Oublié dans un recoin de l’aire métropolitaine marseillaise, le Stadium, bâtiment phare des années 90 conçu par Rudy Ricciotti, se désagrège aussi lentement qu’inexorablement depuis près de deux décennies, victime des errances et des atermoiements du personnel politique. Un cas d’étude qu’il est bon de revoir en cette veille d’élection, dans l’attente d’un sauvetage toujours repoussé…

Sans ses murs de béton, matériau fétiche de son concepteur Rudy Ricciotti, le Stadium de Vitrolles aurait sans doute déjà disparu du paysage. Des riverains assurent qu’il aurait été détruit, vidé et dépecé par les Rroms (1). Las, un peu à l’écart de la route départementale, dissimulé derrière des buttes et un rideau d’arbres, le Stadium se dresse toujours sur son site, une ancienne décharge de bauxite, et son triste état doit bien plus au vandalisme passif de la gouvernance qu’à l’action de gens du voyage ou de migrants nomades.
Une architecture honnie par le FN
Enzo Rosada, jeune architecte engagé depuis des années pour la sauvegarde de cette architecture à la dérive a retracé l’histoire mouvementée du bâtiment depuis l’attribution en 1990 du marché de conception-construction à Rudy Ricciotti et l’entreprise THEG Fougerolle. A l’origine du projet, on trouve le maire socialiste de l’époque, Jean-Jacques Anglade, qui veut doter sa commune d’une salle multifonctions de 5 000 places pouvant accueillir des manifestations sportives, concerts et événements culturels. L’équipement est inauguré en 1994, mais Anglade, attaqué sur son bilan et sa gestion opaque des affaires communales, doit céder finalement sa place en 1997 à Catherine Mégret, faux nez de son mari Bruno, alors cadre en vue au FN, mais frappé d’inéligibilité pour avoir dépassé le montant autorisé de frais de campagne. Une fois aux affaires, les Mégret rebaptisent les rues – l’avenue Jean-Marie Tjibaou prend le nom d’un cadre du FN disparu dans un accident de voiture – et ferment plusieurs lieux culturels : la salle d’art et d’essai « Les Lumières », et le Sous-marin, association de jeunesse du centre-ville qui verra son entrée murée par les services de la mairie. Durant la campagne, les mégretistes avaient pris le bâtiment pour cible, comparant finement le bloc de béton à la Kaaba de La Mecque, « un lieu destiné aux Arabes et aux pédés »(2). Les confrères n’étaient pas forcément plus tendres : Roland Castro taxa le Stadium d’œuvre architecturale fasciste qu’il accusa d’avoir fabriqué Mégret, se souviendra Ricciotti.
Fermeture et abandon
En 1998, porté par ses ambitions nationales, Mégret programme un concert de rock identitaire au Stadium. La Fnac refuse de vendre les billets. Le groupe électrogène du Stadium est dynamité par des opposants au FN cherchant à empêcher le déroulement du concert, qui se tient finalement sur le parking et fait un flop. Ces troubles surviennent à la fin de la délégation de service public (DSP) liant la société à la mairie. Une occasion en or pour les édiles d’extrême droite, qui ont la main sur la culture et profitent du terme du contrat pour ne pas renouveler la DSP. Le 29 octobre 1998, le Stadium est fermé au public, après 4 années seulement d’activité. Perçu comme excentré, en concurrence avec d’autres salles de jauge légèrement supérieure, le lieu n’est pas entretenu par la communauté des Pays d’Aix, qui limite ses interventions à quelques tontes du terrain pour prévenir les incendies.
