Rem Koolhaas inaugure Lafayette Anticipations à Paris

Comment créer un lieu inédit, en plein cœur de Paris, dans un bâtiment classé ? Comment faire pour que les volumes contemporains soient à la fois modulables et en harmonie avec le patrimoine existant, qui doit être respecté ?  Une question que l’architecte néerlandais Rem Koolhaas a saisie, et dont il nous livre une réponse avec le bâtiment de Lafayette Anticipations, en plein Paris.

 

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Photographies : Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti
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Photographies : Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti

 

Inauguré le samedi 10 mars dernier, les locaux de Lafayette Anticipations se situent en plein coeur du Marais parisien.  Ils s’inscrivent dans un ancien bâtiment industriel, en pierre. Classé, il s’accompagne de bons nombres de contraintes. Ce qui n’a pas fait peur à l’agence OMA, puisque, rénové à l’identique et conservant ses proportions d’origine, le projet promet de devenir un nouveau symbole pour l’empire Lafayette. Cela fait 5 ans, depuis 2013 et la création de Lafayette Ancipiation, que l’on attendait son ouverture. 3 ans après le début des travaux,  la réhabilitation de cet immeuble parisien par l’agence d’architecture OMA, et son architecte phare Rem Koolhaas, dévoile son architecture. Une architecture discrète mais radicale : invisible depuis la rue, mais marquante par sa verticalité une fois qu’on y pénètre.

Il ne s’agissait pourtant pas de construire un énième musée contemporain, dans une ville qui déborde de lieux culturels. La fondation n’est pas un écrin pur où l’on viendrait uniquement observer une collection. C’est une boite à outil pour les artistes d’aujourd’hui. Lieu pluridisciplinaire, Lafayette Anticipations mélange art, mode et design. Il se veut aussi lieu de rencontre et d’échange, de production et de création… Guillaume Houzé est aujourd’hui à la tête de ce projet. Arrière-arrière-petit-fils du fondateur des Galeries Lafayettes, il souhaite participer à cet engagement qui lie la création et le public, comme les Galeries l’ont toujours promu. Sa passion pour l’art, c’est une histoire de famille, que Guillaume Houzé tente de faire perdurer à travers ce nouveau concept. Souhaitant un lieu hybride, il fait tout naturellement confiance à Rem Koolhaas, habitué à la question de la pluridisciplinarité et de la modularité d’un espace.

 

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Photographies : Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti
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Photographies : Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti

 

Le rez de chaussée est ouvert au public, et fait le lien entre les rues Plâtre et Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie : un lieu de passage, qui favorisera, on l’espère, la rencontre entre la culture et le grand public. L’espace réhabilité de 2 200 m² comprend, sur quatre niveaux : des salles d’expositions, une boutique et un café. Le sous-sol est complètement destiné à la production : 400 m² de machines et divers ateliers, dédiés aux artistes et à la création artistique !

Le clou du spectacle ? La tour de verre et d’acier de 20 m de haut, que Rem Koolhaas a imaginé dans la cour intérieur du bâtiment. Il s’agit d’une structure métallique composée de 6 poteaux, sur lesquels sont fixées des crémaillères (tige métallique crantée) ainsi que 2 plateaux, qui seront modulables au grès des envies et des besoins artistiques. Chaque plateau peut être divisé en 2, donnant 4 plateformes mobiles. En tout, 49 configurations différentes sont possibles, afin que la tour s’adapte à la création, et non l’inverse !

 

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Photographies : Delfino Sisto Legnani and Marco Cappelletti

 

C’est finalement la contrainte du patrimoine classé qui a poussé OMA à penser autrement et à raisonner d’une manière différente pour la conception de ce projet. L’envie d’un espace de rencontre entre artistes et publics, entre expositions et productions, permettra sans doute de générer de la curiosité, et de mettre en valeur le travail réalisé par les artistes sur place.

Lafayette Anticipations,
9 Rue du Plâtre
75004 Paris

Anne Vanrapenbusch

Promenades en cœur d’îlot autour de la Fondation Lafayette

Promenades en cœur d’îlot autour de la Fondation Lafayette

Le groupe Galeries Lafayette investit les rez-de-chaussée de son propre patrimoine immobilier. Il déploie ses activités commerciales à l’horizontal, entre le BHV du Marais et la nouvelle Fondation Lafayette Anticipations. Un micro plan directeur coordonné par Citynove et l’agence parisienne DATA.  

