Claude Cormier, scénographe québécois du paysage

Le premier Sommet mondial du design* s’est tenu en octobre à Montréal. Dans une vision volontairement transdisciplinaire sur cette question, « Le design peut-il changer le monde ? », l’évènement réunissait des designers, des architectes mais aussi des paysagistes autour des enjeux environnementaux. C’était ainsi l’occasion de rencontrer le Québécois Claude Cormier, grande figure du paysage outre-Atlantique.

 

Paysage dual : entre nature et artifice

« Pour moi, le paysage c’est tout. Ce n’est pas seulement la nature ; elle n’est qu’un élément. J’ai grandi à la campagne et, à mon sens, ce n’était pas très sexy, c’était même « plat ». Par contre, l’idée de la ville, c’était magique, c’était même puissant », exprime-le très acclamé architecte et paysagiste star montréalais Claude Cormier, moins connu de ce côté de l’Atlantique, mais dont le nombre de sollicitations à faire des selfies lors du Sommet mondial du design de Montréal ne laissait aucun doute sur sa popularité. Ses réalisations débordent du cadre traditionnel de l’architecture de paysage, pour tisser des liens entre le design urbain, l’art public et l’architecture. A l’agence Claude Cormier + Associés, la création de paysage s’inspire d’éléments culturels puisés dans les musées et autres lieux. Ces éléments sont ensuite mis en scène, commente l’architecte paysagiste, qui n’hésite pas à convoquer la figure du théâtre. Ainsi, il n’utilise pas forcement des éléments naturels à proprement dit ou, « si je le fais, explique-t-il, je mets en opposition artifice et naturel dans des milieux urbains très durs. J’aime créer ces contrastes, car c’est souvent là qu’apparaissent de nouvelles choses. » En résultent des paysages tous sauf conventionnels, à l’instar du créateur, exaltant l’artifice, mêlant subrepticement réalité et surréalité. « Par l’utilisation de la couleur, des motifs et de la texture, l’optimisme contagieux et l’humour subversif de Claude Cormier se transforment en espaces sérieusement enjoués », peut-on lire sur le site internet de l’agence.

© Industryous Photography
© Industryous Photography
© Industryous Photography
© Industryous Photography

Sugar Beach, Toronto (Ontario), Canada : Face à la mer, s’affirme un espace dual séparé d’une diagonal, où s’opposent des parasols roses fichés dans le sable à des arbres plantés dans le bitume.

L’activité de l’agence a débuté à Montréal, puis s’est déplacée à Toronto, une ville en effervescence, avant de rejoindre les Etats Unis, avec notamment deux projets au centre-ville de Chicago. Selon l’architecte paysagiste, la création contemporaine montréalaise – qu’elle concerne l’architecture, le paysage ou le design urbain – semble dépendante d’un système bien particulier : les concepteurs travaillent essentiellement sur appels d’offres, et sont surtout choisis sur l’estimation des coûts, alors qu’en France il y a davantage de considération pour la qualité des propositions. Pour Claude Cormier, ce fonctionnement québécois est discutable, surtout face à un Canada anglais affamé de nouveautés : « Je m’aperçois que le Canada anglais est très réceptif à de nouvelles idées. Je suis très inquiet pour Montréal là-dessus, parce qu’il faut suivre la parade, mais il faut alors reconnaître la valeur ajoutée de ce que l’on apporte à l’espace public. » Pour lui, il est temps que les décisionnaires prennent conscience de la valeur de l’aménagement de l’espace public, véritable atout pour la ville et ses citoyens. A la question « Le design peut-il changer le monde ? », thématique annoncée du Sommet du design, Claude Cormier nous répond : « Oui, je pense que le design peut changer le monde, mais le vrai design. Pas le design à la mode, mais celui qui a une authenticité et qui répond à des problèmes. Le design, c’est l’art de mettre en relation les choses, de les mettre en symbiose. »_Amélie Luquain

© Industryous Photography
© Guillaume Paradis (CC+A)
© Guillaume Paradis (CC+A)

Hôtel et résidences Four Seasons, Toronto (Ontario), Canada : Dans la cour intérieure, se confrontent deux parterres : l’un pavé, orné de motif de roses et embelli d’une fontaine rouge rubis en son centre, l’autre planté de massifs sur des plates-bandes, dont la composition prend l’allure d’un puzzle éclaté.