Abandonné, le bâtiment est vandalisé. Son parking sert de salon de l’automobile d’occasion ou de terrain de manœuvre pour les élèves des auto-écoles voisines. Lorsque Marseille devient capitale de la culture, le nouveau maire socialiste Loïc Gachon propose d’y recevoir des évènements. Malgré la proximité avec l’aéroport, le lieu ne retient pas l’attention des organisateurs de Marseille 2013. En 2014, la maire d’Aix en Provence envisage d’y implanter le musée de la ville, qui doit quitter l’hôtel particulier qu’il occupait dans le centre ville. Loïc Gachon revient avec un nouveau projet de parc ludique. Par une étrange convergence de point de vue, un membre du Front de Gauche et un représentant de l’UMP veulent lui rendre sa vocation première de salle de spectacle. Dans cette valse de propositions, qui comprend aussi la transformation du lieu en pôle d’entreprise ou en SMAC (salle des musiques actuelles, d’une capacité moindre), la palme de l’idée la plus mystérieuse revient à un candidat FN, Marcel Ydé, qui veut présenter à la population… un projet secret qu’il ne dévoilera jamais, relate Enzo Rosada dans son mémoire de diplôme.
Fantaisie programmatique
En 2015, la municipalité demande au cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) d’imaginer un nouveau programme orienté vers les activités ludiques. « Ce qui apparaît clairement, c’est que ce site est très attractif, ne serait-ce que par sa situation géographique dans le département, son positionnement central dans la Métropole, et sa proximité avec les accès aux transports comme l’aéroport et la gare. Il a en revanche beaucoup vieilli, s’est détérioré, a été dégradé fréquemment », souligne Fabien Goffi, associé en charge du secteur public chez Price Waterhouse Cooper. Si le cabinet n’a laissé jusque-là filtrer aucun chiffre concernant le coût d’éventuels travaux, il a indiqué que ceux-ci se chiffreraient « évidemment en millions d’euros ». Entre-temps la communauté d’agglomération a repassé le bâtiment à la ville, et se fait construire à quelques kilomètres de là une Aréna, un Stadium bis réalisé pour la modique somme de 54 millions d’euros TTC. La question d’un repreneur est de nouveau posée alors que les dégradations continuent « lors des premières présentations du site, certains professionnels, étrangers notamment, avaient été séduits par l’écrin, à savoir le Plateau, qui sert de socle au Stadium. Il a, depuis, été dévasté par l’incendie du 10 août, et mettra des années à retrouver son lustre. “On ne peut pas aller jusqu’à dire que ça a refroidi des investisseurs, même si la photo n’est plus la même, évidemment”», précise-t-PwC dans les colonnes de La Provence(3).
Un cas unique ?
La poisse plane sur le bâtiment, chef-d’œuvre architectural pour certains, mais pas pour tous. “Au niveau local, les élus de gauche, de droite, les écolos… Même les cultureux étaient d’accord pour détester cet endroit” déclarait Ricciotti dans les colonnes du journal Mouvement en avril 2015 (4). On pensera ce que l’on veut de l’architecture du Stadium. Reste qu’il forme un symbole parfait du peu d’intérêt que le personnel politique porte à l’architecture, et du peu de cas qu’il fait des deniers publics qu’on y consacre. À la veille d’élections nationales qui s’annoncent encore chaotiques, les nouveaux Stadium sont sûrement dans les cartons, s’ils ne sont pas déjà en chantier.
Olivier Namias
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Au-delà de son mémoire, Enzo Rosada milite pour le sauvetage du Stadium à travers le site “La renaissance du Stadium”, http://stadiumdevitrolles.com. Le bâtiment n’a pas reçu le Label architecture du XXe architecture en raison de l’opposition du maire, qui craint que cette distinction empêche la future transformation du lieu.
Les photos illustrant l’articles sont de Lisa Ricciotti
(1)(4) Emmanuelle Tonnerre, “enquête à Vitrolles”, Mouvement, n° 77, avril 2015. repris dans Méfi, le stadium de Vitrolles, cf infra.
(2) Sauf mention contraire, la reconstitution des faits s’appuie sur la publication d’Enzo Rosada, Méfi, le Stadium de Vitrolles, École Nationale d’Architecture de Marseille, 2016. Mémoire rapport de fin d’études (licence) a été dirigé par Jean-Baptiste Hemery et Olivier Golcer, qui fut chef de projet sur le Stadium.
(3) Lionel Modrzyk “Vitrolles : bientôt les grandes manœuvres pour le Stadium ?”, La Provence, édition Vitrolles-Marignane, jeudi 5 janvier 2017