantage sur un début du chantier à fin 2019’’, poursuit Annette Laigneau. Après ? Le chantier devrait durer 36 mois, soit une livraison, au plus tôt, pour mi-2022 ». L’architecte des bâtiments de France donnera un avis, une commission du ministère de la transition écologique et la DRAC étudieront également le dossier, et une pétition contre le projet a recueilli 1200 signatures. En bref, l’affaire suit son cours.

Via La depeche

 

Le Meier d’entre nous

On peut incarner un personnage maladroit à la télévision et aimer l’architecture moderne. Rowan Atkinson a remplacé son manoir année 30 par une maison dessinée par Richard Meier. Après 5 millions de livres de travaux, Atkinson règne sur une bâtisse équipée d’un salon atrium, de toiture à panneaux solaires, d’une maison d’ami et d’un garage secret caché sous un toit végétalisé ou il entrepose sa flotte de voiture de luxe. Le jardin a été dessiné par le paysagiste Tom Stuart-Smith qui a reproduit une prairie devant la maison.

Via Ary News

Picture courtesy: Dezeen
Picture courtesy: Dezeen

 

Olivier Namias

Critiques et histoires d’eau : la revue de presse du 5 juillet 2017

Critiques et histoires d’eau : la revue de presse du 5 juillet 2017

Adélaïde la laide – Pavillonneurs contre websurfer – les fuites dans l’oculus – l’Angleterre réhabilite le PoMo d’Outram – Renzo Piano malmené à Cagliari – Apple, un campus circulaire et nombriliste : la revue de presse du 5 juillet 2017

 

La laideur d’Adélaïde

Beaucoup de prétendants au titre de bâtiment le plus laid d’Adélaïde, capitale de l’Australie-Méridionale. La compétition lancée par un journal local a permis de repérer les belles têtes de vainqueurs : de nombreux hôpitaux, un nouveau tribunal «et même le palais des festivals d’Adélaïde, qui a figuré dans la liste du bâtiment le plus laid du monde dressé par le journal britannique The Telegraphe au début du mois». Mario Dreosti, représentant de l’institut des architectes australiens, s’est fait l’avocat de ces bâtiments décriés : « j’ai toujours pensé qu’un immeuble vaut bien plus que sa façade. Un bâtiment dont vous pourrez ne pas apprécier l’esthétique peut fonctionner très bien, et peut offrir aux gens un excellent logement ou un environnement de travail fabuleux – nous devrions nous en souvenir lorsque nous évaluons et commentons l’architecture». S’il est entendu, le conseil sauvera peut-être les logements étudiants du 231 Waymouth Street – un clone ultra perforé de la Zollverein School de Sanaa – de la vindicte publique.

Via Adelaide Now   

 

Les pavillonneurs américains aiment la liberté d’expression

Zillow, promoteur immobilier américain spécialisé dans la maison Merlin locale, un type de pavillon gonflé aux hormones désormais connu sous le sobriquet de McMansion, n’en pouvait plus d’être moqué sur internet par Kate Wagner, étudiante en acoustique et animatrice du site McMansion Hell. Sur ses pages, Wagner surcharge les photos de ces villas de commentaires ironiques et critiques, en utilisant à l’occasion des images représentant les productions de Zillow, qui a engagé une action légale pour faire fermer le site. Devant le tollé des internautes, mobilisé via twitter, et l’engagement de l’Electronic Frontier Foundation, une ONG qui milite pour la liberté numérique et la liberté d’expression, le promoteur a dû faire machine arrière. « Nous avons décidé d’abandonner toute action juridique à l’encontre de Kate Wagner et de son site. (…) Nous n’avons jamais eu l’intention de fermer McMansion Hell, ou pour cela sembler attaquer la liberté d’expression de Kate Wagner. Notre démarche procédait d’un excès de précaution envers nos partenaires — les agents et vendeurs qui nous ont confié les photos des maisons de leurs clients ». Wagner a gagné, mais devra retirer les images venant de chez Zillow, ce qui risque d’amoindrir le potentiel comique du site. Et en France, pas de site www.enferfrancobelge.com ou cauchemardephoenix.net ?