 

*Le Sommet Mondial du Design a pris place à Montréal du 16 au 25 octobre dernier. Une première édition qui s’inscrit dans une année historique pour la ville Unesco du design qui fête en 2017, a fêté simultanément trois dates : le 150e anniversaire du Canada, le 375e anniversaire de la ville de Montréal et le 50e anniversaire de l’Expo 67.

 

Claude Cormier en quelques dates

2009 : reçu chevalier de l’Ordre national du Québec, la plus prestigieuse distinction accordée par le gouvernement du Québec.

1994 : fondation de l’entreprise Claude Cormier + Associés

1994 : maîtrise en histoire et théorie du design à la Harvard Graduate School of Design
1986 : baccalauréat en architecture de paysage à l’Université de Toronto
1982 : baccalauréat en sciences de l’agriculture (agronomie) à l’Université de Guelph
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L’Odyssée fantôme : paysages de demain

L’Odyssée fantôme : Paysages de demain est une exposition du collectif Sauvage Garage qui était présentée du 15 au 26 septembre à Bordeaux, dans le cadre de la biennale Agora.

l'odyssée fantôme_paysages de demain_sauvage garage

« Le Commandant du vaisseau P4Y54G35 souhaite la bienvenue aux visiteurs qui nous rejoignent. Mon équipage et moi-même sommes partis vers des espaces futurs afin de mieux comprendre la façon dont l’homme va agir, où il va trouver refuge et comment il va faire évoluer son habitat face à de nouvelles contraintes. » Commence ainsi l’odyssée fantôme, autour d’une fable rédigée par Pascal Vion et éditée par Anne Lecomte dont la vision futuriste remet en question le lien entre l’homme et la ville. « Les bâtiments se meuvent continuellement (…) Une vie indépendante de celles des hommes qui les occupent (…) Les constructions se jouent des habitants (…) L’hypnotisme architectural les contraint à rester (…) Inconsciemment, nous devenons pantins au milieu de ces décors gigantesques et minimalistes » poursuit la fiction, qui imagine un monde dystopique à mi-chemin entre le rêve (ou le cauchemar) et la réalité, où l’architecture est le personnage principal.

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Face à la problématique de la surdensité et de l’expansion des villes, serait engendré une amplification du phénomène d’expropriation. A la fois protestation et témoignage d’une vie antérieure, la petite maison colorée tente de résister à l’expansion d’une ville grise et froide (c) Julien Renard

Ainsi, parti en exploration dans le futur, l’équipage livre ses impressions au fur et à mesure de ses découvertes, proposant un retour en images plongeant le visiteur dans le fantasme des paysages de demain. L’installation prend place dans un espace orthogonal, la Halle des Chartrons à Bordeaux. Disposées selon un plan cartographique inspiré d’un système planétaire, 12 bornes « fantômes » relatent les expériences de chacun des équipiers. Elles utilisent une technologie « fantasmatique », un procédé photographique capturant le mouvement des paysages entrevus. Concrètement, il s’agit de boîtes noires dans lesquelles est agencé un décor tridimensionnel, des effets lumineux et des hologrammes. Un diorama contemporain, en somme, artifice réaliste fabricateur d’illusion, que les commissaires de l’exposition «Dioramas» qui vient de s’achever au palais de Tokyo (Paris) définissent ainsi : « il se caractérise par la mise en scène d’une situation et de son environnement d’origine (…) Il est une reconstitution artificielle d’un lieu ou d’une temporalité qui a existé ou aurait pu exister ». Une définition à laquelle pourrait se rajouter le verbe « exister » accordé au futur.

l'odyssée fantôme_paysages de demain_sauvage garage
Le dispositif met en scène un environnement naturel. Au fur et à mesure que le spectateur découvre cette scène, des données numériques s’accumulent pour le renseigner, le compléter ou l’effacer. Goggle map, la géolocalisation, Instagram et autres applications intelligentes multiplient et complexifient les données du territoire. (c) Ava Roghanian et Bertrand Courtot

L’installation invite le visiteur à se promener dans les décors urbains, sauvages, oniriques de notre futur quotidien. Des paysages hypothétiques nés des grandes réflexions actuelles, comme le changement climatique, l’avancée des sciences en terme d’intelligence artificielle ou de de nanotechnologie ou encore l’expansion croissante des villes et la surdensité. Une exposition qui, dès les premiers regards, émeut par sa plasticité, et à bien y regarder, interroge les bouleversements du XXIe siècle.

