Promenades en cœur d’îlot autour de la Fondation Lafayette

Promenades en cœur d’îlot autour de la Fondation Lafayette

Le groupe Galeries Lafayette investit les rez-de-chaussée de son propre patrimoine immobilier. Il déploie ses activités commerciales à l’horizontal, entre le BHV du Marais et la nouvelle Fondation Lafayette Anticipations. Un micro plan directeur coordonné par Citynove et l’agence parisienne DATA.  

 

L’histoire commence en 2012, lorsque le groupe Galeries Lafayette choisit comme signature architecturale l’agence internationale OMA de Rem Koolhaas pour réaliser une fondation dédiée à la production et à la diffusion de l’art dans le Marais (Paris 4e), un projet alors encore à définir. OMA a choisi parmi un large panel la très jeune agence parisienne DATA, tout juste fondée en 2010, pour l’assister. L’acronyme, peut-être, l’un signifiant Office for Metropolitan Architecture, l’autre Department of Advanced Typologies for Architecture. A moins que ce ne soit pour l’acuité projectuelle de cette jeune agence qui s’est illustrée par des réalisations ambitieuses, bien que de taille réduite, comme l’insertion d’une structure cylindrique suspendue dans une petite maison du directeur de l’usine Sudac à Paris Rive Gauche ou la construction d’une déchetterie en briques de verres structurelles sous le périphérique Porte de Pantin.*

*Retrouvez les projets de DATA publiés dans les numéros 382 et 383 d’Architectures CREE

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Un patrimoine immobilier à investir

Une fois cette équipe constituée, maîtrise d’ouvrage (Citynove, branche immobilière du groupe Galerie Lafayette) et maîtrise d’œuvre, ont établi le projet de la Fondation Lafayette Anticipations, prémices d’une restructuration du patrimoine immobilier du BHV, propriété du groupe Galeries Lafayette depuis 1991. Présent depuis plus de 160 ans face à l’Hôtel de Ville, il a acquis progressivement les bâtiments compris entre la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie au nord et la rue de la Verrerie au sud, la rue du Temple à l’ouest et la rue des Archives à l’est. DATA, après avoir assisté Koolhaas, a été en charge d’un projet plus vaste : le micro plan directeur de la restructuration de cet îlot, reliant la nouvelle fondation, rue du Plâtre, jusqu’au BHV, rue de Rivoli.

Les rez-de-chaussée sous-utilisés, servant de stockage ou autre, constituent un patrimoine qu’il s’agissait d’optimiser. Leurs restructurations furent confiées à différents architectes. Ainsi, la boutique A Rebours, d’une surface de 120 m2, qui vient d’emménager au 46 de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, est restructurée par Ciguë. Les façades du 9 au 13 rue des Archives arborent depuis 2015 les encadrements en bronze de Jamie Fobert, le londonien qui entreprend la deuxième phase de son projet, consistant à investir les cours avec des cubes empilés, occupés par les commerces, amenant l’échelle de la ville au cœur des d’îlots domestiques.

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Restructuration en cœur d’îlot

L’agence DATA, quant à elle, est en charge de la restructuration lourde de 3200 m2 au 37 de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, juste en face de la fondation. Le bâtiment, daté des années 1860, occupe l’angle sur 4 niveaux. A l’arrière, subsistait l’ancien restaurant d’entreprise du BHV, sans qualité architecturale. Démoli, il laisse place à un bâtiment vitré en R+2 dont les planchers reposent sur de grandes poutres métalliques de 18 m de portées. La cour, maintenant abritée sous une verrière, devient un atrium en double hauteur que les échafaudages ne laissent pas encore deviner. Les vues transversales de l’atrium jusqu’au passage devenu public se dévoilent à peine. Quant au volume existant, sa structure mixte composée de bois béton et métal au gré des interventions, est préservée au maximum et renforcée, y compris ses sous-sols, qui seront totalement réinvestis. Sur rue, rien ne signalera l’intervention contemporaine, hormis peut-être à rez-de-chaussée les menuiseries aciers posées sur la pierre, définissant des vitrines qui reprendront les rythmes des percements d’origine. L’adresse accueillera le premier Eataly en France, une chaîne de grands magasins spécialisés dans la nourriture italienne, à la fois supermarché, lieu de production, restaurant et centre culturel. Un chantier compliqué, en site occupé par des logements en étages, qui devrait être livré à l’état brut au mois d’avril de cette année. Les preneurs s’installeront ensuite dans les lieux pour une ouverture au public courant 2019.

