Shigeru Ban : à qui profite l’architecture ?

Après vous avoir parlé de Renzo Piano qui réalise le Centre Pompidou de Paris en 1971, il est temps d’évoquer l’architecte qui conçoit Pompidou-Metz quelques années plus tard : le japonais Shigeru Ban. Récompensé en 2014 par le célèbre Pritzker Price, son travail se veut avant tout à l’écoute des besoins de la société et de la planète.

 

Né le 5 août 1957 à Tokyo, au Japon, il intègre dans un premier temps l’Université des Arts de Tokyo, puis étudie à la Southern California Institute of Architecture. Il poursuit ses études à l’école d’architecture de la Cooper Union, à New York. En 1984, il obtient son diplôme et ouvre sa propre à Tokyo l’année suivante.

 

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Dès le début de son exercice, il s’intéresse de près à la question du papier et du carton dans l’architecture. Bien avant que les questions environnementales ne préoccupent nos hommes politiques et nos architectes, il réfléchissait déjà à la réalisation de bâtiments faits à partir de matériaux recyclés, dont la première réalisation verra le jour en 1989, lors de la World Design Expo de Nagoya. Par la suite, il réalise notamment des maisons individuelles, comme la Paper House, en 1995.  En 2000, il réalise le Pavillon du Japon à l’occasion de l’Expo 2000, à Hanovre en Allemagne. Il est l’un des rares pavillons à pouvoir être recyclé. En effet, au-delà de la construction, c’est aussi la question de la destruction et du recyclage qui importe à l’architecte. Que deviendront toutes ces réalisations éphémères ? La sienne sera bel et bien recyclé ! Quelques temps après, le gouvernement français fait appel à lui pour la construction du centre Pompidou-Metz. Antenne du musée parisien, il deviendra le symbole de la décentralisation du pouvoir et de la culture.

 

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Centre Pompidou – Metz
Shigeru Ban Architects – 2009
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Pavillon Japonais, Expo 2000 d’Hanovre
Shigeru Ban Architects – 2000

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Après ce projet, Shigeru Ban se remet en question. A qui profite l’architecture ? Qui tire profit de ces grandes réalisations, reflet du pouvoir et de l’argent des privilégiés ? L’architecte souhaite faire évoluer son travail vers une architecture dédié la société, aux nécessiteux et à ceux dans le besoin. Il veut autre chose qu’une architecture vitrine, et souhaite une architecture qui fasse du bien : physiquement et psychologiquement. Une architecture qui réponde à des besoins, et qui plaise à ces occupants avant tout.

 

Shigeru Ban n’est pas insensible aux catastrophes naturelles. En effet, son pays – le Japon – est régulièrement touché par de nombreux séismes. Face à l’urgence de la situation, il retrouve son matériau favori : le papier et le carton. Entouré d’étudiants, il construit de nombreux centres d’hébergements temporaires, fabriqués à base de tubes de cartons épais. En Afrique pour les réfugiés politiques, en Océanie ou en Asie pour les personnes ébranlés par les tremblements de terre, l’architecte s’investit sur le terrain ! A Kobé, il se propose pour construire une église temporaire après le séisme de 1995. Prévue pour rester en place 3 ans, elle sera finalement conservée 10 ans, avant d’être par la suite démontée et transportée à Taïwan, où la communauté locale a été, elle aussi, touchée par un séisme quelques années plus tard. L’architecture que propose Shigeru Ban se veut durable, autant dans l’usage, la construction, que dans les liens sociaux qu’elle tente de réparer et d’améliorer.

 

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Cathédrale temporaire -Christchurch, Nouvelle-Zélande
Shigeru Ban Architects – 2003
Best of 2017 : équipements culturels et sportifs

Best of 2017 : équipements culturels et sportifs

La revue Architectures CREE revient sur les constructions qui ont marqué l’année. Programme par programme, elle a sélectionné pour vous des réalisations qui ont émergé du paysage français, et vous en propose la relecture. Ci-dessous, notre best of 2017 d’équipements culturels et sportifs. 