via Archpaper 

Zillow dépose sa croisade juridique contre McMansion Hell. (McMansion Hell / Image via domain.com.au)

 

Et pourtant, elle fuit

Les détracteurs de la Canopée des Halles, et notamment tous ceux qui blâment les fuites de cette couverture pourraient-ils se consoler des déboires de l’«Oculus », pôle multimodal de 4 milliards de dollars conçu par Calatrava ? « Il y a plus de fuites qu’entre les russes et l’administration Trump », ironise Archpaper, qui accuse l’autorité portuaire, gestionnaire du bâtiment, de déni total de réalité devant ces malfaçons. « Il n’y a pas eu de fuite cette semaine dans l’Oculus », a affirmé le porte-parole du maître d’ouvrage. Et pourtant « nous l’absorbons et la drainons. C’est beaucoup de travail. Non-stop, a déclaré au New York Post un des « serpilleurs » du bâtiment. Les gens ont des accidents. Comme lors du dernier jour de pluie, une personne a failli se casser le cou », relate un employé à la maintenance. La victime en question, une femme, descendait des marches quand elle a glissé sur une flaque d’eau. « Les gens glissent et se font vraiment du mal, parce que vous voyez, ce sont des sols en marbre ». Petit conseil à Calatrava, dont les bâtiments sont souvent sujets aux fuites : la prochaine fois, prévoir des sols en éponge.

Via Archpaper 

L’Autorité portuaire est dans le déni de son Oculus qui fuit. (Courtesy Harvey Barrison/Flickr)

 

Eau de PoMo

C’est un temple étrange et bariolé, un mixte de style Aztèque et Greco-Romain, avec au centre de son fronton une turbine de réacteur. Construite entre 1986 et 1988, cette station de pompage extravagante a été dessinée par John Outram, un architecte postmoderniste un peu oublié de ce côté-ci du Channel. Elle fait partie d’une commande pour trois stations de pompage passée à la barbe de Margaret Tatcher, qui ne voulait pas que de l’argent public soit dépensé dans ce type de projet. Rogers et Grimshaw réalisèrent les deux autres stations de pompage. Ils ont connu une notoriété mondiale, mais Outram tient sa revanche, puisque son « Temple des tempêtes » vient d’être élevé au grade II — qui distingue les édifices particulièrement importants ou d’un intérêt spécial — par le service des monuments historiques anglais. C’est le symbole « d’une nouvelle vague d’inventaire qui couronne une ère d’esprit et de fun en architecture », explique le critique d’architecture du Guardian Oliver Wainwright, qui voit dans l’équipement un des nombreux bâtiments d’Outram méritant l’inscription. Pour redonner du souffle à son roman national, l’Angleterre du Brexit sera-t-elle conduite à se pâmer devant le PoMo ?

Via The Guardian

Nous avons eu beaucoup de plaisir et de jeux … La station de pompage John Outram de classe II * sur l’île de Dogs de Londres. Photographe : James Davies/Historic England Archi

 