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Déploiement horizontal

En réinvestissant ces rez-de-chaussée et ces cours intérieures, ce réaménagement dessine un parcours culturel et commercial nord sud, depuis la fondation Lafayette jusqu’au BHV, complété de passages transversaux entre la rue du Temple et la rue des Archives. Les codes traditionnels des accès publics ou privés se bousculent. Les cours d’échelles domestiques sont rendues accessibles, les passages sont réouverts. Une intervention qui n’est pas sans rappeler celle du village Saint-Paul, à quelques centaines de mètres. Là, l’entité urbaine comprise dans un périmètre bien défini fut elle aussi structurée autour de cours intérieures augmentées de commerces. Les grands magasins se déploieront bientôt à l’horizontal ; s’ils ne retiendront pas captifs leurs visiteurs, qui entreront et sortiront au grès de leur flânerie, ils seront pourtant en proie permanente au désir d’achat, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le commerce parisien poursuit sa mutation, engagée ailleurs avec Les Halles, le Bon marché ou la Samaritaine, avec toujours pour pivot le patrimoine historique, bien souvent investi par le haut de gamme._Amélie Luquain

La « machine curatoriale » des Galeries Lafayette

La « machine curatoriale » des Galeries Lafayette

Lafayette Anticipations – Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, ouvrira ses portes au public le 10 mars 2018. En plein cœur du Marais, dans une cour d’un bâtiment du XIXe, s’élève une « machine curatoriale », tour d’exposition amovible conçue par l’agence OMA assistée de DATA, tandis qu’en sous-sol la production des œuvres bat son plein.

C’est non loin du BHV du Marais, au 9 de la rue du Plâtre (Paris 4e), qu’élit domicile la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette – Lafayette Anticipations. L’institution est dédiée à la production et la diffusion de l’art, du design et de la mode, conjuguant espace d’exposition et de production artistique dans un même lieu, créée en octobre 2013 à l’initiative de Guillaume Houzé qui en assure la présidence. Le bâtiment qui l’héberge aux façades de pierre calcaire est caractéristique de la période fin XIXe. Sur 5 niveaux, ses volumes en U s’organisent autour d’une cour, qui traverse l’îlot jusqu’à rejoindre la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Construit pour le BHV en 1891 par l’architecte Samuel de Dammartin, ce bâtiment était utilisé initialement comme entrepôt, puis lieu de réparation de chapeaux de paille, alors spécialité du BHV. Il servira par la suite de dispensaire, d’institution de jeunes filles et plus récemment d’école préparatoire à l’enseignement supérieur. Son état actuel reflète l’accumulation des transformations qu’il a subi, dont l’essentiel des témoignages a disparu lors de l’incendie des archives du BHV.

Lorsque l’agence OMA (Rem Koolhaas) assistée de DATA (Léonard Lassagne et Colin Reynier) débute les études de reconversion en 2012, le quartier sauvegardé du Marais faisait encore l’objet d’une révision de son Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), occasionnant des doutes quant à la classification du bâtiment. Une période d’hésitation durant laquelle Rem Koolhaas lui-même, qui construit pour la première fois à Paris, était particulièrement engagé. Un intervalle qui a permis d’engager des dialogues avec les Architectes des Bâtiments de France (ABF), de prendre en main l’existant, d’évaluer les possibilités de démolition totale ou partielle, pour finalement préserver près de 50% de l’existant. Au moins 3 avant-projets et 30 commissions auront été nécessaires avant d’obtenir un permis de construire en mars 2014.

 

Néo-constructivisme 2.0

Quatre ans plus tard, et après trois mois de travaux conduits par Citynove – filiale du Groupe Galeries Lafayette, dédiée à la valorisation de son patrimoine immobilier – Lafayette Anticipations ouvrira ses portes au public ce mois de mars 2018. Si en façade rien ne signale la fondation, qui conserve son entrée de style parisienne, ils y découvriront une intervention contemporaine avant de rejoindre, par une galerie habillée de noir, la rue parallèle.