 

Le Louvre Abou Dhabi : la revue de presse du 15 novembre 2017

De Paris … puis à Lens … le Louvre s’invite à Abou Dhabi ! Il est situé sur un archipel au large de l’île Saadiyat, une île artificielle de la côte de la capitale des Émirats arabes unis. « Il est inhabituel de trouver dans la mer un archipel construit. Il n’est pas évident qu’il soit possible d’y accoster en bateau, de trouver des pontons pour y accéder à pied depuis la côte. » précise son architecte, Jean Nouvel. « Double coupole de 180 mètres de diamètre, plate, géométrie radiante parfaite, perforée dans une matière tissée plus aléatoire, créant une ombre ponctuée d’éclats de soleil. » continue le Pritzker. Des espaces semi-extérieurs pour des installations et des blocs de cubes blancs pour les expositions : une « ville-musée ». « Il veut créer un monde accueillant, associant dans la sérénité les lumières et les ombres, les reflets et les calmes. » poursuit Jean Nouvel.

 

La Cité des Électriciens à Bruay, fragment d’un patrimoine minier en devenir

Archétype de la cité minière du XIXe siècle, la Cité des Electriciens de Bruay-la-Buissière, dans le Nord-Pas-de-Calais, appelée ainsi en référence aux noms de ses rues, est construite par la compagnie des mines entre 1856 et 1861.Témoignage de l’habitat des familles de mineurs, ces 37 logements sont nés d’une révolution industrielle qui a radicalement bousculé le paysage existant. De ce patrimoine en déshérence,  faut-il conserver les ensembles de vilains et communs corons ? Les habitants, dans une situation sociale difficile, ont longtemps eux la volonté d’effacer cette page. Mais en 2007, le tournage de quelques scènes de Bienvenue chez les Ch’tis rend la cité populaire, jusqu’à ce que la Communauté d’agglomération de Bruay-Béthune lance une consultation pour la réhabilitation du site, remportée en 2013 par l’atelier d’architecture Philippe Prost. En préservant l’existant et en lui affectant de nouveaux usages, le projet de l’architecte conserve et adapte ce patrimoine ordinaire, que les acteurs locaux qualifient de « monument du quotidien ».

 

La piscine des Amiraux d’Henri Sauvage restaurée par François Chatillon

Cachée au cœur d’un immeuble en gradin de la rue Hermann Lachapelle, dans le 18e arrondissement, la piscine des Amiraux, réalisée en 1930 par Henri Sauvage, compte parmi les plus ancienne de Paris. Outre sa typologie novatrice, son ossature poteaux poutres en béton armé, son système de chauffage et de ventilation mécanique, ses lumières électriques incorporées dans la structure … le tout fait de cet ensemble un édifice remarquable qui lui vaut d’être classé à l’inventaire des monuments historiques en 1991. Toutefois, les mises aux normes successives des années 1980 et 1990 ont fini, pour de bonnes « mauvaises raisons » à faire disparaître les aménagements novateurs de l’œuvre initiale et la beauté qui en résultait. François Chatillon a pris le parti de restituer la piscine dans un état proche de son état initial, l’enjeu étant d’intégrer des usages contemporains dans un patrimoine à conserver.

 

A l’ouest parisien, la Seine Musicale

Dans le florilège des équipements musicaux sortis de terre ou récemment rénovés, citons la Seine Musicale ! Figure de proue de la métamorphose en cours, la Cité de Shigeru Ban et Jean de Gastines, s’inscrit dans la  continuité  du plan urbain de l’île Seguin. Sa silhouette générale allongée sur 324 m, aux longs murs de béton, rappelle celle d’un destroyer dont le pont s’incline pour laisser émerger l’Auditorium, un nid de bois tressé aux formes galbées. Quoi qu’il en soit, l’architecture se met au service de l’ambition programmatique – dont les principes restent proches de ceux de ses consœurs – favorisant l’éclectisme, et répondant à l’ambition internationale par un élément signature.

 

Musée Camille Claudel : entre imbrication et dispositif

Le musée dédiée à la sculptrice Camille Claudel, amante de l’illustre Auguste Rodin, occupe à la fois l’ancienne maison de la famille Claudel à Nogent-sur-Seine, restaurée et réhabilitée, et un nouvel édifice. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un musée pour Camille Claudel, conclut Adelfo Scaranello, architecte. Peut-être y a-t-il une correspondance avec son histoire difficile, même son musée a finalement été laborieux à réaliser. Mais je crois avoir dessiné un musée dédié à la sculpture, dont les référents ne sont finalement que la brique moulée à la main et les cadres de lumière naturelle. Un autre changement de destination reste possible » continue l’architecte, qui est allé jusqu’à cacher une porte anticipant des mutations futures, un acte que n’aurait pas renier Numérobis !

