Yona Friedman, le gai construire

Yona Friedman, le gai construire

Exposition_YonaFriedman_Citédelarchitecture
Space Chains, vers 1960 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot

Après des années d’amnésie, la France sort ses architectes radicaux du purgatoire. Un intérêt renouvelé se porte sur ces figures historiques, dont l’importance ne tient pas tant à la production bâtie qu’à leurs partis pris théoriques et leur capacité à perturber le cours tranquille d’une architecture souvent accaparée par ses agendas politiques, industriels ou financiers. Exprimés sous formes d’écrits, d’installations ou de maquettes semblant avoir affaire avec la sculpture, leur œuvre reste bel et bien un travail d’architecture, développant des concepts ressortissant de cette discipline. Né en 1923 comme Claude Parent, dont il croisa régulièrement la route, Yona Friedman a encore moins construit que son confrère récemment disparu. Son œuvre bâtie se résume à un lycée à Angers. Son oblique à lui, c’est la mobilité, paradoxe architectural venant bousculer un monde jusqu’alors fait d’immeubles : par étymologiquement, des objets immobiles. Avant d’être un trait conceptuel, la mobilité fut d’abord pour l’architecte une réalité biographique : d’origine hongroise, il se réfugie en Roumanie en 1945, pays qu’il quitte l’année suivante pour Israël. Il s’installe à Paris en 1957, afin de développer avec Prouvé des abris cylindriques. Etabli définitivement à Paris, il travaille sur des structures mobiles, dans un esprit proche à celui des anglais d’Archigram ou des italiens de Superstudio.

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Yona Friedman dans le salon de son appartement du boulevard Pasteur, Paris, 1968 (c) Manuel Bidermanas

Concise mais riche, l’exposition présentée jusqu’au 7 novembre à la Cité de l’architecture explore l’univers de l’architecte en remontant aux sources : le goût pour les sciences sociales, l’anthropologie, la sociologie, la mythologie, enseignée par son maitre Károly Kerény. La scénographie valorise et ordonne une production hétéroclite, constituée de maquettes qu’on jureraient issues d’une collection d’esquisse de Frank O. Gehry, de dessins didactiques façon manuel de construction pour les grands débutants. La présence du Frac Centre parmi les organisateurs de l’exposition rappelle que c’est d’abord aux milieux de l’art contemporain que l’on doit la remise en lumière de ces architectures. Faut-il y voir un dérivé de Duchamp, ainsi que le suggère la commissaire de l’exposition Caroline Cros ? Proposant de remettre l’utilisateur au cœur de l’acte constructif, Friedman ne cherche pas à changer les critères esthétiques de l’architecture, mais bien à dynamiter des cadres de productions aussi rigides que puissants pour bâtir un environnement plus libre. Les germes d’un univers à explorer sans le prendre au pied de la lettre, certaines idées gagnant surtout à ne jamais être construites, à l’instar de ses Villes spatiales, mégastructures suspendues voleuses de ciel et de lumière, menaçant de leur présence les pauvres humains restés au sol. Il n’empêche : la question pendante de la participation redonne une belle vigueur au travail de Friedman. L’actualité la plus tragique remet ses propositions en selle. Durant la visite inaugurale de l’exposition, une dame a demandé à l’architecte s’il serait d’accord pour appliquer ses dispositifs structurels à la construction d’un camp de réfugiés syriens près de Beyrouth. Yona Friedman a répondu par l’affirmative d’une voix rendue faible par l’âge, l’œil brillant d’une énergie intacte à l’idée de ce nouveau chantier…

Olivier Namias

 

Yona Friedman – Architecture Mobile=architecture vivante. Commissariat Caroline Cros et Florence Allorent, Scénographie Myriam Feuchot, Conception graphique Serge Barto, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 7 novembre 2017. Accès par les collections permanentes. Plein tarif 8€, réduit 6€.

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The City above your Head, 2001, (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Ville Spatiale, vers 1960 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Extrait de la série « Le monde en trompe l’oeil », 1975 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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We cannot understand the universe, 2005 (c) ADAGP (c)CNAP/Photo Yves Chenot
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Appartement de l’architecte, boulevard Garibaldi, Paris 2003 (c) Pierre Leguillon