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Cet environnement s’anime autour de l’idée que des hommes ont choisi de donner un autre sens à leur vie pour nous sauver de notre propre destruction. Certains sont allés s’isoler en pleine nature et ont sacrifié leur vie charnelle. Ces sortes de « moines », par le biais de la méditation, sont devenus des gardiens s’efforçant de nous protéger de nous-mêmes. (c) Sophie Tricoire

 

Amélie Luquain

Tous visuels courtesy du collectif Sauvage garage

Les paysages augmentés de Bas Smets

Les paysages augmentés de Bas Smets

À l’heure de l’anthropocène, le paysage devient un élément essentiel du projet urbain, explique le paysagiste Bas Smets en introduction à l’exposition «Paysages augmentés» présentée à la biennale Agora à Bordeaux, dont il assure le commissariat. La notion de paysage y est explorée à travers une double approche, mise en images par les rares réalisateurs qui ont fait de l’architecture et du territoire leur champ d’investigation : Bêka Lemoine et Christian Barani. « Avec Ila Bêka et Louise Lemoine, nous présentons cinq portraits de paysages urbains, révélant l’influence de la géographie et du climat sur les pratiques et les comportements des habitants de la métropole : l’apprivoisement du gel et de la glace lors de la métamorphose hivernale de Saint-Pétersbourg, l’inventivité des économies informelles suite aux pluies tropicales de Bogota, les activités contrastées de la ville de Naples, entre torpeur et chaos au pied du volcan, l’intensité du travail et des petits métiers dans la jungle urbaine de Séoul, mais aussi les mesures de protection contre le soleil et la chaleur dans la médina de Rabat». Des courts-métrages, qui, comme souvent chez Beka/Lemoine, traitent l’urbain à partir de l’humain. Mais si dans Houselife, le pari de suivre le quotidien de la femme de ménage de la maison Lemoine (dessiné par Koolhaas) pour comprendre l’architecture fut pertinent, pas sûr que ce process le soit tout autant ici. Le projet apparait plutôt comme une redite de leurs précédents travaux, et à l’image, n’interroge pas la question du paysage, pour se cantonner à celle des pratiques sociales.

paysages augmentés_bas smets_agora 2017 Bordeaux
courtesy Canalcom

« Avec Christian Barani, nous avons exploré des projets de paysages dans cinq métropoles contemporaines. Ils répondent notamment à la nécessité de contenir les montagnes friables à Hong Kong, l’ambition de transformer l’île de Singapour en jardin, la résistance du réseau de lacs et de rochers face au développement d’Hyderabad, l’opportunité de donner de l’amplitude à la nature à Bordeaux et à l’idée de projet de paysage comme nouvelle image pour Bordeaux » explique Bas Smets. Fruit d’une coproduction menée entre le paysagiste et le vidéaste, parcourant ensemble les lieux qu’ils interrogent, la notion de « paysage augmenté » défendue par Bas Smets devient explicite dans les images de Barani. Notamment dans la séquence portant sur Hong Kong, qui met en avant la résilience du territoire : des coteaux friables augmentés de coques de béton, une ingénierie coûteuse qu’il faut renouveler en permanence. « Les collines de l’île de Hong Kong sont faites de roches friables. Après une série de glissements de terrain catastrophiques dans les années 1970, le gouvernement de Hong Kong a mis en place un organisme géotechnique spécial pour faire face aux problèmes de sécurité des pentes. Elles ont été couvertes avec une couche protectrice, une coque technologique disposant d’un système de surveillance intégré. Des techniques effaçant véritablement la frontière entre le naturel et le l’artificiel. Les collines de l’île ont été transformées en un paysage hautement équipé, un territoire construit de pentes de béton et de réservoirs d’eau artificiels, traversé de sentiers récréatifs. L’ingénierie du territoire a été la condition du développement de Hong Kong » peut-on lire sur le journal de l’exposition. De plus, ces cinq derniers films sont accompagnés d’une recherche cartographique. Ils sont des sources de projet, point de départ pour imaginer des paysages augmentés.

 

Ces deux séries de courts métrages sont diffusés dans deux espaces pentagonaux permettant aux visiteurs de s’immerger dans les paysages. Bêka et Lemoine présentent simultanément leurs films sur cinq écrans, tandis que Barani déploie de façon panoramique un film unique sur cinq écrans. Ce dispositif ne permet pas de tout voir. Les paysages se dévoilent aux visiteurs au gré de leurs mouvements. « L’exposition révèle les influences mutuelles de l’homme et du paysage. Elle invite à imaginer l’avenir du paysage et affirme l’ambition de son projet » conclue Bas Smets.

 

Amélie Luquain