 

La rédaction d’Architectures CREE

 

 

A l’ouest parisien, la Seine Musicale

Dans le florilège des équipements musicaux sortis de terre ou récemment rénovés, citons la Seine Musicale ! Fruit d’un contrat de partenariat public privé (PPP) entre le Département des Hauts-de-Seine et la société Tempo-Île Seguin depuis 2013, la Seine Musicale ouvrira ses portes le 18 avril 2017. Elle se devait d’être ancrée localement, devenant la scène de l’ouest parisien, en équilibre avec la Philharmonie parisienne à l’est, mais aussi d’avoir une envergure égale aux équipements des grandes capitales européennes comme Londres (Southbank Centre), Hambourg (Philharmonie de l’Elbe) ou Rome (Auditorium Parco della Musica). Si la programmation en est le fer de lance, ce nouvel équipement se distingue aussi par sa situation, à la pointe avale de l’île Seguin, et par une architecture repérable et singulière, signée de Shigeru Ban et de Jean de Gastines.

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© Laurent Blossier

Signature sur l’île Seguin

Anciennement île Madame, l’île Seguin, du nom de son premier propriétaire, fut acquise en 1919 par Louis Renault qui y construisit une « usine vitrine ». La conquête de tout le territoire par les constructions en a fait une île-machine, véritable navire industriel. Mais en 1992, les infrastructures ne correspondent plus aux nouveaux processus de production et ferment. Se pose la question de la reconversion et s’engage un débat sur sa valeur patrimoniale. Le 6 mars 1999, Jean Nouvel réagit à la possible tabula rasa de l’île et publie un article retentissant dans Le Monde en faveur de la sauvegarde du patrimoine industriel, intitulé « Boulogne assassine Billancourt« . Las, 10 000 tonnes de ferrailles tombent et les bâtiments sont intégralement rasés, avant que s’engage un projet de reconversion pour lequel Nouvel est désigné architecte coordinateur en 2009, énième d’une longue liste de maîtrise d’œuvre. Bien que « l’option de la transformation des structures industrielles est malheureusement caduque », selon ses mots, il propose une « éco-cité » insulaire, à forte attractivité culturelle. Figure de proue de la métamorphose en cours, la Cité Musicale de Shigeru Ban et Jean de Gastines, s’inscrit dans ce cadre. En continuité directe du plan urbain, sa silhouette générale allongée sur 324 m, aux longs murs de béton, rappelle celle d’un destroyer dont le pont s’incline pour laisser émerger l’Auditorium, un nid de bois tressé aux formes galbées. « Pour moi, cette architecture, si belle, évoque autant une sorte de Nautilus permettant de voyager vers de merveilleuses découvertes dans le monde entier qu’une boîte à musique magique » commente Jean-Luc Choplin, président du Comité de Programmation et de Direction artistique de STS Événements.

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© Philippe Guinard
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© Laurent Blossier
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© Laurent Blossier

Morceau de ville

Pensée comme un morceau de ville, la Cité Musicale dont la façade recouverte d’un écran géant attire le visiteur, déroule devant elle un large parvis, encastré dans le volume bâti. Elle s’organise ensuite autour d’une rue couverte qui, prolongeant celle du plan urbain, traverse le bâtiment jusqu’à l’esplanade de la pointe aval. Dessinée comme une travée dans un bunker, la rue devient colonne vertébrale, assumant les perméabilités extérieures intérieures ainsi que la coexistence des manifestations, des pratiques et des publics. D’une part, flanquée de commerces, cafés et restaurants traversants, elle fait le lien avec deux promenades extérieures : l’une longeant les boutiques en balcon sur la Seine côté Boulogne-Billancourt, l’autre descendant jusqu’aux berges de la Seine à la pointe aval côté Meudon. D’autre part, la rue couverte ouvre des vues plongeantes sur des studios de répétition au travers des baies vitrées horizontales, mettant en relations public et artistes. Elle dessert également des locaux dédiés aux artistes en résidence et des espaces événementiels.