Insérée dans l’emprise de la cour du bâtiment, une « tour d’exposition » structurée d’acier et chapeautée de verre haute de 18,70 mètres, opère telle une « machine curatoriale », selon les mots de l’agence OMA. Quatre planchers mobiles superposés (deux grands d’une surface de 50 m2 et deux plus petits de 25 m2, revêtus de bois debout) peuvent se mouvoir verticalement le long d’une crémaillère. Indépendant les uns des autres, ils peuvent être stationnés dans l’alignement des niveaux existants. Positionnés à rez-de-chaussée, ils rappellent la perception historique du bâtiment, qui intéresse particulièrement les ABF, et dégage un grand volume d’exposition propice à la suspension. Au fil de la programmation artistique, les plateformes pourront se mouvoir selon 49 configurations différentes, variant entre doubles hauteurs, quinconce, hauteurs variées… et éclairer de leur sous-face les œuvres. Sur leur pourtour, des éléments en caillebotis galvanisés assurent tantôt la fonction de garde-corps, tantôt, en se repliant à l’horizontal, celle de désenfumage, tout en créant la liaison avec les planchers du bâtiment existant. Un dispositif mobile qui répond à un souhait de flexibilité et d’adaptation dans cet espace restreint et contraint, et qui n’est pas sans rappeler la maison Lemoine conçue à Bordeaux, dans laquelle une plateforme hydraulique se déplace librement dans les étages jusqu’à devenir une pièce à part entière. Du mobile dans l’immobile, sources de complexité et de nombreuses dérogations (les règles étant destinées à l’immobilier) avant d’aboutir à cette évidence.

© OMA

 

Production in-situ

Restaurant et boutique à rez-de-chaussée, espaces d’exposition et ateliers pédagogiques dans les étages, et bureaux au dernier niveau occupent le volume existant. L’ensemble totalise 2200 m2 de surfaces, dont 840 m2 de surfaces d’exposition et 350 m2 dévolus à l’atelier de production. Situé au sous-sol, il assurera la production des œuvres exposées in-situ par les artistes invités. Chaque œuvre aura ainsi une dimension inédite, pressentie pour le lieu qui la loge. Dans cet atelier, la dimension collective de la création sera privilégiée à l’idée romantique de l’artiste solitaire, pour reprendre les mots d’Howard Becker qui certifiait dans Les mondes de l’art que « toute œuvre porte implicitement la trace de toutes les contingences qui l’ont fait naître », une affirmation dont a su se saisir Lafayette Anticipations.

© OMA

Tour d’exposition et ateliers de fabrication sont deux dispositifs qui seront utilisés simultanément, pour une configuration d’exposition spécifique. La programmation débutera avec l’artiste Lutz Bacher qui présentera jusqu’au 30 avril sa première exposition monographique en France. S’emparant de l’espace, elle souhaite porter son regard sur l’élévation symbolique de l’édifice, en particulier ce vide central investit par les architectes. La seconde exposition aura pour titre Le centre ne peut tenir, écho au bâtiment mais aussi aux artistes bien plus au centre de la société que décalés.

Cette construction n’est que le prémices d’un remodelage des îlots proches appartenant également au groupe des Galeries Lafayette._Amélie Luquain

 

 

Fiche technique :

Lieu : 9 rue du Plâtre (Paris 4e). Maîtrise d’ouvrage : Citynove Asset Management, pour le compte de la SA des Galeries LafayetteAssistant Maître d’ouvrage : Comitis Ingénierie Maîtrise d’ouvrage déléguée :Artelia, Elite et Corégi Utilisateur : Fondation d’entreprise Galeries Lafayette Maîtrise d’œuvre : Architecte mandataire : OMAPartners : Rem Koolhaas et Ellen van Loon Architecte local : DATA Architectes : Edouard Guyard et Colin Reynier Maîtrise d’œuvre patrimoniale : Thierry GlachantConsultants ingénierie : Eckersley O’Callaghan, dUCKS Scéno, Bureau Michel Forgue, BET Louis Choulet, Lamoureux Acoustique, MPK Conseils Construction Entreprises : Bureau Véritas, GINGER CEBTP, LBC Bâtiment, Eiffage Energie Thermie, Eiffage Energie Electricité, Eiffage Charpente métallique, Roussière, Balas, Sarmates, Pradeau-Morin, Ledran, Sertac, MAARS, Staffissimo, France Sols, Lindner, Europarquet, PSR, Paul Champs, Altor, També

Calendrier : Mars 2012 : début des études. Juillet 2012 : première proposition de projet architectural. Novembre 2012 : présentation du projet à la mairie du 4e arrondissement. Mars 2013 : troisième proposition de projet. Mars 2014 : obtention du permis de construire. Novembre 2014 : début des travaux. Novembre 2017 : Livraison du bâtiment. Mars 2018 : ouverture au public.

Photos © Martin Argyroglo