Renzo et Liberto, architectes dans l’eau

À Milan, les idées de Renzo Piano guideront la restructuration du Politecnico, l’université dont il est sorti diplômé en 1964 avec un travail portant sur la «Modulation et la coordination modulaire». Le projet, à 65 millions d’euros, sera exécuté par l’agence ODB architects. Salué à Milan, Renzo Piano est outragé à la faculté d’architecture de Cagliari, en Sardaigne. Une étudiante l’a jeté dans la fontaine pour faire enrager une de ses camarades de promo, et s’est ensuite glorifiée du fait sur un intranet de l’établissement. « Le recteur de l’université Maria del Zompo s’est tout de suite inquiété de l’état de Renzo Piano – le chat mascotte de la faculté d’architecture ». Ce Piano n’était qu’un félin, mais l’histoire a pris le caractère de drame national, et l’étudiante en question s’est confondue en excuse sur le net, affirmant regretter infiniment cette situation. Comme si cela ne suffisait pas à jeter l’opprobre sur les architectes, on apprend que dans la prochaine saison de «Une Vie», télénovela espagnole que s’apprête à diffuser la cinquième chaîne italienne, le couple vedette Rosina et Liberto se baigneront nu dans un lac. Scandale, car Liberto est un étudiant en architecture, et il a menti à sa mère sur ses études, loin d’être aussi avancées qu’il veut bien le prétendre. Les architectes et les histoires d’eau : un nouveau chapitre qui pourrait enrichir l’exposition que la Cité de l’architecture consacre à cette figure professionnelle.

Via  il Giorno, YouTG et Blasting News 

 

Pomme empoisonnée

Le nouveau siège d’Apple est l’objet de toutes les admirations, surprenant jusque dans ses moindres détails : « (le bâtiment) possède les meilleures poignées de porte. Elles sont faites de rails d’aluminium façonnés par fraisage à haute précision, fixés aux portes de verre sans boulons visibles », rappelle Dan Winters dans les colonnes de Wired. Verre courbe bombé pour conduire la pluie, arbres résistant aux sécheresses, etc. Le bâtiment de 5 milliards de dollars rassemble le meilleur, tout simplement. Sauf qu’un bâtiment vit aussi avec son extérieur, rappelle Winters. Dès lors que l’on adopte un point de vue contextuel, le bâtiment est rétrograde, autocentré, méprise la ville qui l’entoure et le monde en général. L’impact sur l’environnement est calamiteux, affirme Winters, qui pointe du doigt les déplacements induits par la localisation du bâtiment, la faiblesse des contributions de l’entreprise aux finances locales, le choix de non-mixité fonctionnel de la firme à la pomme comme son inaction en matière de construction de logements, un secteur frappé par une flambée des prix doublée d’une pénurie depuis sa mise sous pression par les entreprises de Silicon Valley. Un problème tel que Google prévoit de construire 10 000 logements avec son nouveau siège. Pas Apple, qui favorise par son attitude le règne du tout voiture. « La compagnie aurait pu doubler les fréquences des trains. Elle aurait pu construire un pôle de transport à Cupertino, qui, contrairement à Mountain View (Google) et Palo Alto, en est dépourvu. Ce n’était pas une question d’argent », explique le rédacteur en chef d’un journal local, rappelant que la firme de Steve Jobs dispose d’un trésor de 250 milliards de dollars en cash. « Qu’aurait pu construire Apple ? Quelque chose de plus haut, entouré de bâtiment mixte ? Cupertino ne l’aurait jamais permis. Mais en laissant de côté le problème de forme, le meilleur, le plus brillant des designers (Johnatan Ive) et des architectes (Norman Foster) du monde auraient pu essayer quelque chose de nouveau. Au lieu de produire à un bâtiment ressemblant à un nombril, pour après passer son temps à le contempler ». Dis-moi où tu habites….

Via Wired 

Photos DAN WINTERS via Wired

 

Olivier Namias

Star du passé, star de la déco, starchitecte : la revue de presse du 28/03/2017

Recyclage immobilier; l’appel de Jean Nouvel; épidémie verte; des malls qui se fondent dans la ville; revoir Georges Maillols; palettes, vraiment bonnes à tout faire : la revue de presse du 28 mars 2017

 