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© Laurent Blossier
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Les fonctions annexes servent d’abord un programme complet, la Seine Musicale ambitionnant de programmer toutes les musiques. Elles complètent deux salles avec deux jauges différentes et complémentaires. La Grande Salle, de conception fonctionnelle, est équipée de trois scènes différentes, dont la partie face à la fosse est mobile. Ses gradins rétractables proposent une jauge de 4000 places assises à 6000 en assis/debout. Elle accueille concerts et comédies musicales, et tout autre type d’expression artistique et scénique. L’auditorium reçoit quant à lui toutes les musiques non amplifiées, du quatuor à cordes au grand chœur, du solo à l’orchestre symphonique. Indépendant structurellement, il est accessible par le dessous, depuis des escalators dans le Grand Foyer. Son plan dit « en vignoble », répartit 1150 personnes sur plusieurs balcons étagés. En attendant le concert, les auditeurs pourront admirer le plafond réalisé à partir d’un assemblage artisanal de tubes de petites sections, de cartons et de papier, et les revêtements muraux composés d’un tissage de lattes de bois. Quant à la coque extérieure, elle est fabriquée à partir d’un tressage de bois d’épicéa lamellé-collé. Derrière le vitrage qui en assure le clos et couvert, on aperçoit sa coque recouverte d’une mosaïque irisée verte. Entre ces deux parois, sont glissées des coursives offrant un des vues panoramiques à 360° sur Meudon, Sèvres, Saint-Cloud, Boulogne-Billancourt et Paris. Autour de la sphère, un grand voile disposant 800 m2 de cellules photovoltaïques est monté sur rails mobiles, suivant la course du soleil ; symbole technologique de l’entrée dans un XXIe siècle placé sous le signe de la considération environnementale. Comme la Philharmonie de Paris ou Bercy, l’institution ne coupe pas à sa promenade sur le toit. Un escalier monumental invite à monter en partie haute du navire. Dès lors, le visiteur accède à un jardin de presque 1 ha qui recouvre la Grande salle et dont la végétation reprend celle des coteaux de la Seine.

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© Didier Boy de la Tour
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© Didier Boy de la Tour
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© Didier Boy de la Tour
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© Didier Boy de la Tour

Finalement, l’institution culturelle n’est plus seulement destinée au spectacle, mais devient un lieu de promenade ouvert au-delà des heures de concert, ne serait-ce que pour proposer une machinerie commerciale supplantant les supermarchés. Une question qui se pose d’autant plus que ce projet a été conçu autour de la notion d’exploitation privée, et est financé par des coproductions, partenariats et locations. Quoi qu’il en soit, l’architecture se met au service de l’ambition programmatique – dont les principes restent proches de ceux de ses consœurs – favorisant l’éclectisme, et répondant à l’ambition internationale par un élément signature.

Amélie Luquain

 

 

 

FICHE TECHNIQUE

 

Superficie du site : 2,35 ha

Un terrain de 324 m de long soit la hauteur de la Tour Eiffel

Superficie du jardin : 7 410 m2

700 m de promenade piétonne sur le toit

Superficie du bâti : 36 500 m2

 

Auditorium : 1 150 places

Salle spectacle : 4 000 à 6 000 places

4 studios d’enregistrement

3 000 m² d’espace de convention à disposition des entreprises

 

Architectes : Shigeru Ban et Jean de Gastines

Paysagistes : Bassinet Turquin Paysage

Acousticien : Nagata Acoustics et Jean-Paul Lamoureux

 

– 1 écran LED de 800 m² soit l’équivalent d’un terrain de handball

– Près de 800 m² de panneaux photovoltaïques composant une voile mobile de 45 m de haut qui suit la course du soleil et se déplace à une vitesse de 0,08m/s

– 4 000 m² de vitrage et 700 m³ de charpente bois composent les façades de l’Auditorium

– 1 000 hexagones en bois habillent le plafond acoustique de l’Auditorium

– Une porte monumentale vitrée unique au monde, de 10 m de large, 10,5 m de haut et d’un poids de près de 5 tonnes, fonctionne grâce à une centrale hydraulique

– 7 millions de carreaux habillent la coque acoustique de l’Auditorium constituant une mosaïque irisée de 3 400 m²

– 29 élévateurs articulent la scène de l’Auditorium

 

170 M€ investis pour la construction

 

300 événements par an

Un lieu ouvert au public 5 jours sur 7