1917, une révolution politique et architectonique. Décrétée dès le lendemain de la prise du pouvoir par Lénine, la nationalisation du foncier offrira des conditions nouvelles pour une commande architecturale devenue entièrement publique, rappelle Jean-Louis Cohen, commissaire de l’exposition des dessins de l’avant-garde architecturale russe, présentée à l’École des Beaux-Arts de Paris. La période troublée du « communisme de guerre » qui dura jusqu’en 1920 ne laissa guère la possibilité d’implanter de nouveaux dispositifs architecturaux dans les villes : l’heure n’était pas encore aux grands chantiers héroïques, mais aux monuments éphémères chantant l’avènement du nouveau régime. L’architecture se trouvait souvent réduite à un paysage textile de bannière et de calicots, constate Jean-Louis Cohen, les morceaux de bravoure apparaissant toutefois sous forme d’architecture de papier ou et de maquettes, comme le projet de monument à la troisième internationale conçue par Vladimir Tatline en 1919. La stabilisation politique verra l’émergence de nombreux concours libérant une créativité débridée qui s’exprimera autant dans les bâtiments que sur le papier. Enterré par la normalisation stalinienne et le réalisme socialisme, cet épisode de l’histoire de l’architecture ne survivra que grâce aux familles des architectes, qui préserveront les archives, et l’action de certains collectionneurs tels Sergueï Tchoban, architecte russe installé à Berlin. Son fond comprend aussi bien le célèbre dessin de Boris Iofan pour le Palais des Soviets, projet victorieux du concours organisé par Staline en 1932, marquant symboliquement la fin des expériences architecturales des constructivistes et modernistes tels Moïsséï Guinzbourg, Ilia Golossov ou Iakov Tchernikov. Les fantaisies architecturales de ce dernier font un écho moderniste aux prisons de Piranèse, rappel d’une culture classique qui n’était pas inconnue des architectes russes les plus avant-gardistes. Elles ouvrent un répertoire formel dans lequel les architectes du monde entier viendront puiser des années plus tard, en témoignent les expériences des déconstructivistes ou les premières œuvres de Zaha Hadid, qui semblent directement inspirées des exercices de composition d’Olimpy Kisselev aux Vkhoutémas, les couleurs fluo et le fond noir en moins._Olivier Namias





cf. Jean-Louis Cohen, Architecture de l’avant-garde russe, dessins de la collection Sergueï Tchoban, catalogue de l’exposition présenté au cabinet des dessins Jean Bonna jusqu’au 19 janvier 2018.