Foir’fouille immobilière

Pour boucler ses fins de mois, l’État vend chaque année une fraction de ses biens immobiliers, un patrimoine des plus disparate : « majoritairement (il) se sépare de terrains, immeubles, logements ou bureaux. Mais quelques pépites se glissent dans les cessions. Exemple en 2016 : une chapelle de 17 m² vendue 400 € à la commune de Mauléon, où elle est située dans les Deux-Sèvres. Une tour “en très mauvais état” a aussi été cédée pour 130 € à la ville d’Oreilla, dans les Pyrénées-Orientales. Parfois, des sites très insolites — la maison d’arrêt de Grasse ou le fort de Chavagnac — intéressent les investisseurs privés pour des projets touristiques ou culturels ». Parmi les sites mis en vente, un fort de la Manche cédé 100 000 euros à un constructeur de navire qui va en faire un lieu touristique, ou un garage Renault à Paris racheté par Paris-Habitat. En 2016, 920 biens immobiliers nationaux sur 220 000 ont été cédés à des collectivités ou des investisseurs privés. « Les cessions ont permis de rapporter près de 574 M€ à l’État. Un chiffre globalement stable depuis dix ans. “Ce ne sont pas des sommes gigantesques, mais elles ne sont pas négligeables”, affirme un conseiller de Bercy ». L’argent est affecté principalement à l’achat, la construction ou la réhabilitation de nouveaux bâtiments.

via Le Parisien 

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Le Fort Chavagnac (Manche) a été cédé pour environ 100 000€ à un constructeur de navire qui souhaite en faire un lieu touristique.S. Plaine / CC-BY-SA-4.0 via Le Parisien

 

Sport au musée

Pour éduquer les populations, deux entrepreneurs de Chicago veulent lancer un musée du sport. Il y a un truc : « le sport servira d’appât pour ouvrir sur des cours de physique, biologie, relations interraciales, médecine, droit, politique et relations internationales » — et pas d’architecture, malheureusement, à croire que les enceintes sportives des US sont toutes en palissade de bois et tôle. Ainsi, dans la galerie consacrée aux jeux Olympiques du futur musée, on ne vous dira pas qui est Frei Otto, mais « vous pourrez toucher une vraie médaille d’or et entendre parler du salut des panthères noires de 1968 ou de l’attentat de Munich ». Les deux promoteurs du musée espèrent collecter 50 millions d’US $ et recherchent 10 000 m2 accessibles à toute sorte de public, touristes et scolaires. Doté d’un budget annuel de 20 millions d’US $, le musée emploiera 250 personnes. Son ouverture est prévue pour 2020/2021. Une campagne de crowdfunding a été lancée pour recueillir les 50 000 dollars nécessaires à la diffusion du projet. À l’instant T, le montant des contributions atteint 1 705 dollars. Arriveront-ils vraiment à “lever” les 50 millions visés « le premier million de dollars sera bien plus dur à lever que les quarante-neuf suivants », explique un des porteurs du projet, expliquant qu’une fois passé le cap du million, des entreprises aux athlètes, tout le monde se battra pour donner son nom à une salle du musée. Il va y avoir du sport…

Via Chicago Curbed 

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Illustration of the proposed museum via American Sports Museum

  

Verte épidémie

« En termes métaphoriques et conceptuels, le bosco vertical (forêt verticale, tour milanaise livrée en 2015) peut être comparé à un grand arbre, dont les balcons forment les branches, l’ensemble des espèces végétales les feuilles, le noyau central le tronc et les systèmes d’arrosages les racines », explique Stefano Boeri, architecte d’un nouveau type d’immeuble si bien végétalisé qu’il essaime aux quatre coins de la planète. Après Milan, Boeri travaille sur un projet de tour à Lausanne, et en Chine, Nanjing, Chongqing, Guizhou, Liuzhou, Shanghai e Shijiazhuang se verront bientôt doté de leur « Vertical Forest ». « Les forts traits identitaires de la tour forêt en font un modèle clairement reproductible dans tout type de situations. Le rôle de responsabilité que porte la Vertical Forest a conduit à faire de l’idée un langage repris par beaucoup, autant que le symbole d’une nécessité écologique », affirment les Italiens d’Art Tribune. Tandis que la forêt recule, les tours-forêts poussent drue, avec l’insolence et la vigueur des mauvaises herbes.