 

L’histoire commence en 2012, lorsque le groupe Galeries Lafayette choisit comme signature architecturale l’agence internationale OMA de Rem Koolhaas pour réaliser une fondation dédiée à la production et à la diffusion de l’art dans le Marais (Paris 4e), un projet alors encore à définir. OMA a choisi parmi un large panel la très jeune agence parisienne DATA, tout juste fondée en 2010, pour l’assister. L’acronyme, peut-être, l’un signifiant Office for Metropolitan Architecture, l’autre Department of Advanced Typologies for Architecture. A moins que ce ne soit pour l’acuité projectuelle de cette jeune agence qui s’est illustrée par des réalisations ambitieuses, bien que de taille réduite, comme l’insertion d’une structure cylindrique suspendue dans une petite maison du directeur de l’usine Sudac à Paris Rive Gauche ou la construction d’une déchetterie en briques de verres structurelles sous le périphérique Porte de Pantin.*

*Retrouvez les projets de DATA publiés dans les numéros 382 et 383 d’Architectures CREE

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Un patrimoine immobilier à investir

Une fois cette équipe constituée, maîtrise d’ouvrage (Citynove, branche immobilière du groupe Galerie Lafayette) et maîtrise d’œuvre, ont établi le projet de la Fondation Lafayette Anticipations, prémices d’une restructuration du patrimoine immobilier du BHV, propriété du groupe Galeries Lafayette depuis 1991. Présent depuis plus de 160 ans face à l’Hôtel de Ville, il a acquis progressivement les bâtiments compris entre la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie au nord et la rue de la Verrerie au sud, la rue du Temple à l’ouest et la rue des Archives à l’est. DATA, après avoir assisté Koolhaas, a été en charge d’un projet plus vaste : le micro plan directeur de la restructuration de cet îlot, reliant la nouvelle fondation, rue du Plâtre, jusqu’au BHV, rue de Rivoli.

Les rez-de-chaussée sous-utilisés, servant de stockage ou autre, constituent un patrimoine qu’il s’agissait d’optimiser. Leurs restructurations furent confiées à différents architectes. Ainsi, la boutique A Rebours, d’une surface de 120 m2, qui vient d’emménager au 46 de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, est restructurée par Ciguë. Les façades du 9 au 13 rue des Archives arborent depuis 2015 les encadrements en bronze de Jamie Fobert, le londonien qui entreprend la deuxième phase de son projet, consistant à investir les cours avec des cubes empilés, occupés par les commerces, amenant l’échelle de la ville au cœur des d’îlots domestiques.

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Restructuration en cœur d’îlot

L’agence DATA, quant à elle, est en charge de la restructuration lourde de 3200 m2 au 37 de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, juste en face de la fondation. Le bâtiment, daté des années 1860, occupe l’angle sur 4 niveaux. A l’arrière, subsistait l’ancien restaurant d’entreprise du BHV, sans qualité architecturale. Démoli, il laisse place à un bâtiment vitré en R+2 dont les planchers reposent sur de grandes poutres métalliques de 18 m de portées. La cour, maintenant abritée sous une verrière, devient un atrium en double hauteur que les échafaudages ne laissent pas encore deviner. Les vues transversales de l’atrium jusqu’au passage devenu public se dévoilent à peine. Quant au volume existant, sa structure mixte composée de bois béton et métal au gré des interventions, est préservée au maximum et renforcée, y compris ses sous-sols, qui seront totalement réinvestis. Sur rue, rien ne signalera l’intervention contemporaine, hormis peut-être à rez-de-chaussée les menuiseries aciers posées sur la pierre, définissant des vitrines qui reprendront les rythmes des percements d’origine. L’adresse accueillera le premier Eataly en France, une chaîne de grands magasins spécialisés dans la nourriture italienne, à la fois supermarché, lieu de production, restaurant et centre culturel. Un chantier compliqué, en site occupé par des logements en étages, qui devrait être livré à l’état brut au mois d’avril de cette année. Les preneurs s’installeront ensuite dans les lieux pour une ouverture au public courant 2019.

Projet DATA Architectes / Images ArtefactoryLab

Déploiement horizontal

En réinvestissant ces rez-de-chaussée et ces cours intérieures, ce réaménagement dessine un parcours culturel et commercial nord sud, depuis la fondation Lafayette jusqu’au BHV, complété de passages transversaux entre la rue du Temple et la rue des Archives. Les codes traditionnels des accès publics ou privés se bousculent. Les cours d’échelles domestiques sont rendues accessibles, les passages sont réouverts. Une intervention qui n’est pas sans rappeler celle du village Saint-Paul, à quelques centaines de mètres. Là, l’entité urbaine comprise dans un périmètre bien défini fut elle aussi structurée autour de cours intérieures augmentées de commerces. Les grands magasins se déploieront bientôt à l’horizontal ; s’ils ne retiendront pas captifs leurs visiteurs, qui entreront et sortiront au grès de leur flânerie, ils seront pourtant en proie permanente au désir d’achat, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le commerce parisien poursuit sa mutation, engagée ailleurs avec Les Halles, le Bon marché ou la Samaritaine, avec toujours pour pivot le patrimoine historique, bien souvent investi par le haut de gamme._Amélie Luquain