Via Art Tribune 

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Stefano Boeri Architetti, La tour des cedres, Losanna via Art Tribune 
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Stefano Boeri Architetti, Nanjing vertical forest via Art Tribune

 

Mallville

«On ne s’attendait pas à voir des boutiques», s’étonne Yulia, Ukrainienne en promenade à New York, alors qu’elle arpente les allées de l’ «Oculus», ou pôle intermodal auquel Calatrava a donné la forme d’un squelette de dinosaure. Le lieu est aussi connu sous le nom de Westfield World Trade Center. «Faites vos courses. Mangez. Buvez. Jouez. Tout ça sous un magnifique toit», dit le slogan de la compagnie Westfield qui exploite le lieu, un véritable mall (centre commercial) de périphérie implanté au coeur de Manhattan. Alors que certains malls de la périphérie périclitent, le Guardian s’inquiète de leur retour en centre-ville « en fait, une nouvelle race de centre commercial s’intègre si parfaitement au contexte urbain qu’il devient difficile de tirer une ligne entre la ville et le commerce. London Boxpark, Le Container park de Las Vegas ou le Brickell city centre sont des exemples de la façon dont les centres commerciaux s’imbriquent et de se fondent toujours plus dans le tissu urbain ». Le phénomène est encore plus flagrant dans des pays comme la Chine, où l’on s’est mis à donner aux centres commerciaux l’apparence de villages. « Au début des années 2000, quand les centres commerciaux fermés constituaient la norme, l’architecte Chris Law d’Oval Partnership a proposé un concept de ville ouverte pour San Li Tun, un secteur commercial de Beijing. Il proposa d’injecter dans la « boîte » une forte dose d’espace public. Au lieu des parkings asphaltés, Law a voulu des trottoirs et des arbres qui rafraîchiraient et feraient de l’ombre aux visiteurs». Un chercheur met en garde « si l’on peut trouver un attrait indéniable au retour en ville des centres commerciaux, l’effet collatéral est que ces structures transforment la ville en centre commercial ». Où est le mal(l) si on ne voit pas la ville ?

Via The Guardian 

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Santiago Calatrava’s Oculus, Westfield’s $1.4bn bet on a New York City mall. Photograph: Alamy via the guardian

 

 

Ici JN

« Hier, la politique était définie comme la science de l’organisation de la cité. Aujourd’hui, il suffit de voyager de ville en ville, tout autour de la terre, pour être frappé par la violence du saccage des paysages urbains et naturels, pour être sidéré par le mépris de la géographie, de l’histoire et de l’homme. Les mêmes causes, produisant les mêmes effets, abîment en profondeur l’image de nos villes et l’âme de notre pays. » Jean Nouvel s’indigne dans les colonnes du Monde, et tente d’attirer l’attention du futur chef de l’État sur les défis urbains et territoriaux auxquels il devra faire face. « Depuis un siècle, les décisions sur ce sujet ont été prises dans une urgence répétée, à la petite semaine, à la petite échelle des communes et des mandats… Décisions déléguées le plus souvent à la technostructure et à l’administration qui ont mis en œuvre un système simpliste : l’application aveugle de règles abstraites, la ségrégation des fonctions sur des zones avec des densités et des hauteurs arbitraires ». Phénomène que Nouvel taxe d’Ubu-urbanisme, et propose de combattre par deux mesures à prendre d’urgence : la sanctuarisation des terres agricoles et forestières et l’investissement de la banlieue par la culture. « En France, la mutation douce de nos villes sera la raison d’être de l’architecture du XXIe siècle. Cette méthode française sera unique et favorisera les mixités dans les constructions existantes, libérera le logement de ses absurdes normes de surface et développera la coprésence de la nature et du construit. »

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L’architecte Jean Nouvel. ERIC FEFERBERG/AFP via Le Monde

Via Le Monde 

 

Maillols, starchitecte rennais

« Il faut construire l’écriture de l’époque avec les techniques de l’époque », disait-il en fumant sa pipe, dans l’une de ses puissantes cylindrées qui faisaient hurler son comptable. Épicurien débordant d’humilité, d’après ceux qui l’ont côtoyé, il aimait les femmes. Avec elles, il voyageait, de New York à Tokyo, de Los  Angeles à Chicago. Dans cette dernière, ville de Mies van der Rohe, il découvre les deux tours Marina City, pionnières du renouveau des centres-villes. » AD magazine évoque la figure de Georges Maillols, architecte marquant du paysage rennais de l’après-guerre « près de 140 projets, plus de 10 000 logements… Le débat est inutile : dès 1947 et jusqu’à sa mort en 1998, l’architecte a marqué la ville, et a même régné seul sur sa trame durant les années 1970 ». Beaux coups pour celui dont on apprend qu’il fut le membre fondateur du Pipe Club (Club des fumeurs de pipe), et qu’il s’était installé à Rennes après avoir « compris très vite que les projets de grande ampleur dans la capitale sont trop rares et les architectes de formation académique trop nombreux. En dehors de Paris en revanche, le flou règne sur l’Ordre des architectes, dont les principes n’en sont qu’à leurs balbutiements ». Profitant donc d’un moment de des-Ordre, Maillols a utilisé tant et si bien la préfabrication et la plastique moderne qu’il a fait de Rennes une Grande Motte qui s’ignore.

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L’architecture de Georges Maillols à Rennes © Tom de Peyret via AD magazine

Via AD Magazine  

 

Les nouvelles stars de la déco

Autre star plus anonyme encore, la fameuse palette en bois utilisée pour le transport de marchandises. Déjà bien connue des étudiants en école d’architecture qui en ont fait un matériau fétiche, elle envahit les intérieurs aux ambitions branchées. « Économiques, rustiques et faciles à détourner, les palettes en bois, initialement dédiées au transport de marchandises, n’en finissent plus d’inspirer les amateurs de Do It Yourself (DIY) ». Ainsi Dimitri, de la chaîne Survie, bois et bushcraft propose de multiples tutos pour réaliser du mobilier en palettes. « À l’heure de l’upcycling où l’on n’a de cesse que soit offerte une seconde vie plus glam aux matériaux et aux objets les plus basiques, la palette se révèle un terrain de jeu inépuisable. La tendance est telle que sur Amazon, on trouve même des coussins spécialement taillés pour venir compléter une armature de canapé en palettes. (…). Si elles séduisent tant, c’est parce qu’en plus de s’inscrire dans la tendance du recyclage, elles sont gratuites. Et facile à utiliser pour faire une table basse ou une tête de lit, il suffit bien souvent de joindre deux palettes. Ainsi, on trouve toutes sortes de réalisations en bois de palette, des plus simples aux plus complexes : fauteuils, bureau, sommier, bac à fleurs, banc, canapé, bar… » Facile de se meubler, pourvu que l’on sache ou trouver ces modules miracles « condition de parvenir à les dénicher : pas question de repartir avec la première palette venue. Que l’on souhaite en faire du mobilier ou un bac à fleurs, il est impératif de s’assurer qu’elle ne soit pas toxique. Premier geste : faire le tour pour vérifier qu’elle n’ait pas été souillée. Si c’est le cas, on la met de côté. Mieux vaut ne prendre aucun risque si on ne connaît pas l’origine du produit renversé dessus. En revanche, si elle est propre, on se met en quête du marquage, généralement apposé sur l’un des dés, qui va nous renseigner sur le type de traitement reçu ». Et, rappelle l’article « Une fois la (ou les) palette(s) dénichée(s), il ne reste plus qu’à trouver l’inspiration ». Vivement l’interdiction des palettes en 2018 — une loi d’utilité publique qu’il est urgent de suggérer aux candidats à la présidentielle.

Via Le Figaro Madame 

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Astuce DIY : on réutilise des palettes en bois pour en faire des canapés, des fauteuils, des étagères ou des bacs à fleurs. Photo iStock via Le Figaro Madame

Olivier Namias